clopidogrel et PON1

J’adore Twitter car on peut vraiment tout en faire.

On peut très bien lire que untel ou untel s’est compté les poils de 12h à 12h30.

Mais on peut aussi suivre l’actualité scientifique la plus récente:

https://twitter.com/#!/PUautomne/status/23827715975024640

 

https://twitter.com/#!/PUautomne/status/23831616195403776

 

(merci à l’auteur!)

Le fameux schéma est celui-là:

La PON1 (paraoxonase 1) est une estérase qui semble jouer un rôle prépondérant dans le métabolisme du clopidogrel à la suite de la phase dépendante des cytochromes, notamment le CYP2C19.

Certains variants génétiques de la PON1 induisent dans une étude de cas-témoins un sur-risque de thrombose d’endoprothèse coronaire chez les patients qui en sont porteurs.

Par rapport aux patients porteurs du gène non modifié RR192, les patients hétérozygotes QR192 ont un risque de thrombose d’endoprothèse coronaire environ 4 fois supérieur. Le risque est un peu supérieur à 12 pour les patients hétérozygotes QQ192.

Cet article est intéressant à 2 titres.

Primo car il étudie des critères cliniques pertinents, c’est à dire des thromboses d’endoprothèses, et pas seulement de mesures in vitro de l’activité plaquettaire dont on ne sait jamais trop quoi faire.

Secundo, car il livre une seconde grille de lecture, qui vient se sur-ajouter à celle du CYP2C19 qui ne pouvait en aucun cas à elle toute seule expliquer les résultats très contradictoires retrouvés dans les études récentes de pharmacologie portant sur le clopidogrel et les inhibiteurs du CYP2C19 .

Or, ces études sont très à la mode en ce moment, mais leurs résultats très divergents troublent singulièrement toute tentative de synthèse.

Enfin bref, une nouvelle dimension qui va peut-être enfin clarifier (paradoxalement) les choses sur le sujet.

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Bouman HJ, Schömig E, van Werkum JW, Velder J, Hackeng CM, Hirschhäuser C, Waldmann C, Schmalz HG, Ten Berg JM, Taubert D. Paraoxonase-1 is a major determinant of clopidogrel efficacy. Nature Medicine 17,110–116(2011)doi:10.1038/nm.2281

Topol EJ, Schork NJ. Catapulting clopidogrel pharmacogenomics forward. Nature Medicine 17,40–41(2011)doi:10.1038/nm0111-40

Nacht und Nebel, immer wieder.

La détermination du génotype du CYP2C19 chez les patients sous clopidogrel promettait beaucoup il n’y a, ne serait-ce que quelques mois.

La FDA avait même modifié le RCP du clopidogrel en ce sens:

The Boxed Warning in the drug label will include information to:

  • Warn about reduced effectiveness in patients who are poor metabolizers of Plavix. Poor metabolizers do not effectively convert Plavix to its active form in the body.
  • Inform healthcare professionals that tests are available to identify genetic differences in CYP2C19 function.
  • Advise healthcare professionals to consider use of other anti-platelet medications or alternative dosing strategies for Plavix in patients identified as poor metabolizers.

La cardiologie allait enfin rentrer de plain-pied dans l’ère de la pharmacogénétique (Y a pas de raison, on n’est pas plus bêtes que les autres…).

Après l’ère des blockbusters et du one fits all, la pharmacogénétique allait nous permettre d’adapter une thérapeutique à chacun de nos patients.

Le Vanderbilt University Medical Center teste même assez systématiquement ses patients.

Mais pour l’instant, la faute probablement à l’absence de grandes études, une myriade de petites séries vient sensiblement brouiller le message en déconnectant génotype et phénotype (ce qui embêtant du point de vue du pharmacogénéticien, on peut le concevoir…).

La dernière est résumée dans un article de theheart.org.

Même le grand Topol en perd son latin:

« OK, so the platelet results and the genomic results don’t always correlate. But does that mean we should deny the benefit of the knowledge that we have today? »

Ce qui est drôle, c’est que malgré cela, des commentateurs utilisent le génotype du CYP2C19, comme si ils en maîtrisaient parfaitement le fin mécanisme pour analyser des études cliniques qui ne comportent même pas de génotypage, ici dans une énième exégèse de COGENT:

De plus, la population étudiée étant à 94 % de race blanche, la prévalence attendue d’un gène homozygote codant le cytochrome P-450 CYP2C19 n’était que de 2 à 3 %. Or chez ces sujets homozygotes, les IPP pourraient réduire d’avantage le taux des métabolites actifs du clopidogrel, conduisant à un niveau trop bas pour préserver son efficacité. Seule une étude plus vaste comportant un génotypage pourrait lever cette ambiguïté.

Je veux, mon neveu!

Vivement la sortie du brouillard.

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Sue Hughes. Double-dose clopidogrel helpful for some patients with high platelet reactivity on normal dose . theheart.org. [Clinical Conditions > Interventional/Surgery > Interventional/Surgery]; Oct 22, 2010. Accessed at http://www.theheart.org/article/1139647.do on Oct 26, 2010

La bioéquivalence en pratique

Un des principaux reproches fait par les adversaires des génériques est l’apparemment très large fourchette de tolérance (entre 80 et 125%) acceptée par les autorités sanitaires françaises lors de la détermination de la bioéquivalence d’un générique et d’un princeps.

Je n’ai jamais trouvé d’explications bien satisfaisantes sur ces limites. Pourquoi elles et pas d’autres ?

La plupart des documents sont soit non explicatifs, soit tellement techniques que je n’y comprends strictement rien.

Mais on va quand même essayer d’éclaircir un peu les choses.

Premièrement, ce n’est pas l‘action qui varie entre 80 et 125%, mais la biodisponibilité.

Byers JP, Sarver JG. Pharmacokinetic Modeling. In Hacker M, Bachmann K, Messer W. Pharmacology Principles and Practice. London: Academic Press; 2009. p. 202.

Par exemple, pour le clopidogrel, si tant est que l’on puisse mesurer son action autrement que par des critères cliniques ce serait par un test d’agrégabilité plaquettaire. Sa biodisponibilité est mesurée notamment par l’aire sous la courbe (ASC en français, AUC en anglais) des concentrations plasmatiques de clopidogrel en fonction du temps (AUC 0-t).

La biodisponibilité est censée être un reflet de l’efficacité. Tout le système de la bioéquivalence repose sur cette approximation. Après, on peut s’écharper sans fin pour savoir quelle est l’exactitude de cette approximation. Je ne vais pas rentrer dans ce débat.

Deuxièmement, et cela me semble bien plus important, ces bornes sont des bornes maximales d’acceptabilité.

C’est à dire qu’elles ne reflètent pas du tout la différence de biodisponibilité effectivement constatée entre un générique et un princeps.

Je vais prendre un exemple « chaud », un essai de bioéquivalence entre le Plavix® et le clopidogrel Mylan® qui a permis à ce dernier d’obtenir une AMM européenne.

Ce princeps et ce générique contiennent des sels différents: chlorydrate pour le générique et hydrogène sulfate pour le princeps. Mais dans les deux cas, c’est bien la biodisponibilité du clopidogrel que l’on mesure (petit rappel sur le métabolisme du clopidogrel ici).

Cet essai est disponible ici, à partir de la page 10.

Je ne vais pas décrire le protocole qui est le même pour la plupart des essais de bioéquivalence. Ici, on a étudié 96 sujets sains.

Les résultats sont les suivants (page 12) et représentent la disponibilité du clopidogrel dans le plasma:


Comme ça, ça fait peur, mais en fait, ce n’est pas si compliqué que cela.

On va se contenter de regarder la première colonne, c’est à dire l’aire sous la courbe entre t0 et un instant t: AUC 0-t.

Test, c’est le générique, Reference le princeps.

Ratio, c’est le rapport entre l’aire sur la courbe du test sur celle de la référence. C’est ce ratio dont l’intervalle de confiance doit se situer entre 80% et 125%. Ici, ce ratio est de 100% avec un intervalle de confiance de 90-110% On est donc parfaitement au sein des bornes.

BM Davit et al. Ann. Pharmacother., Oct 2009; 43: 1583 – 1597.

On va regarder très rapidement les autres colonnes: les Cmax (la concentration maximale de clopidogrel), Tmax (le temps mis pour arriver à la Cmax), et la demi-vie sont sensiblement les mêmes pour le générique et le princeps.

Voici deux autres exemples de ratios observés pour AUC 0-t:

  • clopidogrel Sandoz®: 90.43%

  • clopidogrel Qualimed®: 100%

Maintenant, vous allez me dire que ce ne sont que 3 exemples.

J’en conviens parfaitement.

Mais il y a des gens qui ont regardé de près cette fameuse différence effective. Ils ont étudié 2070 essais de bioéquivalence déposés depuis 12 ans devant la FDA.

La différence moyenne observée entre les aires sous la courbe du princeps et du générique est de…3.56%.

Dans 98% des cas, cette différence était inférieure à 10%. Le résumé de cette étude publiée dans Annals of Pharmacotherapy est ici.

Un argument des adversaires des génériques souligne que l’aspect du générique peut troubler les patients. Mais je pense qu’un peu de pédagogie peut le plus souvent améliorer les choses.

Enfin, ils accusent parfois les autorités sanitaires de ne pas analyser les génériques avec la même rigueur que les princeps.

Le problème est que de nombreuses autorités sanitaires, et non des moindres (EMA, FDA, autorités sanitaires japonaises, australiennes, sud-africaines, canadiennes) utilisent grosso modo les mêmes limites 80-125 et les mêmes protocoles d’études de pharmacovigilance.

Admettons que l’Afssaps (qui suit les protocoles de l’EMA, mais admettons quand même) soit aux ordres de Roselyne qui veut faire des économies à tout prix sur le dos des patients, j’arrive plus difficilement à comprendre que notre brillante Ministre ait une telle influence au niveau mondial. Dans le même ordre d’idées, j’ai du mal à imaginer une telle unanimité autour de protocoles qui seraient si peu rigoureux.

Peut-être un complot mondial concocté par un groupe de génériqueurs qui tire les ficelles du fond de leur base secrète édifiée sous le volcan Eyjafjöll ?

(c’est en réalisant un essai clinique de bioéquivalence de l’ExforgeHCT® qu’ils auraient accidentellement provoqué la fameuse éruption)

Je n’y crois pas trop.


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EPARs for authorised medicinal products for human use (lettre C, pour Clopidogrel)

CPMP. Note for Guidance on the Investigation of Bioavailability and Bioequivalence.


CHMP. Guideline on the Investigation of Bioequivalence.

History of Bioequivalence for Critical Dose Drugs. Gary Buehler, R. Ph. Acting Deputy Director Office of Pharmaceutical Science FDA. April 13, 2010 (présentation PPT).


Barbara M Davit, Patrick E Nwakama, Gary J Buehler, Dale P Conner, Sam H Haidar, Devvrat T Patel, Yongsheng Yang, Lawrence X Yu, and Janet Woodcock. Comparing Generic and Innovator Drugs: A Review of 12 Years of Bioequivalence Data from the United States Food and Drug Administration. Ann. Pharmacother., Oct 2009; 43: 1583 – 1597.


Rapport du CNOM sur le médicament générique, 4 février 2010.


Bioavailability and Bioequivalence. Jake J. Thiessen. Site de l’IUPHAR.

 

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16/06/10,  17/06/10 et 20/06/10: pas mal de petites modifications, c’est confirmé, j’ai besoin de vacances!

26/07/10: ré-actualisation en fonction du nouveau site de l’EMA

09/12/10: modification de la note

 

les génériques du Plavix.

@pharmalot m’a fait découvrir un document passionnant issu de l’Autorité de la Concurrence qui concerne une plainte déposée par le génériqueur Teva contre Sanofi-Aventis.

Teva accuse Sanofi de s’être livrée à une campagne systématique de dénigrement des génériques de Plavix® en axant sa communication sur deux points très précis:

  • l’absence d’AMM « syndrome coronarien aigu » pour certains génériques du clopidogrel
  • la différence de sels entre le princeps et les génériques.

Bien entendu, Sanofi n’a pas dénigré son propre générique, bien au contraire.

La plainte est en cours, et j’ai hâte d’en connaître l’issue.

Mais ce document de 21 pages mérite vraiment la lecture pour avoir une idée de la guerre que se font les génériqueurs d’un côté, et les firmes commercialisant des princeps de l’autre.

Il décrypte de façon fine les arguments des uns et des autres, et notamment l’utilisation magistrale des sous-entendus et des demi-vérités pour influencer la prescription par le médecin et la délivrance par le pharmacien d’officine.

Ce document confirme parfaitement l’ensemble coordonné de « bruits » que j’ai pu collecter sans trop de problème en ville et des articles pseudo scientifiques vilipendant les génériques du clopidogrel dans des revues médicales de troisième ordre, et publiés très opportunément à la sortie de ceux-ci.

J’ai franchement la flemme en ce moment, mais il faudra qu’un de ses jours je fasse une synthèse sur la législation des génériques et la notion de bioéquivalence, qui sont deux sujets tout à fait passionnants.