Je vais essayer de relever le défi de Dominique, expliquer simplement les atteintes valvulaires secondaires à la prise de dérivés amphétaminiques, notamment la norfenfluramine qui est un métabolite commun du Médiator® (benfluorex) , de l’Isoméride® (dexfenfluramine) et du Pondéral® (fenfluramine).
Le cœur est composé de 4 cavités montées en série, qui ont chacune à leur orifice de sortie un appareil valvulaire dont le rôle est d’empêcher le retour du sang. Ces orifices valvulaires s’ouvrent et se referment au gré du cycle cardiaque.
Les valves tricuspides et mitrales sont composées chacune de 3 structures très similaires entre les deux:
- un anneau fibreux où viennent se fixer les feuillets
- les feuillets, membranes souples qui assurent l’étanchéité des valves (la tricuspide a 3 feuillets, d’où son nom, la mitrale, deux)
- l’appareil sous valvulaire composé des cordages et des piliers musculaires
Crédit inconnu.
L’intégrité de ces trois structures est une condition sine qua non pour assurer le bon fonctionnement valvulaire.
Un anneau trop large va compromettre l’étanchéité car les feuillets ne seront plus assez recouvrants.
Des feuillets rigides, troués, ou qui comportent un excès de tissu ne seront plus étanches.
Enfin, si le muscle papillaire ou la paroi sur lequel il repose, ne se contractent plus, ou si les cordages sont distendus, les feuillets ne seront plus bordés, et ils vont se mettre à faseyer comme une voile. Si au contraire, les cordages sont raccourcis, ils vont trop tendre les feuillets et les maintenir partiellement ouverts.
La norfenfluramine va provoquer des fuites valvulaires au niveau de ces deux valves, pas de rétrécissement. L’effet délétère de la norfenfluramine au niveau du tissu valvulaire s’exerce via des récepteurs sérotoninergiques 5HT2B qui se situent à sa surface.
L’activation de ces récepteurs induit une prolifération cellulaire (fibroblastes et cellules musculaires lisses) et des tas de remaniements (ne me demandez surtout pas les détails) qui sont se traduire par la fixation de dépôts blancs nacrés sur la surface valvulaire et sur les cordages. D’où l’aspect assez particulier de valves épaissies, irrégulières, nacrées et de cordages fusionnés, englués dans du tissu fibro-prolifératif.
Ces dépôts ont 2 conséquences:
- une perte de souplesse et de régularité des feuillets, donc une perte d’étanchéité à la manière d’un vieux joint de silicone durci par le temps
- une perte d’efficacité de l’appareil sous valvulaire puisque les cordages seront épaissis raccourcis et fusionnés, englués dans ce tissu nacré.
Feuillet antérieur de la valve mitrale vu du côté ventriculaire. On voit des cordages très épaissis. Les auteurs parlent aussi de feuillet épaissi (plus difficile à voir sur cette vue). Source: Greffe et coll. Ann Thorac Surg 2007.
Pour donner une idée de la différence, voici des cordages sains. Source.
In fine, la valve ne sera plus étanche, d’où l’apparition puis éventuellement l’aggravation progressive d’une fuite mitrale ou tricuspide.
Les valves pulmonaires et aortiques ont une structure radicalement différentes.
Elles sont composées de trois sigmoïdes qui en position fermées reposent les unes sur l’autre comme le ferait une voute gothique sur une clé de voute. Cette voute est parfaitement imperméable en position fermée.
Toutefois, ces valves comportent aussi à leur surface des récepteurs 5HT2B. Elles seront donc susceptibles de s’épaissir, et de se rétracter. C’est à dire que même en position fermée, elles laisseront passer le flux sanguin.
Au total, les valvulopathies au benfluorex peuvent atteindre toutes les valves, même plusieurs à la fois et provoquent le plus souvent des fuites d’intensité variable.
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Tomita T, Zhao Q. Autopsy findings of heart and lungs in a patient with primary pulmonary hypertension associated with use of fenfluramine and phentermine. Chest. 2002 Feb;121(2):649-52.
Roth BL. Drugs and valvular heart disease. N Engl J Med. 2007 Jan 4;356(1):6-9.
Médiator® (chlorhydrate de benfluorex). Propriétés pharmacologiques et mode d’action. Fiche AFSSAPS du 16/11/2010.
Connolly HM, Crary JL, McGoon MD, Hensrud DD, Edwards BS, Edwards WD, Schaff HV. Valvular heart disease associated with fenfluramine-phentermine. N Engl J Med. 1997 Aug 28;337(9):581-8.
Steffee CH, Singh HK, Chitwood WR. Histologic changes in three explanted native cardiac valves following use of fenfluramines. Cardiovasc Pathol. 1999 Sep-Oct;8(5):245-53.
Greffe G, Chalabreysse L, Mouly-Bertin C, Lantelme P, Thivolet F, Aulagner G, Obadia JF. Valvular heart disease associated with fenfluramine detected 7 years after discontinuation of treatment. Ann Thorac Surg. 2007 Apr;83(4):1541-3.
En cadeau, deus articles que je n’ai pas utilisés, mais qui sont les articles princeps d’Irène Frachon:
Frachon I, Etienne Y, Jobic Y, Le Gal G, Humbert M, Leroyer C. Benfluorex and unexplained valvular heart disease: a case-control study. PLoS One. 2010 Apr 12;5(4):e10128.
Boutet K, Frachon I, Jobic Y, Gut-Gobert C, Leroyer C, Carlhant-Kowalski D, Sitbon O, Simonneau G, Humbert M. Fenfluramine-like cardiovascular side-effects of benfluorex. Eur Respir J. 2009 Mar;33(3):684-8.
Le Ven F, Tribouilloy C, Habib G et al. Valvular heart disease associated with benfluorex therapy: results from the French multicentre registry. Eur J Echocardiogr 2010 doi:10.1093/ejechocard/jeq172
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Les autres cardios, si vous avez des remarques, n’hésitez pas à corriger/compléter ce topo 2.0. Si un anapath passe par là, ce serait le nirvana.
(je n’ai pas détaillé non plus les différences macroscopiques entre ce type de valvulopathies et les atteintes rhumatismales: pas de soudure commissurale, donc pas de sténose…)
Bonjour,
je suis étudiante en IFSI (institut de formation en soins infirmiers) en 1ère année. Je lis votre blog depuis bien longtemps déjà. Je ne comprends pas tout, loin de là, mais j’aime beaucoup vos commentaires de l’actualité médicale (ou autre), comme je suivais aussi régulièrement celui de Kyste et du Médecin généraliste.
Mais aujourd’hui, j’admire votre exposé sur les valves cardiaques. Je voulais vous remercier car j’ai enfin compris en quelques mots comment ça marche, et les valves, et la toxicité du Médiator.
Pourquoi pas une catégorie « La cardio pour les nuls »
Bonne continuation, ne nous lâchez pas vous aussi.
Sally
C’est très gentil, merci beaucoup!
Sally ? c’est pas encore ta femme ? Elle a dû abimer ta voiture ou un truc comme ça…
Mouhahaha, c’est Agnès son petit prénom, j’ai laissé tombé le pseudo de Sally depuis pas mal de temps!
Merci Jean-Marie,
C’est parfait, exactement ce que je cherchais. J’attends un jour ou deux que tu le stabilises en fonction de réactions éventuelles avant de le lier.
Il manque juste la fin : les conséquences de ces fuites : souffle audible au stéthoscope lorsque la fuite est significative, et essoufflement car la pompe fonctionne mal du fait que le sang reflue par les valves incontinentes.
Aaahhh, la fin, la fin, il n’y en a jamais, c’est la bouteille à l’encre!
Attendons voir ce que rajoutent les autres…
Tu peux peut-être ajouter ces vidéos
Comme tu le sens, efface ce message ensuite.
Tu rêves, je laisse les échafaudages!
Merci.
Super!
Merci !
Exactement ce que je cherchais depuis plusieurs jours.
Très clair en plus !
Chapeau ! C’est clair sans être simpliste, accessible et très intéressant au final.
L’hyper novice en cardio que je suis a tout compris et est très content d’être passé par là ce matin : tous les médias parlent du role du Mediator sur les valves, mais je me demandais bien par quel mystère ça se produisait.
Un grand merci donc
et pourquoi y’a une prolifération cellulaire et des remaniements ? gniark gniark gniark
merci pour ce super topo !
dis moi où trouves tu ce temps ? ebay ? leboncoin ?
Bon, j’ai lié ton article sur celui d’Atoute et réalisé en plus cette vidéo http://www.youtube.com/watch?v=Kr9qZdMtUTI pour ceux qui ont un peu de mal à comprendre.
j’ai bien compris le topo, merci
merci beaucoup c ‘est très clair ,question naive: à partir de quand envisage t on une greffe?
Ce n’est pas une question naïve 😉
Je présume qu’en parlant de « greffe », vous entendez « remplacement valvulaire », et pas « transplantation cardiaque ».
Et bien en fait la décision se fait sur la clinique, des paramètres échographiques et les morbidités associées du patient, son âge…
merci , bien sur, car on m’a déjà interrogée sur cela: distingo valves de porcs et valves mécaniques avec rapport/ bénéfice risque en fonction de l’age du patient, j’avais potassé la question à l’époque et j’avoue que cela m’avait passionnée . est- ce le chirurgien qui décide in fine ? Y a t il des recos récentes?
Bon, il y a encore une question récurrente qui sort des forums : peut-on différencier par des moyens paracliniques simples les valvulopathies amphétaminiques des autres valvulopathies ?
pour la précédente question en écho :sur une valve aortique clairement tricuspide la densification rétractile est très rare dans d’autres pathologies, la rhumatismale franchement exceptionnelle maintenant est censée etre plus inhomogène , les bicuspidies vieillies avec raphé et parfois excès tissulaire selon la définition moderne c’ est surement plus difficile
pour les mitrales a part les formes typiques décrites le doute sera encore plus fréquent le processus myxoide courant les rues; si procédure judiciaire il ne profitera pas à l’accusé sauf si écho pathologique avant la prise médicamenteuse
Uhmm, en effet, ça ne sera pas simple, il existe des similitudes entre ces valvulopathies et les rhumatismales qui vont rendre (et ont rendu) le diagnostic différentiel difficile. Maintenant, en sachant ce qu’il faut rechercher, on va probablement augmenter la sensibilité…
Les caractéristiques du patient seront déterminantes: femme (ou homme) jeune née dans un pays développé+mediator vs femme (ou homme) âgée née dans un pays en voie de développement+mediator…
Donc je répondrais « ça va dépendre », mais nous devrions devenir meilleurs maintenant que nous savons.
l’enfer prévu! un correspondant pistonné a profité d’une annulation pour me refiler la première écho systématique :femme assez jeune ,imc 30,dnid ascendants,3 ans de traitement,dyspnée alléguée récusée par l’interrogatoire, pas de souffle résultats des courses: épaississement modéré engainant de la gvm, pvm ok régurgitation 1, sigmoides étude imparfaite bicuspidie possible régurgitation 2 fort donc selon l humeur iatrogénie possible ou impossible à exclure indication de surveillance espacée,la patiente était à meme de comprendre mes nuances ouf!
les cas publiés étaient les plus graves,le mécanisme de la toxicité peut faire craindre l’existence d’atteinte de sévérité variable selon la durée d’expo ,la sensibilité individuelle,une histoire naturelle après sevrage inconnue,on en a jusqu’à 2050…
autre cas de figure consultation ordinaire de patients connus :
au fait docteur j’ai pris du mediator qu’en pensez vous ?
mais je ne ne le savais pas!
5ans de 98 à 2003 vous me suivez depuis beaucoup moins longtemps
plongée vers les cr d’échos: dammed! double régurgitation dégénérative modérée
quid?