Le trio externenza

Trois externes gantés poussent un lit dans ma salle d’échographie.

Après leur avoir fait remarquer qu’on dirait un congrès de proctologues, je leur demande le pourquoi.

Isolement contact, répondent-ils en coeur.

Pourquoi?

On sait pas, nous sommes les trois premiers externes arrivés ce matin dans le service. (toujours en coeur).

Parfait, vous connaissez la dame?

Non

Ah, c’est un truc qui se termine par -on.

Ah oui! reprennent les deux autres en canon.

Pardon?

Le service nous a dit de nous méfier d’un truc qui se termine par -on.

Je soulève le drap et tombe sur deux redons: un red-on?

Oui! (en coeur).

Vous, vous avez gagné une note sur internet.

Ils me regardent sans comprendre.

 

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J’ai encore vu passer aujourd’hui un patient déambulant, sans traitement anticoagulant, adressé par les neurologues pour une recherche de thrombose veineuse profonde pouvant expliquer une embolie paradoxale responsable d’un accident vasculaire cérébral récent.

Cela ne s’invente pas, le patient était en bermuda/caleçon long et tongs.

Je me suis demandé si je devais appeler l’interne de neuro prescripteur.

Que lui dire, qu’est-ce que ça va changer…

Finalement, je l’ai fait. Elle est bien conscience de l’aberration, mais son assistant(e) lui a demandé de faire descendre les patients à pied, (en tongs), et sans anticoagulant.

L’interne a discuté, mais s’est heurtée à deux arguments irréfutables:

  • L’examen clinique ne montre rien, donc faible probabilité de thrombose veineuse profonde, mais on fait quand même l’examen.
  • Si on devait attendre les brancardiers, et bien… 

Le premier argument est à la fois pertinent et non pertinent.

La performance de l’examen clinique est notoirement mauvaise dans le diagnostic des thromboses veineuses profondes:

Les signes cliniques de TVP ne sont pas fiables, entraînant autant de diagnostics par excès que par défaut (sensibilité et spécificité voisines de 50 %). (source).

L’absence de signe clinique ne classe donc pas le patient dans le groupe des faibles risques cependant, cela pousse avec raison à aller plus loin en demandant de réaliser par exemple un doppler veineux. Maintenant, on peut discuter sans fin de l’intérêt de rechercher systématiquement une thrombose veineuse chez un patient porteur d’un FOP qui a présenté un accident vasculaire cérébral. Je serais tenté de dire que plus le patient est jeune, plus cela a d’intérêt.

Maintenant, l’argument du brancardage.

Là où commence le brancardage, la science s’arrête. C’est imparable.

A Marseille, au CHU, le brancardier est imperméable à tout. Chaque nomination se joue dans les hautes sphères politiques, une fois nommé à vie, ses actions sont régies par des règles non écrites, dont la logique échappe à toute tentative d’analyse et par essence, il est en sous-effectif.

Devant cela, la médecine et ses lois s’inclinent bien bas.

J’ai néanmoins donné un conseil à l’interne. Ce conseil m’avait été transmis par mon premier patron.

Avant de faire quoi que ce soit en médecine, il faut imaginer que cette action, et ses potentielles conséquences négatives soient analysées plusieurs mois après par un tribunal. Le juge et les avocats ne sont pas médecins et on essaye de justifier son action. Non pas les conséquences de l’action qui peuvent être impondérables, mais l’action en elle-même. Ça m’a souvent fait réfléchir, sans  tomber d’un autre côté dans l’excès inverse ou l’on ose plus rien faire de peur des conséquences médico-légales.

Tu demandes un doppler pour éliminer une thrombose veineuse profonde qui aurait déjà provoqué une embolie paradoxale. Tu envoies le patient faire un doppler à pied, sans traitement anticoagulant. Il meurt d’une embolie pulmonaire massive au bout du couloir.

Comment justifier cela?

Combien de brancardiers vont venir témoigner à la barre?

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On me demande de faire ce doppler veineux:

A première vue, rien de bien croustillant, l’examen a pour but de chercher une thrombose veineuse profonde qui aurait pu être responsable d’une embolie paradoxale. C’est classique, rare, mais il faut la rechercher, surtout chez le sujet jeune qui a un foramen ovale perméable. Ce qui est franchement exotique est que le patient arrive sur ses pieds et qu’il n’a aucun traitement anticoagulant depuis au moins 48 heures.

Mon examen fut normal.

Mais si il y avait eu effectivement une thrombose veineuse profonde…

Bref, une superbe situation perdant/perdant, en plein CHU.

Il faut faire un doppler veineux car c’est marqué dans les petites cases:

ETO; Si FOP→EDVMI

Mais personne ne se souvient que la thrombose veineuse profonde peut être grave en elle-même et qu’il n’est pas prudent de faire déambuler une suspicion sans traitement.

Des tas d’examens, des tas d’euros, des tas de petites cases mais pas un gramme d’intelligence, voire même de bon sens médical (qui lui, ne coûte et ne rapporte rien)…

Vous allez me dire que l’interne a fait une erreur et que cette histoire est isolée. Je suis moins optimiste car ce n’est pas la première fois que je constate ce phénomène.

Ces anecdotes sont malheureusement très symptomatiques de ce qu’est devenu notre métier (et le CHU).

Prise en charge de l’accident ischémique cérébral, 2012

Femme, 78 ans, hypertendue, aphasique et hémiplégique. Elle rentre dans un service d’accueil des urgences, qui programme un angioscanner des troncs supra-aortiques+scanner cérébral. Les deux sont normaux. La patiente est transférée dans un service de post-urgences.

Les symptômes disparaissent, on contrôle son scanner cérébral et on retrouve une petite lésion ischémique.

Puis elle sort au bout de quelques jours sous Kardégic 75.

Ah oui, on lui a donné une ordonnance pour faire un holter ECG en externe.

Je la vois un mois après.

Cette très agréable petite dame se porte comme un charme. Elle a quand même peur que ça recommence. Elle est très entourée par sa fille qui est une soignante. 

Je suis stupéfait de la pauvreté du bilan réalisé: quid de l’échographie cardiaque? Quid du holter ECG réalisé en externe?

Ah oui, ce holter montre les lambeaux de fibrillation auriculaire.

Je jette un coup d’oeil à son échographie cardiaque et je retrouve une oreillette gauche dilatée, un bon ventricule gauche, pas de valvulopathie.

Cette patiente a donc une fibrillation auriculaire paroxystique et un score CHA2DS2-VASc à 6, soit un risque d’AVC annuel à 9.8%.

Bref, l’aspirine est tout, sauf une option optimale.

Cette histoire ne s’est pas déroulée dans un pays en voie de sous-développement ni dans une clinique de quatrième catégorie, mais chez nous, au CHU.

Pour comparer, voici la question d’internat 133 sur la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux.

Le fossé se creuse de façon dramatique entre ce qui est, jusqu’à preuve du contraire, une prise en charge médicale satisfaisante et la réalité de tous les jours.

Pourtant, les professionnels de santé sont les mêmes « qu’avant ».

Alors, pourqoi ça ne marche plus?