Enfermer sa tante folle dans le grenier

En 1999, Moyé a écrit un article tout à fait passionnant sur la nécessaire discipline à laquelle les auteurs doivent s’astreindre dans la définition du critère d’étude principal d’une étude. Une étude digne de ce nom doit répondre à une question, voire deux et en susciter des tas d’autres. Si le seuil de significativité n’est pas atteint pour le critère principal, l’étude est négative, quelque soit l’amplitude de la positivité du/des critère(s ) secondaire(s). Toute la structure statistique d’une étude est construite autour de l’analyse du critère principal. Les critères secondaires sont donc… secondaires. Enfin, non, j’exagère, ils permettent aussi d’analyser la sécurité d’un traitement, de poser la base d’autres hypothèses, d’autres essais…

La négativité d’une étude représente un accident industriel pour le promoteur d’une étude, si celui-çi est un fabricant de médicaments ou de matériel médical. La tentation est donc grande pour ce dernier d’escamoter le critère primaire devenu honteux car négatif et de bâtir une belle campagne promotionnelle sur un critère secondaire positif.

Moyé illustre cela très bien par l’image d’une tante folle, honte d’une famille par définition respectable, que cette dernière enfermerait dans le grenier loin des yeux des visiteurs:

The primary end point, chosen from many possible end points and afforded particular and unique attention during the trial, becomes unceremoniously unseated when it is discovered to be negative at the trial’s conclusion. Like the `crazy aunt in the attic,’ the negative primary end point receives little attention in the end, is referred to only obliquely or in passing, and is left to languish in scientific backwaters.

Les spécialistes de ce type d’escamotage étaient sans conteste en leur temps les Laboratoires Servier. L’étude BEAUTIFUL est un chef-d’oeuvre du genre.

Mais la relève est là, et n’a rien à envier aux glorieux anciens.

C’est Zoll et sa LifeVest qui ont enfermé la tante folle, et pas plus tard qu’aujourd’hui.

Je vois de plus en plus de LifeVest en centre de réadaptation en post-infarctus chez des patients ayant une fonction ventriculaire gauche altérée.  L’étude VEST, présentée aujourd’hui à l’ACC m’a donc passionné.

Je ne vais pas paraphraser clinicaltrial. org, mais simplement rappeler les critères étudiés:

Primary Outcome Measures :
Sudden death mortality [ Time Frame: three months after myocardial infarction ]

Secondary Outcome Measures :
– Cardiovascular, all-cause, and other cause specific mortality [ Time Frame: three months after myocardial infarction ]
– incidence of ventricular arrhythmias [ Time Frame: three months after myocardial infarction ]
– adverse events attributable to wearable defibrillator use [ Time Frame: three months after myocardial infarction ]
– compliance with wearable defibrillator use [ Time Frame: three months after myocardial infarction ]

Les choses sont claires, la mort subite à 3 mois est le critère principal. les promoteurs/investigateurs auraient très bien pu prendre un autre critère (mort cardio-vasculaire, mort toute cause, un critère combiné…), mais c’est bien ce critère qu’ils ont choisi.

Or, pas de chance, la LifeVest n’améliore significativement pas la mort subite à 3 mois…

(Source: Medscape)

Par contre, deux critères secondaires sont positifs: mortalité toute cause et mort par accident cérébral.

Zoll a choisi d’enfermer dans le grenier le critère principal de cette étude pour mettre en avant la mortalité toute cause, comme l’illustre ce communiqué de presse digne de 1984.

Ils minorent la négativité du critère principal, en arguant de la difficulté de définir correctement une mort subite. Je suis certain que si l’étude avait été positive, ce problème de définition n’aurait jamais été soulevé. Par ailleurs, il faut être bien bête d’avoir choisi un critère principal difficile à définir, non?

« The VEST Trial demonstrated that the WCD was associated with a reduced total mortality in the 90 days following a heart attack, » said Jeffrey E. Olgin, MD, FACC, Co-Principal Investigator, Professor and Chief of Cardiology at the University of California San Francisco Heart and Vascular Center. Dr. Olgin added, « While the VEST Trial did not meet the endpoint of sudden death mortality, the ability to determine the cause of death as sudden when unwitnessed is difficult and could result in misclassification. These meaningful total mortality results add large randomized controlled trial data to an already large body of clinical evidence in support of the 2017 AHA/ACC/HRS Guideline recommendations for WCD use in patients at risk of sudden cardiac death. »

Pourtant, le même Olgin n’avait pu que constater la négativité de son étude au cours d’un entretien avec Medscape:

« We failed to meet our primary outcome, » said Jeffrey E Olgin, MD, from the University of California, San Francisco, presenting the study here at the American College of Cardiology (ACC) 2018 Annual Scientific Session. Still, he added, « Despite a negative result for sudden death, based on the associated lowered total mortality, it is reasonable to prescribe the WCD in patients who are post-[myocardial infarction (MI)] and have reduced ejection fraction, until further evaluation for an implantable cardioverter-defibrillator [ICD] at 40 to 90 days.The benefit in the secondary endpoint of all-cause mortality « needs to be interpreted with caution, » Olgin acknowledged when speaking with theheart.org | Medscape Cardiology.

Peu après, oubliant toute précaution, pourtant prônée par l’investigateur principal, la machine à vendre des LifeVest s’est donc mise en route, malgré une défaite statistique sans appel.

Ça a donc beaucoup énervé l’excellent John Mandrola qui a écrit un commentaire  acerbe dans Medscape. Une contributrice de HealthNewsReview.org a enfoncé le clou en se demandant si Zoll ne nous faisait pas prendre des vessies pour des lanternes.

Ah oui, une LifeVest, c’est autour de 3000€ par mois….

Une veste placebo serait nettement moins chère.

Substitution

Un critère intermédiaire est souvent une mesure qui va documenter d’un point de vue physiologique une maladie et/ou son traitement. Par exemple, le LDL et l’athéromatose, ou la tension artérielle et certaines maladies cardiovasculaires.

Lorsqu’un critère intermédiaire est l’objet d’une étude clinique, on l’appelle critère du substitution (surrogate endpoint). Le syllogisme est tentant: le traitement T agit sur le paramètre A, Le paramètre A est un déterminant de la maladie M, donc T agit sur M, donc prescrivez T. Parfois, le syllogisme est tellement ancré dans nos esprits que l’on en oublie M, par exemple le LDL et les maladies cardio-vasculaires. Combien de personnes ont été traitée « pour un LDL élevé » lorsque les statines ont été commercialisées, en dehors de toute recommendation?

Les critères de substitution, comme beaucoup d’outils statistiques (par exemple la non-infériorité, les critères secondaires, les analyses post-hoc, en sous-groupe…), n’ont pas été créés par des statisticiens pervers et/ou avides de gloire et d’argent. Ce sont des outils utiles qui avec le temps, et surtout la promesse de résultats rapidement positifs, donc lucratifs, ont été dévoyés de leur fonction première. L’étude d’un critère intermédiaire permet idéalement de valider un concept pharmacologique et/ou physiologique et de savoir rapidement et avec relativement peu de moyens-une mesure est toujours plus rapide à observer qu’un décès ou un évènement clinique-si un traitement peut être efficace sur une maladie. Après, il est nécessaire de confirmer cette hypothèse par un essai clinique, bien plus long et onéreux à mettre en place, mais finalement le seul qui pourra répondre à l’unique question que nous devons nous poser: est-ce que ce traitement diminue la morbidité-mortalité de cette maladie?

Mais comme je l’ai dit, l’outil des critères de substitution fut dévoyé et on a obtenu des AMM et fait prescrire des milliers de boites de médicaments uniquement sur des essais portant sur ces derniers.

On peut regarder ainsi l’exemple quasi caricatural de l’aliskiren qui a obtenu une AMM et a été vendu sur des études montrant son intérêt sur les chiffres tensionnels (critères de substitution), mais qui, in fine n’a jamais montré d’intérêt dans la diminution de la morbidité-mortalité cardio-vasculaire. Le texte de la dernière mise à jour de l’avis de la HAS est éclairant:

Une étude très sympa s’intéressant à la validité des critères de substitution est sortie récemment dans le JAHA.

Tout est résumé dans ce graphique:

Les auteurs ont analysés sur 20 ans, dans 3 grands journaux scientifiques (NEJM, Lancet et JAMA) les essais cliniques sur des thérapeutiques cardio-vasculaires comportant un critère de substitution comme critère principal. Ils ont ensuite regardé les essais cliniques ultérieurs sur ces mêmes thérapeutiques.

D’abord, sur les 220 essais initiaux, seuls 59 ont été suivis par un essai clinique. Cela montre bien que l’essai avec critère intermédiaire, par flemme, manque de moyen, ou tout simplement parce qu’on ne le voit que comme un argument de vente, se suffit à lui même. La seule chose qui compte, l’intérêt clinique pour le patient est donc méprisé la plupart du temps.

Pour le groupe des études qui ont été suivies par un essai clinique, nous observons notamment qu’en cas d’études initiales positives, les essais cliniques confirmaient l’intérêt du traitement que dans 24 cas sur 44. Si les études initiales étaient négatives, les essais cliniques les contredisaient que dans 3 cas sur 15.

Autrement dit, il ne faut pas prescrire de traitement pour son seul effet sur un critère de substitution. Par ailleurs, la négativité d’un essai avec critère de substitution augure assez bien la négativité clinique d’un traitement.

L’effet sur la morbidité-mortalité doit rester idéalement la seule aune permettant de juger de l’intérêt d’un traitement. Tout le reste n’est bien souvent que technique de vente.

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Pour en savoir plus:

Critères cliniques – intermédiaires – de substitution (Interprétation des essais cliniques pour la pratique médicale, Michel Cucherat).

Évaluer les bénéfices d’un traitement : d’abord les critères cliniques utiles aux patients (Revue Prescrire)

Proven efficacy

Entre deux cours, j’ai vu passer un retweet de l’excellent @docdu16 :

J’ai lu l’article de healthnewsreview, qui est clair net et précis, comme toujours et j’ai découvert que 2017 était vraiment l’année des alternative facts et du post-truth, que ce soit en politique ou en médecine. Mon discours d’inauguration a eu plus de spectateurs, mon meeting au Trocadéro a fait 200000 participants, Obama m’a mis sur écoutes, mon épouse a fait un burn-out en bossant comme une folle pour moi (et une revue littéraire), et ce traitement anti-cancéreux prolonge la survie globale.

L’objet du délit, si j’ose dire, est une publicité américaine pour l’Afinitor© (évérolimus), un inhibiteur de tyrosine kinase commercialisé par Novartis. Le site internet US du produit comporte notamment cette page: Je laisse de côté le paramètre survie médiane sans récidive (progression-free survival) qui est significativement augmenté en moyenne de 6 mois par rapport au placebo. C’était le critère principal de l’étude RADIANT-3 dont vous trouverez la publication ici.

Dans cette publication du NEJM en 2011, vous remarquerez aussi un paramètre important pour le patient, mais ici secondaire, la survie globale (overall survival). Elle n’est pas significativement améliorée par l’évérolimus par rapport au placebo.

Un abstract a été présenté à l’ESMO 3 ans plus tard avec une analyse sur cette même survie globale mais après un suivi plus important. Là aussi, pas d’amélioration significative de ce paramètre.

La publicité dit pourtant que la différence observée, bien que statistiquement non significative, l’est cliniquement (44.0-month median OS in patients treated with AFINITOR compared to 37.7 months for the placebo/crossover arm; not statistically significant but clinically meaningful).

Ce clinically meaningful est purement marketing et n’a qu’un seul but, suggérer que l’everolimus est efficace sur ce paramètre.

Comment peut-on sérieusement affirmer qu’un traitement qui n’a pas réussi à montrer une supériorité statistiquement significative puisse être efficace?

Et bien, il faut être souple et avoir une dialectique bien acérée. Les déclarations de l’auteur principal sont assez intéressantes de ce point de vue. Il impute la négativité statistique de l’étude à un taux élevé de cross-over (85% des patients initialement sous placebo sont passés sous évérolimus). Ce changement de groupe, qui concerne probablement les patients les plus graves, à visée compassionnelle, a certainement introduit un biais de contamination qui a pu atténuer l’effet de l’évérolimus. Ou pas… Cet énorme cross-over rend les résultats très difficiles à analyser, et à mon sens on ne peut en tirer aucune conclusion bien nette. Peut-être que l’évérolimus est efficace sur la survie globale, mais peut-être pas.

Le service communication ne s’est certainement pas embarrassé de telles interrogations et il a réussi à transformer le plomb en or, le doute en succès.

La HAS n’a pas été trop sensible à ces arguments en attribuant à l’évérolimus dans l’indication traitement de tumeurs neuroendocrines d’origine pancréatique, non résécables ou métastatiques bien ou moyennement différenciées avec progression de la maladie chez l’adulte  un SMR important et une ASMR mineure en mars 2012. La réévaluation faite en janvier 2016, donc après l’abstract de l’ESMO n’a pas conduit à une modification de cet avis.

Je pressens qu’en recherche clinique, comme en politique, les enjeux vont de plus en plus brouiller les limites, émousser les raisonnements et obscurcir le sens des concepts et même des mots. Il nous revient d’être vigilants afin de repousser poliment mais fermement les faits scientifiques alternatifs .

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Pendant que j’y suis, je vous conseille la lecture de cet article de Hervé Maisonneuve sur l’avenir du p. Bonjour à l’auteur et aux deux commentateurs qui ne me sont pas inconnus ;-).

Le traitement de l’information médicale (rediffusion)

Ce matin, je suis tombé sur deux tweets qui en disent long sur l’objectivité des informations sur les médicaments, délivrées par la presse médicale dont la survie dépend en grande partie de l’industrie…du médicament.

Je me suis dit que j’allais rafraichir, condenser et rediffuser une série d’articles que j’avais publiés en 2009 (le premier est ici). Comme quoi, les années passent, et malgré tous les scandales, les déclarations d’intention, et les chartes de bonne conduite, une partie de la presse médicale est toujours profondément viciée par ses liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique. A l’époque, j’avais analysé tous les articles du Quotidien du Médecin (publiés entre 2002 et 2008) concernant le rimonabant (Acomplia®), molécule de Sanofi finalement retirée du marché en 2008. Cette analyse permet de bien se rendre compte de la temporalité d’un mécanisme purement promotionnel, qui se drape d’un traitement journalistique rigoureux, et de qualité.

Le conditionnement des futurs prescripteurs par la presse médicale suit une chronologie immuable:

  1. Description minutieuse et tatillonne de l’effet du futur médicament dans des études sur un mécanisme cellulaire le plus souvent parfaitement obscur (mais passionnant d’un point de vue conceptuel) chez le rat musqué bolivien.
  2. Idem, mais chez l’homme dans les premières études cliniques.
  3. Communiqué de presse victorieux en cas de positivité d’une « grande étude pivot ». Si l’étude est négative, on met en avant la positivité d’un critère intermédiaire secondaire, favorablement influencé par pur hasard (c’est une spécialité Servier).
  4. Au cas où les choses tournent mal (médicament retiré car il tue des patients), on en parle pas et on recommence le cycle pour une autre future molécule prometteuse et innovante.

C’est un peu long, prenez du pop-corn.

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Voici la phrase d’entame de l’article de Carnets de Santé que j’ai cité dans cette note:

« Une étude publiée par les Cahiers de sociologie et de démographie médicale montre une nouvelle fois que la presse médicale est un élément essentiel de la formation continue des médecins (FMC) : elle est citée par 84 % d’entre eux comme moyen de FMC, devant la participation à un congrès médical (73 %), la lecture de manuels (72 %), l’internet (66 %) et les séances de FMC organisées par les associations professionnelles (51 %).« 

Au décours de la lecture du texte de Carnets de Santé, j’ai parcouru l’article de UFC-Que choisir qui critiquait sans trop détailler le traitement de la courte carrière du rimonabant par le vénérable Quotidien du Médecin.

Comme j’ai suivi presque depuis le début le développement du rimonabant (Acomplia®), et que l’information médicale est un sujet qui m’intéresse en général, j’ai décidé d’aller regarder cette histoire d’un peu plus près pour me faire ma propre idée.

Je vais au préalable faire un rappel chronologique de l’histoire du rimonabant, chronologie importante à connaître pour analyser la série d’articles du Quotidien:

  • 9 mars 2004: présentation des résultats de RIO-LIPIDS et de STRATUS. Cette dernière étude semble démontrer l’intérêt du rimonabant dans le sevrage tabagique.

  • Septembre 2004 : Étude RIO-Europe: le rimonabant provoque une perte de poids, une diminution de l’obésité abdominale, et une amélioration des profils lipidiques et glucidiques.

  • 13 juin 2005: présentation de RIO-DIABETES, intérêt du rimonabant chez les diabétiques de type 2.

  • 21 Juin 2006: obtention d’une AMM européenne, ainsi libellée :

Le rimonabant a obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans le traitement des patients obèses (indice de masse corporelle [IMC] ≥ 30 kg/m2) ou en surpoids (IMC > 27 kg/m2) avec facteurs de risque associés, tels que diabète de type 2 ou dyslipidémie, en association au régime et à l’exercice physique. Il n’a pas été étudié et ne doit pas être prescrit dans d’autres indications (lutte contre la prise de poids liée au sevrage tabagique, amincissement à des fins esthétiques…).

  • 5 Décembre 2006: présentation de l’étude SERENADE qui montre que le rimonabant améliore le contrôle glycémique chez les diabétiques de type 2.

  • 22 mars 2007: les conditions de remboursement à 35% par la Sécurité Sociale sont fixées, et sont plus sévères que celles du libellé de l’AMM: prescription sur une ordonnance spécifique aux médicaments d’exception, et selon les critères suivants:

Le remboursement du rimonabant est réservé aux patients obèses (IMC [2] 30 kg/m²) et diabétiques de type 2, insuffisamment contrôlés par une monothérapie par metformine ou par sulfamide, et dont l’HbA1c est comprise entre 6,5 % et 10 %. Le traitement par le rimonabant doit être associé au régime et à l’activité physique. Ce médicament a le statut de médicament d’exception. Taux de remboursement : 35 %.

  • 29 mars 2007: L’AFSSAPS [future ANSM] renforce la surveillance des effets secondaires du rimonabant et demande leur déclaration obligatoire auprès des centres de pharmacovigilances.

  • 13 juin 2007 : Un panel d’experts de la FDA recommandent le refus de sa commercialisation aux États-Unis.

  • 19 juillet 2007: L’EMEA [future EMA] recommande la contre-indication du rimonabant chez les patients ayant une dépression caractérisée, ou traitée par anti-dépresseurs.

  • 17 novembre 2007: Une méta-analyse danoise retrouve une augmentation du risque psychiatrique chez les patients traités par rimonabant.
  • 2 avril 2008, publication de l’étude STRADIVARIUS qui montre que le rimonabant ne diminue pas l’athéromatose coronaire.
  • 10 juin 2008, résultats de l’étude ARPEGGIO qui montre que le rimonabant améliore le contrôle glycémique des diabétiques de type 2.
  • 11 juillet 2008: Nouvelle mise en garde de l’AFSSAPS:

En juin 2008, une nouvelle analyse des données de pharmacovigilance les plus récentes montre que les troubles dépressifs peuvent aussi survenir chez des patients sans autre facteur de risque que l’obésité. Les troubles dépressifs, lorsqu’ils surviennent, sont observés dans plus de 50 % des cas au cours du premier mois et dans plus de 80% des cas au cours des 3 premiers mois de traitement.
En conséquence, il est maintenant recommandé que tous les patients sous Acomplia ® soient étroitement surveillés par leur médecin et tout particulièrement dans les trois premiers mois de traitement. Les professionnels de santé seront informés par une lettre aux prescripteurs de ces nouvelles mises en garde et recommandations de surveillance.

  • 23 Octobre 2008 : Suspension de son AMM en Europe devant la constatation d’une balance bénéfices/risques défavorable, notamment à cause d’effets psychiatriques graves.
  • 5 novembre 2008, Sanofi-Aventis décide d’arrêter l’ensemble des essais cliniques sur le rimonabant.

Le site web du Quotidien du Médecin possède un moteur de recherche interne qui m’a permis de rechercher toutes les occurrences des termes rimonabant (87 réponses) et acomplia (26 réponses). Après avoir fusionné les résultats, et supprimé les doublons, j’obtiens 80 articles comportant au moins une fois les termes rimonabant ou acomplia entre le 28/05/2002 et le 07/11/2008.

Après une première lecture, j’ai retenu les critères d’étude suivants:

  • informations utiles à la prescription (indications, posologie, contre-indications, précautions d’emploi, effets secondaires, surdosage)
  • informations sur la physiopathologie et les recherches fondamentales en cours
  • informations réglementaires émises par l’AFSSAPS ou l’EMEA (Obtention d’AMM, retrait d’AMM, surveillance…)
  • informations économiques
  • divers (informations inclassables dans les quatre autres catégories)

Pour chaque article, j’ai classé la ou les informations délivrées dans une ou plusieurs de ces 5 catégories.

Par ailleurs, j’ai noté la source d’information de l’article, lorsqu’elle était indiquée (congrès, symposium, communiqué de presse…), et la qualité du rédacteur (non nommé, médecin, non médecin…).

Quarante sept informations utiles à la prescription ont été diffusées tout au long des 80 articles que le Quotidien a consacré au rimonabant.

27 concernaient la tolérance, 14 les indications selon l’AMM, 5 les contre-indications, 1 la posologie, 0 le surdosage.

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Toutefois, si on fait une analyse qualitative, on se rend compte qu’une grande partie des mentions faites sur la tolérance du rimonabant étaient plutôt rassurantes.

Avant le 13 juin 2007 et la réponse négative de la FDA, les données de pharmacovigilances glanées au cours des différentes études sont en effet plutôt rassurantes. Il est donc « normal » de ne pas trouver d’interrogations spécifiques à ce sujet. Par contre, à partir du 13 juin, le problème de la tolérance du rimonabant va être mis partout ailleurs au devant de la scène, notamment par l’EMEA et l’AFSSAPS, et y rester, jusqu’à sa conséquence logique, le retrait de l’AMM.

On citera par exemple le paragraphe suivant tiré de l’article « Diabète de type 2 et obésité. Une prise en charge commune » daté du 25/06/08, puis repris intégralement dans deux autres articles, le 27/06/08 et le 12/09/08:

« Le profil de tolérance du rimonabant a été conforme à celui observé dans les études antérieures. Dans le groupe rimonabant, il y a eu davantage de troubles digestifs (nausées = 11 % vs 1,6 % ; diarrhée = 7,3 % vs 6,4 %) et de troubles psychiques (anxiété : 14 % vs 4,3 %, humeur dépressive 10,1 % vs 4,3 %), mais il n’y a pas eu plus d’effets indésirables graves. ARPEGGIO fait partie du programme de phase IIIB évaluant l’intérêt du rimonabant dans la prise en charge du diabète de type 2 et des maladies cardio-vasculaires. »

Cette mention plutôt rassurante du profil de tolérance de l’étude ARPEGGIO est la seule de cette série de trois articles quasiment identiques, qui reprennent l’historique des différentes études faites sur le rimonabant.

Pourtant, la tolérance du produit était sur la sellette depuis le 13 juin 2007, date du refus de la FDA, motivé par les risques psychiatriques, et surtout la notification de contre-indication de l’EMEA du 19 juillet 2007.

Enfin, le 11 juillet 2008, c’est à dire entre la parution du premier article et des deux autres, l’ AFSSAPS avait publié une nouvelle mise en garde de pharmacovigilance sur les risques psychiatriques du rimonabant.

On peut objecter que ces articles étaient des compte-rendus de résultats d’études, même anciennes (2004 pour le programme RIO), mais il est tout de même curieux de ne trouver aucune mention de données importantes et récentes de pharmacovigilance.

L’article « Stratégie thérapeutique dans le diabète de type 2. Les critères de choix d’une bithérapie« , daté du 16/10/08, c’est à dire exactement 7 jours avant le retrait de l’AMM du rimonabant est aussi tout à fait étonnant, puisqu’il cite ce produit comme une alternative thérapeutique dans le diabète de type 2 [note de l’auteur, ce qui est soit dit en passant une indication hors AMM] sans faire la moindre mention aux effets secondaires, ni aux mesures de pharmacovigilance mises en place par les autorités sanitaires:

« – Le rimonabant, indiqué pour le traitement des patients obèses (IMC ≥ 30 kg/m2), ou en surpoids (IMC > 27 kg/m2), avec facteurs de risque associés, tels qu’un diabète de type 2 ou une dyslipidémie, en association au régime et à l’activité physique, a l’avantage de favoriser la perte de poids et notamment la diminution du tour de taille. En outre, 50 % de son effet sur la diminution de l’HbA1c (qui est d’environ 0,6 %) est indépendant de l’effet « perte de poids ».« 

Si l’on recherche les occurences des termes « suicide(s) » et « idées suicidaires » dans les 80 articles retenus, on retrouve leur mention aux dates suivantes:

  • 12/09/08: mention de risque suicidaire chez le sujet obèse, en général, avec pour le rimonabant le profil de risque déjà cité plus haut. Curieux que ce risque suicidaire « spontané » ressorte au moment même où le rimonabant a des soucis avec ce même risque suicidaire. Ce n’est pas le médicament qui pose problème, mais la pathologie.

  • 18/04/08: article qui parle le plus du risque de dépression et de suicide chez les patients sous rimonabant. L’auteur indique que le risque est de 1.8, mais qu’il porte plus sur des idées suicidaires que sur de véritables tentatives. Enfin, il précise les précautions à prendre chez le patient aux antécédents psychiatriques et recommande d’arrêter le traitement en cas de survenue d’anxiété/de dépression.

  • 20/11/07: mention de la méta-analyse danoise du Lancet qui a mis en évidence un sur-risque de dépression chez les patients traités par rimonabant. L’article se termine par un communiqué rassurant de Sanofi.

  • 05/07/07: report de la présentation du dossier d’AMM devant la FDA après le rejet par les experts le 13/06/07. Cet article explicite donc ce refus. Les trois derniers paragraphes de l’article mentionnent respectivement les investigations en cours de l’EMEA sur le sujet, la confiance de Sanofi dans sa molécule, un petit rappel physiologique et qu’il est autorisé dans 42 pays et commercialisé dans 20.

L’obtention de l’AMM en Europe le 21 juin 2006 a fait l’objet de 18 mentions, dont 14 reprenant le libellé de l’AMM.

J’ai retrouvé cinq mentions de contre-indications, dans les articles datés du 26/07/07 (à la suite du communiqué de l’EMEA du 19/07/07) , 27/08/07 (erratum du premier article), puis les 20/11/07, 07/01/08 et 23/04/08.

La posologie usuelle est mentionnée une seule fois le 03/04/07.

Les risques liés au surdosage, très théoriques, il est vrai, ne sont pas décrits.

On retrouve 16 explications de physiopathologie, principalement dans les années 2004 et 2005 et 3 références à des travaux de recherche fondamentale (1 sur la sensibilité à l’insuline le 26/09/07, 1 sur l’eczéma de contact le 08/06/07, 1 sur la fibrose hépatique le 23/05/06).

Des informations réglementaires concernant le rimonabant sont reprises 11 fois.

Le plan de surveillance renforcée des effets secondaires de l’AFSSAPS est notifié aux lecteurs du QdM dès le 21/02/07 (le communiqué de l’AFSSAPS dont je dispose étant daté du 29/03/07).

La publication d’une fiche du bon usage en avril 2007 par l’HAS n’a pas été indiquée.

La notification de contre-indication chez les patients souffrant de dépression caractérisée ou traités par un antidépresseur dépressif faite par l’EMEA et répercutée par l’AFFSAPS le 19/07/07 a donc été faite dès le 26/07/07, avec un erratum le 27/08/07.

L’alerte émise par l’AFSSAPS le 11/07/08 n’a pas été mentionnée.

En octobre 2009, le retrait de l’AMM du rimonabant daté du 23 octobre 2008 n’avait toujours pas été mentionné par le Quotidien du Médecin à ses lecteurs.

Au cours des 80 articles que le Quotidien a consacré au rimonabant, j’ai compté 10 mentions relevant du domaine des informations économiques.

La première apparition, qui est est aussi la première du rimonabant dans le Quotidien est datée du 28/05/2002. La direction de Sanofi plaçait dans sa molécule de grands espoirs de croissance.

La dernière date du 12/09/08 et annonce le remplacement du directeur général de Sanofi-Aventis, probablement à la suite de l’échec du rimonabant devant la FDA en juin 2007.

Enfin, j’ai répertorié 7 informations que j’ai classées dans la catégorie « divers »:

  • le 18/03/08: nouvelle présentation de l’Acomplia (30 comprimés par boite à la place de 28)
  • le 17/12/07: simple mention du nom rimonabant dans le cadre d’un traitement anti-diabétique [là aussi, hors AMM]
  • le 27/11/2007: idem que supra, sauf que là, la mention semble faire partie de l’AMM.
  • le 18/06/2007: la FDA émet un effet défavorable pour l’obtention de l’AMM aux États-Unis. L’article est remarquable de concision, car il omet totalement de préciser la raison de ce refus pourtant inattendu et lourd de conséquences.
  • le 15/06/07: le rimonabant a gagné le « prix MEDEC de l’innovation thérapeutique » de l’année 2007. Ironiquement, cette annonce a eu lieu 2 jours après l’échec devant la FDA pour les incertitudes sur les risques psychiatriques.
  • le 09/03/2007: simple mention du rimonabant dans un article sur le système endocannabinoïde et la douleur.
  • le 14/11/2006: mon article préféré, celui qui annonce l’obtention par le rimonabant d’une AMM au Mexique. Le Quotidien choie ses médecins abonnés francophones, prescrivant au Mexique, les seuls intéressés par cette information.

La première grande limitation de cette étude est qu’elle n’est pas scientifique. Si elle l’a été un jour, en projet, elle l’est devenue de moins en moins au fur et à mesure que je creusais le sujet.

L’autre grande limitation est le moteur de recherche du Quotidien dont je ne connais aucune caractéristique, notamment la base de données qu’il permet d’explorer. Si ça se trouve, le Quotidien a publié des dizaines d’articles exposant leurs doutes sur la sécurité d’utilisation du rimonabant à partir du 13/06/07 (date de l’avis négatif des experts de la FDA) ou diffusant les alertes de sécurité des autorités sanitaires, notamment l’alerte de l’AFSSAPS du 11/07/08 et la nouvelle de la suspension d’AMM de ce produit. Si l’un de vous trouve un de ces articles, qu’il n’hésite pas à m’en faire part, je corrigerais bien volontiers mes données.

Je vous propose un petit jeu qui devrait être tout aussi éclairant qu’une fin d’article laborieuse.

Je vais vous fournir cinq couples d’extraits de textes traitant du rimonabant.

Cinq d’entre eux sont tirés d’articles du Quotidien du Médecin, les cinq autres de documents émanant de Sanofi-Aventis, (lettres aux actionnaires, communiqués de presse, mises à jour réglementaires…).

Devinez quelle est la source de chaque extrait, ça devrait être facile:


  • 1.a ). « Deux études pivot montrent l’intérêt d’Acomplia TM (rimonabant) pour une nouvelle approche de prise en charge du risque cardiovasculaire chez les personnes en surpoids ou obèses et chez les fumeurs. Les résultats des essais Rio-Lipids et Stratus-US annoncés aujourd’hui à l’occasion du congrès de l’American College of Cardiology. »

  • 1.b ). « RIO-Lipids et Stratus-US, deux études pivots dont les résultats viennent d’être présentés pour la première fois au cours du Congrès annuel de l’American College of Cardiology, suggèrent que le rimonabant est un traitement prometteur permettant à la fois de lutter contre l’obésité et d’aider à l’arrêt du tabagisme. »


  • 2.a ). « Le rimonabant est le premier antagoniste des récepteurs CB1 approuvé dans cette indication. Ces récepteurs sont présents dans le cerveau et les organes périphériques qui participent au métabolisme du glucose et des lipides, y compris tissu adipeux, foie, voies digestives et muscles. En bloquant sélectivement les récepteurs CB1, Acomplia freine la suractivation du système endocannabinoïde au rôle important dans la régulation du poids, de l’équilibre énergétique et du métabolisme glucido-lipidique. »

  • 2.b ). « Le rimonabant est le premier inhibiteur sélectif des récepteurs CB1 permettant de réduire la suractivité du système endocannabinoïde (système EC), récemment caractérisé. Les récepteurs CB1, qui font partie du système EC, sont situés dans le cerveau mais aussi dans les organes périphériques et notamment dans le tissu adipeux, le foie, les muscles, le pancréas et les voies digestives. Des recherches ont montré que le système EC joue un rôle important dans l’équilibre énergétique et qu’il intervient directement dans le métabolisme du sucre et des graisses. »


  • 3.a ). « Une suractivité du système EC entraîne un gain de poids et favorise le stockage des graisses dans les cellules et dans le foie. »

  • 3.b ). « La suractivité du système endocannabinoïde (système EC) dans le tissu adipeux et les muscles favorise l’accumulation de graisse et diminue la capture du glucose, ce qui peut accroître le risque de développer une résistance à l’insuline et une mauvaise tolérance au glucose. »


  • 4.a ). « L’étude RIO-Lipids est la première des quatre études de phase III du programme RIO destiné à évaluer la tolérance et l’efficacité du rimonabant sur la perte de poids et les facteurs de risque métabolique chez 6 600 obèses. »

  • 4.b ). « L’essai RIO-Lipids fait partie des quatre études de phase III constituant le programme RIO, qui évalue l’effet du rimonabant sur les facteurs de risque cardio-métabolique chez plus de 6600 patients en surpoids ou obèses. »


  • 5.a ). « L’approbation d’Acomplia se fonde sur des données dont celles du programme RIO : administré à raison d’un comprimé à 20 mg/j, Acomplia permet une réduction significative du poids et du périmètre abdominal, des taux d’HbA1c et de triglycérides ainsi qu’une augmentation des taux de cholestérol HDL. »

  • 5.b ). « Les résultats du programme RIO montrent qu’administré à raison d’un comprimé de 20 mg par jour ACOMPLIA® permet une réduction significative du poids et du périmètre abdominal, des taux d’HbA1c et de triglycérides, ainsi qu’une augmentation des taux de cholestérol HDL, le « bon » cholestérol. »