Au cours de ce trimestre de rentrée où je me suis retrouvé étudiant de première année à Robert Treat, chaque fois que mon père verrouillait à double tour les portes de la maison par-devant et par-derrière et que ma clef ne me permettait d’ouvrir aucune des deux, que, pour pouvoir rentrer à la maison, il fallait que je tambourine à l’une ou à l’autre si par hasard j’étais en retard de vingt minutes sur l’heure décidée par lui, je me disais qu’il était devenu fou.
Et c’était le cas: fou d’angoisse à l’idée que son fils unique et bien-aimé était aussi mal préparé à affronter les périls de l’existence que n’importe quel jeune garçon au seuil de l’âge adulte, fou d’avoir découvert avec stupeur qu’un petit garçon grandit, en âge et en taille, qu’il se met à éclipser ses parents, et qu’à ce moment-là on ne peut pas le garder pour soi, qu’il faut le livrer au monde.
Indignation
Philip Roth
Gallimard