Pseudo twitter

Ce matin, consultation au CHU.
Ça mérite un suivi à la twitter, mais sans la limite stupide des 140 signes.

8h00. J’arrive (largement moins que 140 signes, vous le remarquerez).

8h00-8h07. Une échographie cardiaque chez un patient dialysé venant de l’extérieur. Mon IDE n’a pas trouvé de tenue propre, elle porte donc une tenue d’externe. Ça lui donne un petit coté sexy assez indéfinissable. Pas d’inquiétude, elle est à 90 jours de la retraite (elle me le rappelle tous les lundis).

8h34. Toujours rien depuis la première échographie. Les brancardiers dorment encore, ou les patients sont en train de faire d’autres examens. Je m’ennuie, je décide de faire un billet à la con pour faire passer le temps. D’où ce que vous lisez.

8h37.Toujours rien. J’ai déjà regardé ma page netvibes 3 fois depuis ce matin pour voir si quelqu’un parmi vous a écrit quelque chose (quoique ce soit) pour m’occuper un peu.

8h40. Je décide de jouer avec mes carpes Koï . Cette application (Koi ponds) a été faite pour les praticiens attachés de cardiologie qui attendent le patient à cause de l’incurie du CHU. Je ne regrette pas du tout mes 79 centimes d’euro. Je vais les rentabiliser au-delà de toute limite.

8h47. Toujours rien, j’ai tout fait ce qu’il était possible de faire avec mes carpes: jouer avec elles, les nourrir, les effrayer en créant un mini tsunami, et même changer de place plusieurs fois les nénuphars. Je vous rappelle que le délai d’attente pour avoir une échographie cardiaque à cette consultation même est de 3 semaines. Surréaliste et tellement « service public ».

8h53. Twitter: « What are you doing ?« . Et si on ne fait strictement rien, est-ce twitter ? Le CHU devrait offrir à chacun de ses médecins un iphone avec une application qui permette de tuer le temps. Je pense que cela diminuerai sensiblement le nombre de médecins drogués/ alcooliques/dépressifs, qui selon les médias, pullulent dans nos hôpitaux. Je crois que je viens de mettre le doigt sur le facteur de risque majeur de dépendance/dépression chez les médecins hospitaliers: c’est l’ennui, et non la pression exercée par le métier. (528 caractères, fuck Twitter!).

9h07. Le temps est long. De désespoir, je viens de demander à mon infirmière de me faire un café (c’est pas vrai, il n’est pas si mauvais que cela, et puis il y a toujours quelque chose à grignoter avec. J’ai un petit creux, ça doit être mon activité débordante) .

9h10. C’est prêt, à tout à l’heure.

9h19. 9 minutes écoulées. La vie est une lutte perpétuelle. J’ai été sage, j’ai mangé une tranche de pain bio (excellente d’ailleurs: marque Leader Price). La surveillante est venue nous dire que nous n’aurons pas d’aide soignante aujourd’hui et pour une durée indéterminée. Notre aide soignante est cardiaque, et plus grave que 95% des patients que je vois en consultation (même les dialysés, Stéphane!), pas étonnant qu’elle ait donc une santé fragile. Si nous avions du travail, ma pauvre IDE serait débordée. J’use du conditionnel, mais en fin de matinée, ça va être l’enfer, vous verrez.

9h23. J’entends des voix dans la salle d’attente: enfin un patient! Il n’a pas de courrier (grrrrrrr…), je vais donc perdre 10 minutes pour appeler l’interne pour obtenir des informations.

9h44. L’écho était intéressante. Le patient aurait du venir cette après-midi, voir un cardiologue spécifique. Le service l’a envoyé par erreur ce matin et il est tombé sur moi, voila pourquoi il n’y avait pas de courrier (l’interne n’a même pas eu le temps de voir ce patient arrivé hier au soir, heureusement que ce dernier est actuellement stable…). Mon IDE résume tout: « Ils font n’importe quoi« , en effet. J’y vais, j’ai un troisième patient qui m’attend.

10h05. Deux échographies depuis le dernier mot, et une consultation qui m’attend. Deux coups de téléphone aussi, pour deux examens à faire aujourd’hui: une urgence et une pseudo urgence (une pseudo urgence, c’est quand le demandeur ne peut pas attendre les 3 semaines de délai). Pour une des échos, le patient a fait un infarctus en 1998, cela n’était pas mentionné dans le courrier, un détail, probablement.

10h53. Une consultation et un doppler veineux. La salle d’attente est pleine. L’histoire du doppler veineux est « amusante ». Douleur dans la cuisse droite chez une patiente alitée depuis une grosse intervention abdominale mi février. On suspecte une phlébite. A l’examen, de nombreux points d’injections d’anticoagulant sous cutané au niveau des deux cuisses. A peine je les touche, elle se mort la lèvre de douleur. Le doppler est bien entendu parfaitement normal. Drôle, n’est-ce pas, de suspecter une phlébite sur des douleurs dues aux trop nombreuses injection d’HBPM ou de calciparine ?

11h20. Une échographie cardiaque et une consultation. Je n’ai pas eu le temps de dire que j’avais appelé l’interne de viscéral pour me donner un avis sur la consultation de 10h05. Il va prendre en charge la patiente. Les douleurs « cardiaques » étant dues en fait à une histoire d’anneau gastrique mal positionné. « Une symptomatologie typique du bas œsophage » a conclu l’interne. C’est bien ce qui me semblait, aussi (même si je ne me souvenais pas du terme exact). pas joyeux joyeux l’interne, mais il s’est déplacé, et c’est bien l’essentiel. Une échographie cardiaque m’attend.

11h32. Petite écho vite fait bien faite, comme je m’y attendais. En l’absence d’urgence, il me reste deux échographies cardiaques à faire d’ici midi, fin théorique de ma vacation. En général, loi de Murphy oblige, tous les internes de l’hôpital me téléphonent entre 11h30 et 12h00 pour que je leur fasse une « vraie » urgence le plus souvent. Ceci explique que je termine plus souvent à 12h15, voire 12h30, très rarement au-delà.

11h40. J’attends les deux patients qui n’arrivent pas… Comme vous pouvez le constater, j’attends beaucoup entre des périodes où il faut faire 5-6 examens ou consultations en peu de temps. C’est un peu ça l’hôpital: des heures d’ennui pour quelques demi-heures frénétiques. Ca me rappelle le très célèbre credo des anesthésistes: « Hours and hours of sheer boredom interspersed with a few seconds of stark terror! ». Sauf que je ne suis pas terrorisé par ce que je fais. Je n’aurais jamais pu être anesthésiste. Une patiente vient de s’installer.

11h54. A la réflexion, l’anesthésie est mieux que ce que je fais au cours de ces consultations.Car je n’ai même pas les moments de « stark terror » qui rendraient l’exercice plus excitant. Encore un patient.

12h19. Fin de la consultation, après avoir vu onze patients, ouf! Mon infirmière m’a préparé exactement ce que je voulais (elle me connait très bien): un grand verre de menthe à l’eau glacée (avec presque à peine moins de sirop que d’eau). Quand elle va partir à la fin de l’année, usée jusqu’à la corde par le système, je vais immensément la regretter. Hormis la menthe à l’eau, c ‘est aussi une excellente infirmière de consultation, dynamique et efficace. Elle ne pense plus qu’à une seule chose:  partir (elle est d’ailleurs en train de le dire à une collègue au moment même où je tape). Chaque fois qu’elle en parle, tout le temps, donc, je suis au désespoir. Vous devez peut-être vous demander pourquoi je continue l’hôpital à 50 euros la consultation à la con. Je ne sais pas trop, en fait, le sucre du sirop n’est pas encore arrivé à mes neurones…

Fin de cette note, j’espère que je vous ai fait rêver.

Des nouvelles…

Voici quelques nouvelles du sympathique monsieur dont j’avais parlé ici. et dont l’histoire a passionné un néphrologue et un gériatre (;-)).

D’abord, un peu de brosse à reluire, mon hypothèse était la bonne, car les oedèmes et ses épanchements pleuraux ont disparu avec une majoration de ses apports protidiques et cela, malgré des diurétiques que j’avais arrêtés totalement (et brutalement). Sa protidémie est actuellement à 67g/l.

Bon, maintenant, il a en effet une protéinurie avec une albuminurie à 2g/24 heures (je n’étais pas convaincu…). Le recueil des urines ayant été un peu aléatoire, j’ai demandé un contrôle, mais je ne doute pas du résultat.

J’ai revu sa fille (qui, je ne l’avais pas précisé, est une consœur ophtalmo), et le tableau général s’est un peu complété.

  • Elle est son médecin référent, c’est à dire qu’il n’a absolument aucun suivi médical depuis des années (très classique, malheureusement). Les relations père fille et père gendre (médecin lui aussi) sont volcaniques à partir du moment où ils veulent lui faire faire quelque chose qu’il ne veut pas. Il est très têtu, et refuse presque tout soin ou consultation (pour lui faire prendre ses apports protidiques, c’est la croix et la bannière).
  • le « myélome » serait un Kahler dont le diagnostic a été fait par son cardiologue (véridique) il y a une vingtaine d’années. Je suis donc très dubitatif sur ce diagnostic, même si le cardio en question est brillantissime (ce n’est donc pas un hospitalier).
  • Cela fait des décennies qu’il fait une fixation sur son poids, et qu’il chipote sa nourriture, avec des phases d’anorexie.

Je vais un peu le garder, le temps que sa famille souffle un peu et prépare le retour à domicile, notamment en trouvant un bon praticien qui ait du doigté  (et de la force dans les doigts) pour manœuvrer ce vieux monsieur récalcitrant.




Un bien bel ECG (réponse)

Voici non la réponse, mais mon interprétation. Je reste modeste face à un art dont je ne possède que quelques rudiments. Et en plus, quand on a la réponse, c’est bien plus facile de faire son beau!

  • Rythme sinusal avec un PR à 200 ms pile poil
  • L’axe électrique est dit « droit » avec un DI négatif et un aVF presque exclusivement positif. L’appareil calcule un axe à +95°.


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Un axe droit isolé n’est pas banal sur un ECG. La cause n’en est pas le très rare hémibloc postérieur gauche isolé, puisqu’on ne retrouve pas d’aspect qR en DII, DIII et aVF, ni non plus une histoire (rare, elle aussi) de faisceau de conduction surnuméraire (genre Wolff-Parkinson-White), puisque l’ECG ne montre pas d’aspect de pré excitation. C’est donc qu’il faut garder dans son esprit qu’il se passe « quelque chose » à droite. On y reviendra plus tard.

  • L’espace QT est un peu augmenté (QTc= 470-480 ms).


  • L’onde P est très particulière. En fait, elle est le reflet d’une hypertrophie bi-auriculaire. Elle a en effet tous les signes d’une hypertrophie auriculaire droite (HAD) et gauche (HAG):


    • Durée > 120 ms (HAG).
    • Aspect en bifide en « M » en DII  (HAG)
    • Amplitude> 2.5 mm en DII (HAD). Elle est pointue en DII, mais cela se voit encore mieux en V2 et V3.
    • Aspect biphasique en V1 avec une négativité très prononcée, ce qu’on appelle savamment (je ne le savais pas avant aujourd’hui…) l’index de Morris (HAG).

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Il y a donc beaucoup de chose à dire sur cette petite onde p qui attire l’œil sur l’oreillette gauche et sur l’oreillette droite (mais on savait déjà depuis le début qu’il fallait regarder à droite !).

  • Le QRS n’est pas particulièrement large puisque je le mesure en DII à 80ms.
  • Par contre en V1et un peu en V2, on ne trouve pas l’habituelle onde s, ou elle est petite. On a donc un r exclusif sans bloc de branche droit associé en V1 et un r/s>1 en V2. Ceci évoque une hypertrophie ventriculaire droite (HVD). Par contre, en V6, on a pas le signe classiquement associé, r/s<1 (Ce n’est pas bien grave, car une onde s aussi profonde en V6 est aussi évocatrice). Les ondes T négatives (ou biphasiques) et le ST sous-décalé en V2 à V3, c’est à dire dans les dérivations « droites » font aussi penser à une HVD. En V1, l’inversion de T est tout à fait banale chez le sujet sain.

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  • Une remarque importante, il n’y a pas de signe d’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG), ni de signe évocateur d’une ischémie (hormis les anomalies du ST-T déjà étudiées).

Bon je crois avoir  tout passé en revue, maintenant il faut faire la synthèse, et c’est là que l’exercice devient passionnant.

On a donc une hypertrophie « électrique » de l’oreillette gauche, et des deux cavités droites (oreillette et ventricule). Le ventricule gauche est a priori normal.

Le problème se situe donc entre l’oreillette gauche et le ventricule gauche, avec un retentissement sur les cavités droites.

CQFD: c’est une sténose mitrale serrée avec une hypertension artérielle pulmonaire sévère (90 mm Hg au cathétérisme).

Cet ECG est rare, car en général les signes ne sont pas aussi francs. De plus, ces patients ont une franche tendance à passer en fibrillation auriculaire, ce qui fait disparaitre, c’est bien dommage, tous les signes visibles sur l’onde P.

Bravo aux deux courageux qui s’y sont risqués, notamment mon néphrologue favori. C’était bien, Sérillo, mais les signes d’HVD sur le ST-T t’ont induit en erreur (d’un autre côté, comme je l’ai dit plus haut, c’est facile de faire le barbeau quand on a la solution…). Pour information, la coronarographie pré-opératoire était tout à fait normale. Hérisson, jamais d’indices supplémentaires ;-).

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Sur le net, il existe des dizaines de ressources pour apprendre la lecture de l’ECG.

Je n’en citerai que trois:

Si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas !


Le mot de la fin

J’ai trouvé un article sur l’évolution de l’industrie funéraire aux États-Unis ce matin dans le NYT.

Comme ça, cela peut paraître un peu macabre, mais l’article, comme bien souvent est tout à fait remarquable.

Les auteurs constatent le bon maintien de cette industrie, malgré la crise, mais aussi les profondes mutations qui la secouent depuis les années 70.

Finis les cercueils en acajou à US$ 10000-12000, la tendance va plutôt à la simplicité, notamment à la crémation et aux enterrements « verts ».

Le frère d’une amie anglaise a été enterré dans un cercueil en osier au pied d’un arbre dans ce que les britanniques font de mieux, leurs cimetières.

J’aime notamment beaucoup cet ébéniste qui à partir d’un besoin religieux local a su élargir sa clientèle aux personnes désireuses de simplicité: « Simplicity in six pieces of Wood« .

Drôle ce changement général de mentalité.

Je pense que tout le monde aurait trouvé cela ridicule il y a 10 ans, et associé cet ébéniste à Ikea, au bas de gamme.

La crise, la lame de fond écologique sont passées par là, et maintenant, le NYT parle de lui et de ses cercueils à US$ 599, livraison incluse.

L’article cite aussi quelques excentricités très américaines comme se faire enterrer en Harley, ou dans un camion de glace, faire reposer ses cendres dans une urne à la gloire du baseball…

Pour moi, ce sera crémation.

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The Funeral: Your Last Chance to Be a Big Spender by Gabrielle Glaser. The New York Times. Published: April 19, 2009.