Les ciseaux de Covington

J’aurais pu appeler cette note Eux et Nous, mais j’ai préféré un titre hommage à un article du NYT qui m’a particulièrement marqué.

Une vidéo qui circulait partout la semaine dernière (depuis, nous sommes passés par trois autres scandales) montrait la confrontation entre un adolescent blanc portant une casquette MAGA rouge et un amérindien lors d’une manifestation à Washington. Cette vidéo a provoqué un torrent de commentaires, parfois violents, et même des menaces envers l’adolescent et sa famille. Elle a profondément scindé l’opinion américaine.

Les anti-Trump, notamment la majorité des médias, ont stigmatisé l’attitude jugée méprisante, voire hostile du jeune homme en l’associant à la politique xénophobe de Trump. Ce qui, de toute évidence, est stupide puisque les amérindiens étaient présents aux EU bien avant l’arrivée des européens. Les pro-Trump ont, de leur côté, jugé que cette histoire était une fakenews montée à partir de rien par les médias libéraux.

Or, il semble que l’histoire soit sensiblement plus nuancée que la narration simpliste mais politiquement opportune qu’ont bien voulu en faire chacun des deux camps antagonistes, toujours prêts à faire parler la poudre pour terrasser l’ennemi. Aux dernières nouvelles, le groupe d’amérindiens se serait interposé entre les adolescents et un autre groupe, pour le coup agressif, lui. Les versions de l’homme amérindien ont beaucoup varié au fil du temps, et plus personne ne sait si l’adolescent était agressif ou simplement nerveux.

Le journaliste du NYT, journal violemment anti-Trump, a commencé son article de manière assez classique, en constatant la déchirure profonde au sein de la société étasunienne que Trump a révélé, accentué ou provoqué (en fonction des interprétations). Il a pris une image assez parlante, celle de ciseaux qui coupent irrémédiablement une population en deux blocs irréconciliables.

Comme le jeune homme vient d’une école catholique située à Covington au Kentucky, il utilise l’expression Convington Scissor, les ciseaux de Covington.

L’article, jusque-là, très convenu, il faut bien le dire (il y a une déchirure dans la société, travaillons ensemble pour la réparer), prend alors une tournure bien plus excitante quand le journaliste se fait interpeller par sa conscience.

Comme toutes les consciences, elle lui dit des choses désagréables.

Elle lui dit que la soi-disant presse non-partisane, dont il fait partie, est tout sauf objective, qu’elle s’empare de la moindre anecdote apparemment compromettante pour le camp pro-Trump, sans faire aucune vérification, puis la diffuse en boucle 24h/24. Ce qui évidemment donne du grain à moudre à l’autre camp. Et tout cela ne va faire qu’empirer.

Le journaliste lutte contre sa conscience qui, en conclusion, lui demande perfidement si il compte fermer son compte Twitter afin de briser le cercle vicieux.

Parfois, je me pose aussi la question de fermer Twitter, tellement il devient difficile de trouver un sujet non clivant.

Même parler de la météo devient risqué.

Il y a toujours un cavalier blanc, un pur, un opprimé ressenti, qui vient vous montrer du doigt, voire vous jeter des pierres.

Je suis tellement devenu neutre, que j’en suis devenu insipide. Un jour j’ai parlé de chamanisme et une pure m’a montré du doigt. 

Je voudrais parler de l’homéopathie, de mes patients racistes, de médecine, mais les pénibles et les luttes qui leur permettent d’exister m’épuisent.

Une fois, j’ai eu le malheur d’utiliser une expression bien anodine, mais qui a néanmoins réussi à ébranler une institution jusqu’à ses pinacles. On m’a convoqué et démontré très savamment que j’étais misogyne (si si, je vous le jure) en me faisant un cours d’étymologie, et que même si par miracle, je ne l’étais pas, c’était tout comme, car j’étais un personnage public (si si, je vous le jure aussi), et que c’était grave pour l’institution (pourtant solide).

Un jour (il y a pas mal de temps maintenant), grande folie et suprême affront pour les professionnels de la profession, j’ai osé parler de patients.  Une note entière m’a démontré que j’étais paternaliste et hautain (comme tous les médecins, non?).

Un autre pur n’a pas trop apprécié que je ne donne pas mon avis sur un sujet pourtant impérativement passionnant. Même la non-opinion devient blâmable. A un moment, je me suis cru dans un Tontons flingueurs vaguement angoissant: ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous (bruits de silencieux).

On ne juge plus un être humain dans toute sa complexité, mais la case dans laquelle on a suprêmement, de la hauteur de toute sa considérable intelligence, jugé qu’il devait être classé, rangé.

Mene, Mene, Tekel u-Pharsin.

Eux contre nous, pas toi et moi.

Le monde fait peur, on se sent en danger, alors on croit se rassurer en le normalisant, en le découpant en petites cases simples, bien délimitées laissant croire qu’on l’appréhende quand même un peu. Eux d’un côté, nous de l’autre, simple et rassurant.

Et comme l’inculture progresse à grands pas, rendant de plus en plus difficile toute analyse des nuances du monde, et, facteur aggravant, l’analyse de sa propre place dans ce monde, le phénomène ne peut que s’amplifier. Jusqu’à ce que…

Chaque sujet, même le plus anodin est livré avec ses ciseaux de Covington qui coupent le monde en deux camps irréconciliables, eux et nous. La polarisation est telle, que même les gens, dont je me sens proche, ceux de mon camp, pour céder à la polarisation ambiante, tournent en boucle, deviennent intolérants à la discussion et finalement totalement ineptes, exactement comme ceux d’en face. Parce que, à force de polarisation, on finit toujours par devenir pires que ceux d’en face, exactement comme le NYT et ses journalistes.

Alors je bloque certains mots, je me désabonne même de gens que j’aime bien, et je ne parle plus que de rien.

Sachez-le, le on ne peut plus rien dire n’est pas la phrase type des extrémistes, mais c’est celle aussi des modérés. Et cela, ce n’est pas forcément bon signe pour l’avenir.

Didier

J’ai un nouveau ancien copain, il s’appelle Didier.

Malheureusement, il a un cancer du larynx et il ne peut pas payer les dépassements d’honoraires des médecins d’une clinique de Lille car sa carte bleue est bloquée. Si je lui avance 1500€, promis, il me les remboursera dans 72h.

Ce coup, appelé « arnaque nigériane » est vieux comme le monde, puisque internet n’a fait que permettre le développement d’une escroquerie datant du XVIIIième, les fameuses « Lettres de Jérusalem« .

L’arnaque est donc ultra-classique, mais je me suis dit que plus on la diffuse, et moins des gens se feront avoir.

Le nom de « mon ami » ne m’est pas inconnu, en fait. C’est même un confrère avec qui j’ai échangé en 2014.

Sa boite mail est identique, à une lettre près. Par exemple didier.ddupont@orange.fr contre didier.dupont@orange.fr. Je lui ai demandé à plusieurs reprises l’adresse exacte de la clinique afin que je puisse lui envoyer des bonbons (je fus un peu cynique), sans succès. Par contre, il m’a fait parvenir assez rapidement le RIB de « l’établissement », qui entre deux messages a changé de nom, et surprise, le compte est domicilié dans une banque maltaise.

J’imagine un rabatteur qui bosse pour une grosse organisation et qui « travaille » à partir d’un cybercafé (son adresse IP est apparemment bien connue dans le monde de l’arnaque et le localise dans la banlieue parisienne).

Ils doivent avoir des objectifs de rendements, un contrôle qualité, et des certifications car après l’avoir un peu baladé, je n’ai plus de nouvelles de lui…

J’ai signalé le compte à Orange, et au service Signal-Spam.

J’ai aussi prévenu le confrère. 

Le chiffon rouge

Depuis quelques jours, ma TL est polluée tous les trois tweets par des propos ineptes. Je ne suis pas abonné à l’auteure, dont je ne connaissais même pas l’existence, mais les amis que je suis rapportent ses propos, les diffusent, les tweetent et les retweetent des dizaines des centaines de fois en contre-argumentant et en disant tout le mal qu’ils en pensent.

Primo je n’aime pas la curée qu’organisent les amis autour d’une femme, qui aussi inepte soit-elle est un être humain, et qui a encore tout à fait le droit de raconter des âneries plus grosses qu’elles. Je sais que @docdu16 écrit en ce moment même une note sur cette curée. J’ai hâte de le lire. Je pense que nous ne sortons pas grandis en participant à l’acharnement de la meute sur une femme jugée misérable. Par qui d’ailleurs? La justice populaire? À qui le tour la prochaine fois? Moi, après cette note, ou @docdu16, après la sienne?

Secundo, je pense que la meilleure attitude devant la bêtise, l’ignorance, l’obscurantisme, le goût du lucre, la soif de pouvoir, la méchanceté est de traiter par une bonne dose de mépris, matin midi et soir. Il est difficile de rester silencieux devant tout cela, mais cette attitude détachée est salutaire. Pensez-vous vraiment qu’elle soit accessible aux arguments raisonnables? Au sarcasme? A l’insulte? Je ne le pense pas. Notre réaction ne peut que la fortifier dans ses errements, elle seule contre la meute médicale, contre les puissants… Vous connaissez très bien cette dialectique du faible contre le fort, beaucoup se rêvent en Erin Brokovich. Notre agitation est parfaitement vaine, pire, elle la fortifie dans ses convictions, et encore pire, elle lui donne une merveilleuse tribune.

A l’heure ou j’écris, son compte « pèse » 3705 followers.

Je souhaite remercier au nom de son attaché de presse (elle a un bouquin à vendre), et en son nom @LehmannDrC (6338 followers), @Monparnal (1804), @panarmorix (1859), @docjulien59 (1299), @qffwffq (6768) @wargonm (1618), @PoloSven (896), @jdflaysakier (25,3K), @docdu16 (2524), @DocArnica (9791), @Entre2chaises (1222), @docmamz (3998), moi (3468) et pas mal d’autres d’avoir amplifié son discours, de l’avoir sortie du néant, de lui avoir  permis de jouer les martyres, d’obtenir peut-être quelques commandes de plus sur Amazon…

Merci pour elle.

Déclarer un effet indésirable d’un médicament dans les Bouches-du-Rhône

Imaginons qu’un médecin travaillant dans les Bouches-du-Rhône souhaite déclarer un effet indésirable d’un médicament à son CRPV (Centre Régional de Pharmaco-Vigilance).

Imaginons que c’est moi.

Je suis bien conscient de l’importance de ces déclarations, qui font le socle de la pharmaco-vigilance dans notre pays.

Pourquoi déclarer ?

Avant de pouvoir être commercialisé, un médicament subit des essais cliniques au cours desquels efficacité thérapeutique et tolérance sont étudiées. Mais ces essais portent sur un nombre relativement limité de sujets ciblés, excluant le plus souvent les personnes à risques. Ils ne peuvent donc pas prétendre déceler tous les effets indésirables du médicament étudié, mais seulement les plus fréquents.

Une fois sur le marché, le médicament sera employé chez une multitude de patients très différents les uns par rapport aux autres (état pathologique, prise d’autres médicaments, âge, etc.). Des effets indésirables non mis en évidence lors des essais cliniques, peuvent surgir à tout instant.

Vos notifications spontanées d’effets indésirables médicamenteux graves ou inattendus sont nécessaires pour identifier de nouveaux risques, et prendre rapidement les mesures nécessaires pour assurer la sécurité d’emploi des médicaments après leur mise sur le marché.

Je sais que dans ANSM, il y a Sécurité. Je vais donc consulter cette page, et rechercher mon CRPV:

je clique (bêtement) sur le lien et tomber sur cette page, merveille de modestie et d’ergonomie que le monde nous envie :

J’essaye « démarches en ligne » pour déclarer mon effet indésirable en ligne (l’AP-HM est assez excellente pour parler de/sur LinkedIn, ça doit donc bien être possible, non?) :

Caramba, encore raté

Finalement, en tapant CRPV et Bouches-du-Rhône dans Google, car je n’ai pas encore renoncé à ma démarche (j’en veux vraiment et j’ai apparemment du temps à revendre…), je tombe sur le bon site, dédié au CRPV et non aux prouesses graphiques et sportives de l’AP-HM.

Top, je vais  pouvoir enfin déclarer mon EI en ligne (ça doit bien être possible, non?):

Non, bon, bon, bon, il n’est toujours pas possible de déclarer en ligne (en 2017…), mais pas grave, petit clic sur le lien pour obtenir le Cerfa (voire peut-être, orgasme possible en vue, remplir le PDF en ligne, l’enregistrer et l’envoyer par mail à l’adresse indiquée ??). Quand je vous disais qu’il faut vraiment être motivé pour déclarer. 

Alors, possible, pas possible d’obtenir le Cerfa?

Je vous sens pendu à mes lèvres… Et bien non!

Caramba, encore raté… 

J’ai raconté l’histoire sur Tweeter et mes copains pharmaco-vigilants m’ont donné ce lien pour déclarer un EI en ligne.

Mais finalement, je n’ai pas déclaré mon effet indésirable…

Pourtant, on ne peut pas dire que je ne sois pas sensibilisé à l’importance de faire ces déclarations (bon, aujourd’hui, je n’y avais pas pensé avant que l’excellent @Reseau_CRPV ne me le rappelle). Alors imaginez si un praticien de la région, pas plus impliqué que cela avait un jour l’idée folle de déclarer un EI…

Ce n’est pas bien, mais j‘ai préféré écrire cette note pour décrire une situation fort triste. On verra demain si j’ai le temps entre réunions avec la direction, examens para-cliniques à faire, cabinet, les enfants à gérer…

Nous sommes le 3 avril 2017, et dans les Bouches-du-Rhône (ailleurs, je ne sais pas), tout est fait pour que le praticien ne puisse pas améliorer notre système de pharmacovigilance. 

Rien n’est épargné au praticien, absolument rien: mauvais lien sur le site de l’ANSM, lien brisé sur le site du CRPV, absence de possibilité de déclarer en ligne. Même la fatuité vaine et l’ergonomie dramatique du site de l’AP-HM semblent n’être là que pour lui faire perdre son temps.

Champions du Monde, et à jamais les premiers, en effet, vous avez tout juste.

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