La difficile quête de l’indépendance

La définition même du mot indépendance est difficile à cerner.

Selon le Wiktionnaire:

indépendance /ɛ̃.de.pɑ̃.dɑ̃s/ féminin

1. État d’une personne indépendante.

On n’a pas beaucoup avancé, allons voir la définition de indépendante:

indépendant masculin

1. Qui ne dépend pas de telle personne ou de telle chose, qui ne lui est pas subordonné.

* Il commande un petit corps d’armée indépendant du général en chef.

* Son zèle fut toujours indépendant des circonstances, des événements.

* Sous la domination du Saint-Empire, Metz était une ville autonome, indépendante de l’évêché. — (Léon Berman, Histoire des Juifs de France des origines à nos jours, 1937)

2. Qui n’a pas de rapport, de relation avec quelque chose d’autre.

* Ce point est indépendant de la question.

* Le cabinet est indépendant du reste de l’appartement.

3. (Absolument) Qui est libre de toute dépendance.

* Elle menait une vie très indépendante, passait ses après-midis et les soirées dans les salons où l’on papotait indéfiniment. — (Out-el-Kouloub, Zaheira, dans « Trois contes de l’Amour et de la Mort », 1940)

* Il a son logement indépendant.

* Un vrai sage a l’âme indépendante, le caractère indépendant.

Je présume que, lorsque A donne de l’argent à B, indépendamment de toute autre considération de morale ou du pourquoi du comment, on  ne peut pas dire que B soit indépendant de A.

Pourquoi je vous lis le dictionnaire?

Parce que Julielyo m’a fait découvrir il y a quelques jours un document très intéressant de la HAS. Il s’agit, sous forme d’un fichier Excel®, des données de l’année 2009 issues de la déclarations des aides versées aux associations par les industriels de santé. Pour mémoire, cette déclaration a été rendue obligatoire par la loi HPST (article L 1114-1 du code de la Santé Publique, et article 74 de la loi Hôpitaux, patients, santé, territoires du 21 juillet 2009).

De ce fichier assez conséquent, je retiens deux données, une pour rire, l’autre pour réfléchir.

Celle pour rire: je voudrais remercier chaleureusement la société ConvaTec au nom des 18 associations que cette entreprise a aidé sous forme numéraire ou non, de façon directe ou non  à concurrence de la somme totale de 0€ (environ 0 francs pour ceux qui ont encore du mal avec la conversion). Je présume que c’est une erreur de base de données, sinon j’imagine la tête des trésoriers quand ils ont reçu leur chèque de 0€ ou leur o imprimante laser toute neuve…

Celle pour réfléchir, que je vais garder anonyme par charité laïque.

Dans la liste, on trouve une association qui milite pour la reconnaissance d’une maladie méconnue des médecins et des pouvoirs publics, malgré son impressionnante prévalence dans la population générale et ses effets dévastateurs sur la vie des patients qui en souffrent. Ce que je ne conteste pas, je ne connais rien sur cette maladie.

Mais ça me rappelle quand même furieusement les 10 critères qui caractérisent le disease mongering selon Lynn Payer.

Bon, maintenant, oublions un temps ces considérations subjectives et regardons les chiffres et les lettres.

Les chiffres, d’abord: l’association a reçu en 2009 une aide monétaire unique (pas d’aide en nature) de la part d’une seule firme pharmaceutique. Cette aide correspond environ à 15% des cotisations annuelles versées par ses adhérents (calcul fait avec la base de données de la HAS et les informations disponibles sur le site de l’association, nombre approximatif de cotisants et montant de la cotisation).

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que cette firme pharmaceutique commercialise justement un des deux traitements spécifiques qui ont une AMM en France pour traiter cette maladie.

Revenons un instant sur des considérations subjectives.

Cela ne me choque pas du tout. Sans l’argent de l’industrie, le tissu associatif  de patients et tout ce qu’il entreprend au quotidien serait sans contestation beaucoup moins dense. D’autre part, on ne peut pas non plus demander à une firme de donner de l’argent à une association de patients, alors qu’elle ne commercialise de traitement ni ne fait de recherche sur leur maladie. On n’est pas dans le monde des Bisounours. Ou alors, il faudrait créer un machin (au sens gaullien du terme) administratif énorme qui regrouperait toutes les aides des firmes pharmaceutiques et les redistribuerait de façon indépendante aux différentes associations… Ça s’appellerait un impôt et vous imaginez le tableau… Maintenant, est-ce « sain » que des firmes se subordonnent des associations de patients qui peuvent faire pression sur les médecins, les pouvoirs publics et influencer d’autres patients?

Fin temporaire des considérations subjectives.

Passons aux lettres.

Quand on tape l’acronyme de l’association dans Google, on tombe en premier sur une page du site officiel de la firme en question, et seulement en second, sur le site de l’association.

La page du laboratoire est assez marrante, car on y sent une énorme envie frustrée par une législation française tatillonne. La maladie en question fait partie très curieusement d’un onglet nommé « Nos produits »:

Photobucket

Sur la page, à côté de cette colonne d’onglets, on peut consulter la liste des produits commercialisés par la firme, notamment celui qui a l’AMM dans la maladie. Si on clique sur le nom de la maladie, que j’ai caché, la page change, et on tombe sur un descriptif de la maladie et surtout un entretien avec le responsable de l’association (et bien entendu un lien vers le site de cette dernière).

Arggggghhhhhh, on sent que le laboratoire aurait tant voulu mettre sur la même page à la fois la maladie, le mot de l’association et son traitement… Petit papa Freud aurait certainement interprété ainsi cette bizarrerie, classer des pathologies dans la section « produits de prescription ».


Le site de l’association est très bien fait par un prestataire de services basé sur l’Île Maurice, avec des animations sobres d’un bel effet et il est certifié HON. Une rapide recherche dans le Whois montre que le domaine appartient au responsable de l’association

Je me suis dit, chouette, on va pouvoir retrouver le lien entre l’association et la firme, puisque tout respire la transparence sur cette page.

Et ben, pas vraiment.

On retrouve cette phrase farouche et fière en bas de page d’accueil, très probablement demandée par la certification HON:

Photobucket

Je trouve cette phrase très ambiguë étant donné la réalité du lien financier qui lie cette association avec une firme pharmaceutique.

Par ailleurs, pour essayer d’être systématique, j’ai effectué une recherche sur le domaine de l’association avec comme critère le nom du laboratoire. Cette recherche ne permet de retrouver qu’un seul lien (d’ailleurs périmé) vers le portail francophone du site officiel canadien de la firme.

Donc, sauf erreur, à aucun endroit, du moins sur la partie publique de son site, l’association ne parle de ce lien financier, alors qu’en page de garde elle revendique haut et fort son indépendance totale.

Et en définitive, pour cet exemple, c’est uniquement cela qui me choque.

Maintenant, dans sa section Prise en charge, le site de l’association mentionne sous forme de DCI et sans aucune discrimination le traitement de son donateur et celui du concurrent. Ce dernier ne lui en tient d’ailleurs pas rigueur, car sur la page de son site officiel, il cite l’association et propose un lien. Par contre, il n’y a pas d’entretien avec son responsable. Là non plus, l’association ne propose aucun lien pour aller vers le site du concurrent.

Synthèse de tout cela?

Indépendance, transparence, fiabilité et crédibilité…

Vaste débat.

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