J’ai failli tomber de très haut, tout mon système de référence aurait pu s’écrouler à cause de cette lettre aux professionnels de santé envoyée récemment par l’Afssaps à la suite des résultats intermédiaires de ALTITUDE.
Tenez-vous bien, l’aliskiren (Rasilez®) pourrait être dangereux chez certains patients, les diabétiques qui reçoivent déjà un IEC ou un ARA2 en majorant par rapport au placebo les risques suivants:
- infarctus cérébral non fatal
- complications rénales
- hyperkaliémie
- hypotension
Bon, je n’en ai jamais prescrit à mes patients, je n’ai donc pas eu à contacter l’un d’eux.
Pourtant j’aurais pu y croire.
Les prescripteurs ne pouvaient en effet qu’y croire:
- dans Paris-Match (je sors cette référence à chaque fois, mais cet article reste un chef d’œuvre pour moi)
- à Charleville-Mezières, Nantes (11h-12h30), et à Evian on y croyait fermement.
- à Châteauroux-Déols, aussi
- dans les revues scientifiques françaises de haut niveau, par exemple Consensus Cardio pour le Praticien, les commentateurs étaient enthousiastes.
- les publicités étaient magnifiques (j’en avais parlé ici)
- Le Collège National des Cardiologues des Hôpitaux Généraux devait bien y croire, lui aussi, puisqu’il consacrait à l’aliskiren cette page dans son « organe d’expression », en septembre 2010.
- Ne rigole pas, Stéphane, la Société Française de Néphro devait bien y croire aussi un minimum puisqu’elle laissait publier de pleines pages de pubs sur l’aliskiren dans les programmes de ses congrès. Octobre 2011, ce n’est pas si vieux que ça, non?
- Le Comité Français de Lutte contre l’HTA y croyait aussi (ils y croient toujours, pas un mot de l’alerte de l’Afssaps sur leur site, contrairement à la SFHTA)
- La Fondation de Recherche sur l’HTA croyait, elle, beaucoup à l’association aliskiren+valsartan…
- …
Vous allez me dire que c’est facile d’être ironique a posteriori, alors que de nouvelles données sont disponibles. C’est très vrai. Mais n’est-ce pas le rôle des experts d’être prudents dans leurs jugements, voire d’essayer de prévoir l’avenir d’un nouveau médicament, afin d’éclairer leurs confrères moins clairvoyants? Sinon à quoi bon être expert si on se contente de recopier texto les conclusions des études sans les critiquer? N’importe qui peut le faire.
Par ailleurs, ça fait pas mal de temps que je m’amuse à tailler les oreilles en pointe de l’aliskiren.
Sur le papier, l’aliskiren a pourtant des propriétés pharmacologiques époustouflantes. Vous nous rendez compte, c’est le premier inhibiteur de la rénine, ce n’est pas rien! C’est une vraie innovation thérapeutique, comme le LEEM les aime tant.
Et ça agit de façon quasi miraculeuse sur des tas de paramètres intermédiaires, par exemple sur le ratio albuminurie/créatinine qu’il diminue de 20% (p<0.001) dans AVOID.
Impressionnant, non? 20%!
Heureusement, j’ai bêtement appris à un DU qu’il fallait se méfier des critères intermédiaires et privilégier des critères cliniques pertinents:
Tout d’abord, il est nécessaire de réinsister sur le fait qu’un critère intermédiaire, même fortement lié avec les mécanismes physiopathologiques de la maladie et les mécanismes d’action du traitement n’est pas forcément un critère de substitution. La notion de facteur de substitution reste assez conceptuelle, car, en particulier un critère de substitution ne prendra jamais en compte les effets délétères spécifiques des molécules à venir (cf. exemple du fluorure de sodium). Seul un essai sur critère clinique vérifie que les éventuels effets délétères d’un nouveau traitement ne contrebalancent pas le bénéfice découlant du résultat obtenu sur le critère de substitution.
Mais c’est un petit DU de province.
A Paris, dans un centre d’excellence, dans les trois dernières diapos de cette Lecture critique des grands essais sur l’HTA, on nous dit même un peu l’inverse:
Les résultats des essais de morbi-mortalité ne devraient pas être le seul critère permettant de différencier les médicaments antihypertenseurs.
Déstabilisant, non?
En fait non.
Il suffit de se rappeler de deux ou trois choses pour ne pas être déstabilisé et essayer de prescrire ce qu’il y a de mieux à ses patients:
-
Primum, non nocere. Donc rester prudent sur les effets secondaires possibles des innovations thérapeutiques, qui par définition ne sont pas tous connus au lancement de ces dernières. Ne prescrire « rapidement » après l’obtention de l’AMM qu’en cas de vraie avancée pour le patient (aucun intérêt de se jeter comme un mort de faim sur le 317ième traitement anti HTA). En général, ne pas prescrire de médicaments qui n’ont pas démontré leur intérêt sur des critères cliniques pertinents.
-
Toujours de faire sa propre opinion à partir de sources indépendantes. Il y en a peu, mais il y en a (par exemple la Revue Prescrire)

Ceux qui suivent ce blog doivent penser que je radote, ça fait en effet des années que je raconte toujours les mêmes choses.
Mais très régulièrement, une nouvelle innovation thérapeutique et surtout les sirènes commerciales qui l’entourent, montrent que l’industrie utilise inlassablement les mêmes ficelles pour nous faire prescrire des molécules qui au final sont susceptibles d’être inefficaces, voire nocives.
Peut-être que l’aliskiren n’est nocif que sur une population de patients, celle de ALTITUDE, mais cela ne me donne pas du tout envie de le prescrire au reste des hypertendus alors qu’il existe des alternatives, qui elles, ont montré une diminution de la morbi-mortalité.
Attention, d’un point de vue plus général, toutes les nouveautés ne sont pas à jeter à la poubelle, loin de là. Il faut se garder de tomber d’un excès à l’autre. Par définition, toutes les molécules que nous utilisons, j’espère à raison, ont été des nouveautés!
Mais il est de la responsabilité de chaque médecin d’essayer de trier le bon grain de l’ivraie afin de prescrire en conscience le traitement le plus adapté à ses patients.
43.297612
5.381042
Pour partager cette note:
WordPress:
J’aime chargement…