La disparition

Je viens juste de recevoir le supplément ESC 2014 de la revue du SNSMCV, « Le Cardiologue ».

couverture le cardiologue

Évidement, je me suis jeté dessus pour savoir ce qu’il fallait retenir de cette ESC.

En fait, je me suis surtout jeté dessus pour savoir ce que la revue disait de l’étude SIGNIFY.

Détail important, depuis au moins 2010 (je n’ai pas d’accès avant), cette revue publie des suppléments spéciaux sur le congrès annuel de l’ESC, réalisés avec le soutien des laboratoires Servier. 

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À chaque fois, l’ivabradine est bien mise en vedette, alors même qu’aucune étude originale la concernant est présentée au congrès (je ne parle pas des méta-analyses, études post-hoc…).

Par exemple ce numéro du 3 septembre 2013 est assez représentatif puisqu’il va chercher deux posters et un abstract (!!) pour pouvoir parler de l’ivabradine sur trois paragraphes avant la pièce de résistance qui remet encore une couche sur l’importance d’avoir une fréquence cardiaque basse grâce à l’ivabradine.

2014 étant a priori une année capitale pour l’ivabradine avec SIGNIFY, j’ai pensé juste avant l’ESC que « Le Cardiologue » et Servier allaient nous faire un orgasme.

Mais SIGNIFY a été un échec (en tout cas jusqu’à la prochaine analyse post-hoc positive).

Je me suis alors demandé comment allait être présentée la chose.

Première surprise , Servier n’est plus partenaire de ce supplément qui n’est d’ailleurs plus quotidien.

Deuxième surprise, de taille, celle-là, ce spécial « Best-of » ne mentionne même pas SIGNIFY:

sommaireEn novembre 2013, un des auteurs du supplément ESC de la revue « Le Cardiologue » est donc arrivé à écrire un paragraphe  entier sur un poster (favorable) étudiant l’effet de l’ivabradine sur des paramètres échographiques et la capacité à l’effort de 30 (je dis bien trente) patients porteurs d’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée (poster 3324).

En septembre 2014, le même auteur n’est pas arrivé à écrire un seul mot sur une étude de morbi-mortalité randomisée multicentrique de 19102 patients parue dans le NEJM,  défavorable à l’ivabradine.

Je suis perplexe.

Mais l’auteur devait s’attendre à ma surprise, car il en parle dans son édito:

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Notez que je ne fais pas de reproche, je suis perplexe.

Imaginons  que j’ai eu l’idée saugrenue de ne confier ma FMC qu’à la revue « le Cardiologue ».

Je sais, c’est fou, mais imaginons.

Et bien , je ne saurais même pas que SIGNIFY a été publiée et je continuerais à prescrire larga manu de l’ivabradine à mes patients car ça a bien marché sur le TRIV de 30 patients en insuffisance cardiaque diastolique.

pour mémoire

« …dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche… »

Mouhahahahahahahaha…

Je me répète, mais l’ivabradine, c’est magique.

SIGNIFY, la semaine d’après…

Bon, je suis quand même un peu déçu par le manque d’entrain qu’on montré les gens pour défendre l’ivabradine.

Mais tout le monde n’est pas encore rentré, Cardiologie Pratique et Le Cardiologue sont encore en congés, j’ai encore un peu d’espoir. Ma veille a quand même ramené quelques (maigres) perles.

Je suis d’abord allé voir une source fiable d’informations, le site officiel de l’essai signify-study.com .

Pas de panique, aucune raison pour l’EMA de réévaluer l’efficacité de l’ivabradine, l’effet est « neutre ».

La section Results ne parle pas du tout de la sur-morbimortalité observée dans un sous-groupe de 12049 patients, mais je le comprends, car:

  • C’est une analyse en sous-groupe et ces analyses doivent être considérées avec circonspection.
  • Il n’y avait plus de place sur le site ouèbe.
  • Le rédacteur a été tué par une chute de météorite contenant de la kryptonite et il n’y a que lui qui avait les codes.

Signify ResultsPour ceux qui veulent vraiment en savoir plus, le site propose tout en bas de la page un lien vers des diapos ou le site du NEJM.

Signify results 1Sur les diapos, on parle un peu du fameux sous groupe, on arrive même à discerner un espoir soulevé par la prescription d’ivabradine (qui-devra-faire-l’objet-d’une-étude-pour-confirmer-ces-résultats-encourageants):

Signify diapoDans le sous-groupe en question, on observe une augmentation de la mobi-mortalité et une amélioration des symptômes et une diminution du nombre de revascularisations.

L’ivabradine reste donc le bon médicament qu »il a toujours été.

Ceux qui ont de bonnes lunettes ont peut-être une vague inquiétude sur cette vague histoire de morbimortalité qui serait peut-être augmentée, enfin bref…

Et bien non, car cet article indique clairement que les auteurs ont dit que ce sur-risque était non significatif:

Signify internal Med News

Le NEJM ne dit pas pareil (p=0,02), mais bon, les stats c’est compliqué, et il ne faut pas se noyer dans les détails. Non?

Les auteurs sont quand même un peu gênés aux entournures par les résultats de SIGNIFY (allez savoir pourquoi). Et ils ont plein de bonnes raisons pour expliquer l’effet « neutre » de l’ivabradine (huhuhu, j’adore vraiment cet adjectif: François Hollande a actuellement une popularité neutre, Thomas Thévenoud a eu un effet neutre sur le budget de l’État…):

A number of hypotheses may explain the SIGNIFY findings.

« It is possible that ivabradine decreased the heart rate too much or that there may be a J-shaped curve for the relationship between heart rate and outcome, » the investigators said, explaining that « ivabradine may have unintended effects (e.g., adjustment of the doses of other heart-rate lowering agents) that may have affected the potential benefits of the lowering of heart rate with ivabradine. »

Further, heart rate-reducing antianginal agents may have no effect on outcomes in patients with stable coronary artery disease, they said.

The findings may also reflect the fact that an elevated heart rate is due to different pathophysiological mechanisms in those with heart failure and those with stable coronary artery disease, they noted.

« Given that the primary cardiovascular effect of ivabradine is to reduce heart rate, these results suggest that an elevated heart rate is only a marker of risk – but not a modifiable determinant of outcomes- in patients who have stable coronary artery disease without clinical heart failure, » they concluded.

On va reprendre un peu plus doucement car il y a quelques points que je ne comprends pas du tout.

La FC ne serait donc pas un déterminant du pronostic. Cela, je ne le comprends pas, car depuis BEAUTIFUL, tous les leaders d’opinions nous disaient exactement l’inverse:

Caducee 2caducee 1

  • Consensus Online. Juillet 2012

consensus online

Medscape.frSi je regarde le papier du NEJM sur SIGNIFY (peut-être ne devrais-je pas), je constate justement que la FC du groupe sous ivabradine est exactement dans la cible indiquée:

At 3 months, the mean heart rate was reduced to 60.7±9.0 beats per minute with ivabradine and to 70.6±10.1 beats per minute with placebo.

Pourquoi alors parler de courbe en J alors qu’une analyse post-hoc de BEAUTIFUL et plein d’experts disent depuis 2009 qu’une fréquence cardiaque basse est un excellent marqueur pronostique?

Un collègue, fou ou drogué ou plus probablement les deux m’a dit que rétrospectivement cela aurait été un « argument marketing du labo pour nous faire prescrire de l’ivabradine »

Revue med suisse

Pauvre Kim Fox, ces résultats l’ont tout retourné:

Kim Fox Signify

Mais il n’y a pas que lui…

Hier j’ai croisé dans les couloirs la visiteuse médicale de Servier avec son supérieur.

Après la bise polie de rigueur, je me suis éloigné, comme d’habitude, car je ne reçois pas la visite médicale.

J’ai quand même eu envie de la taquiner un peu:

-Moi: je suis un peu occupé, mais c’est dommage j’aurais eu envie de parler de SIGNIFY!

Elle m’a regardé.

Je l’ai regardé de loin, elle était floue car je suis myope.

-Elle: mais ce n’est pas possible, vous ne recevez pas la visite médicale!

Je l’ai regardé en forçant, je n’en croyais pas mes oreilles.

Bref, la visiteuse médicale de Servier venait de me rappeler les termes de la charte Non merci de La Revue Prescrire.

L’ivabradine, c’est magique.

Et hop, le lapinch, il est plous là!

Il n’a pas fallu attendre beaucoup plus d’une heure pour avoir les premières réactions minimisant les résultats de SIGNIFY.

Deux jolies contorsions sont visibles dans cet article de Medscape.com:

« Although this is a subgroup of an overall neutral trial, it is a group of more than 12 000 patients, who were studied where the therapy is approved and in use outside the United States, » write Drs E Magnus Ohman and Karen P Alexander (Duke University, Durham, NC).

(On ne dit pas negative chez le sponsor, mais neutral. On ne dit pas non plus positive mais a breakthrough result of a landmark trial )

et

We should be very cautious in interpreting subgroup results, » observe Ohman and Alexander. « The next natural step would be to carry out a second study . . . to ascertain whether this angina subgroup is really one in which we should exercise caution. »

(Les sous-groupes, il faut vraiment s’en méfier…)

Huhuhuhuhu…