Autopsie du retour d’un mort-vivant, la dénervation rénale.

J’espère que le grand Larry Husten me pardonnera, mais je lui ai encore piqué l’idée d’une note, et cette fois en plus, son pitch. Pour ceux qui ne le connaissent pas, Larry Husten est un journaliste médical que j’admire depuis des années.

Il écrit des analyses décapantes sur le monde de l’industrie pharmaceutique pour forbes.com.

Dans cette note, il s’intéresse au programme du congrès Euro PCR 2014 qui vient juste de se terminer à Paris. Euro PCR est le grand rassemblement européen de la cardiologie interventionnelle. Cette année, on y a beaucoup parlé de… dénervation rénale.

Cette technique invasive a comme indication le traitement de l’hypertension artérielle résistante, selon des critères bien spécifiques.

Après des premiers essais sans bras placebo plutôt encourageants, les espoirs de tout le monde ont été douchés le 10 avril dernier par SYMPLICITY HTN-3, étude qui compare la dénervation avec une procédure placebo. La conclusion de ce travail est sans ambiguïté:

This blinded trial did not show a significant reduction of systolic blood pressure in patients with resistant hypertension 6 months after renal-artery denervation as compared with a sham control.

J’avais parlé de toute cette histoire ici (et plus largement ici).

Larry Husten a été très surpris qu’Euro PCR 2014 et ses partenaires commerciaux mettent lourdement en avant une technique qui apparemment n’est pas efficace dans un vaste essai d’excellente qualité méthodologique.

En fait, j’ai quand même trouvé une session qui parlait de SYMPLICITY HTN-3:

Euro PCR dénervationCe symposium est fascinant avant même d’en lire le contenu puisqu’il est financé par Medtronic, qui commercialise le dispositif de dénervation qui a échoué dans SYMPLICITY HTN-3.

Comment promouvoir son produit en se basant sur une étude qui montre qu’il ne marche pas?

Vous allez voir, c’est presque aussi grand que du Servier.

L’ensemble des diapos de la session est visible ici.

On va regarder certaines un peu plus en détails, car ce sont des diapos de conclusion:

slide016La dénervation rénale est sûre, c’est démontré. Ah oui, au fait, mais c’est pas la peine de le retenir, elle est inefficace.

SYMPLICITY HTN-3 démontre qu’avoir un bras placebo dans une étude, c’est bien. Retenez bien ça, c’est le message essentiel!

Enfin, on va faire des études supplémentaires pour confirmer les résultats positifs montrés par les études précédentes.

[J’exagère à peine, vous ne trouvez pas?]

slide012Nous touchons du doigt un grand axiome des statistiques appliquées au marketing: il existe toujours un sous-groupe où un traitement marche, si il ne marche pas dans la population générale.

Ici, il n’y en a pas, mais certains entrevoient la possibilité d’une éventualité que ça marche chez les patients sous anti-aldostérone. Ah oui, et puis l’étude a capoté à cause des vasodilatateurs, pas à cause de la technique.

slide016bisDans le registre, ça marche, on peut donc oublier SYMPLICITY HTN-3.

Autre grand classique des statistiques appliquées au marketing, le scotome (ou l’anosognosie).

Les deux dernières diapos sont tirées de la présentation take-home message, la quintessence de ce qu’il faut retenir de la session:

slide008

slide009La première rappelle que la dénervation rénale a sa place dans les dernières recommandations ESC. Donc il faut continuer à en faire.

[La diapo ne le précise pas, mais ça doit être un oubli: ces recos ont été publiées avant l’essai qui n’a jamais existé, SYMPLICITY HTN-3]

La dernière diapo est juste grandiose et se passe de commentaire narquois, je ne peux pas faire plus caricatural que ce qui est écrit.

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kaahypn2Ayez confiance dans l’industrie pharmaceutique, nos partenaires, nos amis qui nous veulent du bien au quotidien.

 


La dénervation rénale, touchée-coulée?

La nouvelle de la négativité de l’essai SYMPLICITY HTN-3 a éclaté dans le monde de l’hypertension artérielle comme une impulsion de radiofréquence dans un ciel bleu.

Je vous avais parlé de la pré-campagne de lancement (par définition) anxiogène de fin 2011 avec les fameux 100 millions d’hypertendus résistants, et des premières retombées dans la presse médicale (ici) début 2012. Un peu plus tard, en mai 2013, l’ESC a publié des recommandations plutôt dithyrambiques favorables.

Mais de façon un peu étonnante, les hypertensiologues français, pourtant habituellement avides de nouvelles innovations thérapeutiques innovantes sont restés assez circonspects et ont publié avec les interventionnels des recommandations françaises  prudentes en avril 2012.

En septembre 2013, un papier publié dans Heart remettait en question l’importance de la réduction des chiffres tensionnels observés dans les deux premiers essais SYMPLICITY.

Par ailleurs, des méthodologistes, et même certains hypertensiologues remettaient en question l’enthousiasme spontané soulevé par cette technique révolutionnaire innovante en soulignant les limitations méthodologiques de ces deux essais, qui n’étaient finalement que des essais exploratoires de faisabilité et de sécurité (absence de groupe contrôle digne de ce nom, méthodologie discutable de la prise tensionnelle, faibles effectifs…).

Certains interventionnels continuaient à y croire fermement, même récemment (Cardiologie Pratique, 15 décembre 2013):

La dénervation rénale constitue un tournant non seulement dans le traitement de l’hypertension artérielle mais aussi dans la prise en charge du risque cardiovasculaire absolu. Son indication est le patient hypertendu essentiel sans étiologie secondaire, sans insuffisance rénale sévère, non contrôlé par une trithérapie maximale comprenant un traitement diurétique. […]

Il est important de préciser que M. M… est sorti avec un traitement inchangé. Nous avons expliqué au patient, à sa famille et à son cardiologue que, pour l’instant, le suivi permettrait sans doute de diminuer le traitement, mais pas immédiatement.

Pourquoi SYMPLICITY HTN-3 n’a pas montré des résultats similaires à ses deux prédécesseurs ?

Tout simplement car cet essai, réalisé à la demande de la FDA avait une méthodologie rigoureuse, notamment avec un vrai groupe placebo, qui a permis d’éliminer tout un tas de biais (régression à la moyenne, effet Hawthorne, biais de suivi…) et un mode de recueil de la TA plus rigoureux (par MAPA). Par ailleurs, Oh divine surprise, on a découvert que de nombreux patients hypertendus résistants ne l’étaient pas, car leur traitement n’était pas adapté (absence de spironolactone, absence de suivi hygiéno-diététique…), ou tout simplement par manque de compliance.

En 2010, après SYMPLICITY, la cause semblait pourtant être entendue (Focus sur l’AHA  2010 sur medical-congress.com):

dénervationAHA2010😉 

Rassurez-vous pour la dénervation rénale, il reste encore une bonne demi-douzaine d’indications où cette procédure a des potentialités d’être révolutionnaire (Cardiologie Pratique du 15 décembre 2013):

Depuis les premières procédures réalisées aux États-Unis en 2008, la dénervation rénale est apparue comme une alternative thérapeutique prometteuse dans la prise en charge de l’hypertension artérielle résistante. Son bénéfice pourrait toutefois ne pas se limiter au seul traitement de l’hypertension artérielle.[…]

Les résultats préliminaires de la dénervation rénale dans différentes pathologies cardiovasculaires, telles que l’insuffisance cardiaque, les troubles du métabolisme glucidique, les néphropathies chroniques, les arythmies auriculo-ventriculaires ou le syndrome d’apnée du sommeil, laissent à penser que le bénéfice de ce type de procédure pourrait s’étendre au-delà de la prise en charge de l’hypertension artérielle résistante. Il convient toutefois d’interpréter ces données préliminaires avec prudence, en attendant les résultats d’études prospectives de grande ampleur qui devraient nous permettre de disposer d’informations plus robustes à court terme.

Que retenir de cette histoire?

Trois choses fondamentales qu’il ne faut jamais oublier en analysant un essai clinique, pour limiter les risques de mal l’interpréter:

  • La méthodologie,
  • la méthodologie
  • et la méthodologie

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Pour en savoir plus:

Pivotal Medtronic Trial For ‘Breakthrough’ Blood Pressure Device Goes Down The Tubes (Forbes). Un excellent (comme toujours) article de Larry Husten.

Dénervation rénale : les leçons de SYMPLICITY HTN-3 (un bon article de Medscape.fr).

Renal Denervation Fails in SYMPLICITY HTN-3 (un autre bon article de Medscape.com)

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Aucun rapport, mais dans medical-congress.com, toujours dans les compte-rendu de l’AHA 2010, je suis tombé là-dessus.

lafindesAVKJ’ai souri

(aucun commentaire, SVP).

La dénervation rénale, c’est bien!

Enfin, c’est ce que disent les dernières recommandations ESC sur ce sujet:

Current evidence from the available clinical trials strongly support the notion that catheter-based radiofrequency ablation of renal nerves reduces blood pressure and improves blood pressure control in patients with drug-treated resistant hypertension, with data now extending out to 36 months.

Accordingly, renal denervation can be considered as a therapeutic option in patients with resistant hypertension, whose blood pressure cannot be controlled by a combination of lifestyle modification and pharmacological therapy according to current guidelines.

The fact that renal denervation also reduces whole-bodysympathetic nerve activity suggests that this therapy may also be beneficial in other clinical states characterized by sympathetic nervous system activation—this may ultimately lead to new indications.

Pour résumer le résumé, la dénervation est maintenant une option thérapeutique chez le patient présentant une HTA résistante, avec un recul de 36 mois, et cerise sur le gâteau, elle pourrait avoir des effets bénéfiques « pléiotropes » sur le diabète, l’insuffisance rénale, des paramètres d’échographie cardiaque et même sur la survenue d’arythmies cardiaques.

Une merveille, donc.

Les auteurs s’obligent  néanmoins à refréner leur enthousiasme (sinon, ce ne serait pas poli):

However, as in trials of antihypertensive drugs, SBP at baseline has been identified as one predictor of the magnitude of the BP-lowering response, which might be at least in part explained by the statistical phenomenon of ‘regression to the mean’.

Pour l’explication de ce phénomène, je vous suggère de lire le paragraphe 1.2 de ce texte.

Whether the effects of renal denervation will be sustained beyond the time span currently documented (36 months) is uncertain.

In contrast to some antihypertensive drug regimen, renal denervation has not been shown to affect cardiovascular morbidity and mortality.

Par ailleurs, vous qui adressez votre patient pour une dénervation rénale, abandonnez toute espérance de désescalade thérapeutique: il n’en a même jamais été question (faut tout vous expliquer, benêts!):

Furthermore, it is important to communicate to patients and referring physicians that renal denervation as currently deployed is designed to improve blood pressure control in patients whose blood pressure is resistant to control with conventional drug therapy. In this regard, renal denervation is unlikely to significantly reduce pill burden in most patients and is not a cure for hypertension. Neither in the Symplicity HTN-1 nor in the HTN-2 a reduction in antihypertensive background medication has been investigated as an endpoint.

Les auteurs vont assez loin pour jeter un peu d’ombre sur un texte somme toute très positif, bourré de données non publiées, d’effets incroyables sur des paramètres intermédiaires, et de perspectives physiologiquo-cliniques alléchantes.

NE dénervation(Wahoo, je veux être rénalement dénervé, ça ne peut être que bon pour ma santé!)

Ils vont même jusqu’à remarquer que certains des essais en faveur de cette technique sont financés par l’industrie:

Of note, both studies have been sponsored by the manufactures of the renal denervation device (Ardian/Medtronic).

Non! Vous plaisantez?!

Tellement contestataire et tellement dans la zeitgeist!

So chic!

Les auteurs donnent la liste des heureux bénéficiaires de ces recommandations:

Up to now, five Conformité Européenne-marked renal denervation systems using different treatment strategies are available: Medtronic’s Symplicity system, St. Jude’s EnligHTN system, Vessix’s V2 system, Covidien’s One Shot system, and Recor’s Paradise system

En gras, je vous ai fait ressortir les noms, souvent pas très connus des fabricants de matériel.

Vous les retrouverez dans la représentation graphique que j’ai faite des déclarations d’intérêts des 21 auteurs de ces recommandations.

DOI dénervation(cliquez sur l’image pour l’agrandir)

Je note que le pourcentage d’auteurs ayant des conflits d’intérêt (48%) est supérieur à celui observé pour des recommandations ESC 2012 sur la prise en charge de l’insuffisance cardiaque (38%) mais inférieur à celui des recommandations ESC 2012 sur la fibrillation atriale (90%).

38, 48, 90% des auteurs de recommandations européennes récentes qui mettent en avant une technique/une thérapeutique ont des liens financiers avec les fabricants qui la commercialisent.

Merci l’ESC!

Elle est pas belle la vie?

Et qu’on aille pas me ressortir l’éternel argument que les meilleurs experts sont ceux qui bossent avec l’industrie.

Ou sont les statisticiens/méthodologistes qui sont en général assez calés pour lire une étude et l’estimer à sa juste valeur?

Je ne suis pas certain qu’un investigateur de cette étude, ou que quelqu’un qui reçoit de l’argent du promoteur soit le plus « expert » pour le faire.

Les recommandations qui pourraient inspirer confiance devraient être écrites par 100% d’auteurs/relecteurs n’ayant pas de conflits d’intérêts, dont des méthodologistes. Après, on pourrait tout à fait imaginer un échange entre ce collège et des experts reconnus, ayant des liens avec l’industrie, ayant notamment participé aux études afin de clarifier un point, de lever une ambiguïté…

L’ESC a largement les épaules pour mener à bien une telle réforme afin de poursuivre en confiance son rôle d’éducation et d’amélioration de la prise en charge des pathologies cardio-vasculaires. Il ne manque plus que l’envie de la mener (je présume que son financement n’a rien à voir dans son manque d’entrain….).

 

Merci à mon néphrologue préféré de m’avoir fait découvrir ce texte.

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Muriel Gevrey. Enfin, des recommandations européennes sur la dénervation rénale. theheart.org. [International Editions > Édition française > Sections > Actualités > Risque CV/Prévention]; 3 mai 2013. Consulté à http://www.theheart.org/article/1535355.do le 7 mai 2013

La dénervation arrive (2)

Ca y est, elle arrive vraiment!

Dans le précédent épisode, nous avons appris grace au programme « La tension sous pression » que l’HTA résistante touchait 100 millions de personnes dans le monde entier! 100 millions! Par ailleurs, nous avons aussi appris que ces patients sont particulièrement préoccupés d’être porteurs d’une HTA résistante. D’où le cri du coeur du communiqué de presse: Les patients français ont besoin de nouvelles solutions thérapeutiques.

À la fin de ce communiqué, le lecteur, patient ou médecin se retrouve alors dans un état de stupeur et de tremblements. Il attend avec fébrilité un message d’espoir.

Celui-ci  se manifeste dans le Cardiologie Pratique du 8 février.

Nous entrevoyons en effet la lumière au bout de l’artère rénale, puisque le premier journal cardiologique français consacre une pleine page à la dénervation rénale, avec juste à côté une énorme publicité pour le système de dénervation Medtronic (qui, hasard étonnant, finance par ailleurs le programme « La tension sous pression »).

La campagne est donc lancée, je prédis dans les prochaines semaines un déferlement d’articles et d’EPU sur l’HTA résistante 😉