Je suis toujours un peu embêté quand je tombe sur une campagne de sensibilisation sur telle ou telle maladie.
J’ai toujours un doute, est-ce que cette campagne fait avancer la santé publique, ou est-ce que son but principal est de mettre en avant une condition pour en faire une maladie et ainsi vendre les pilules pour la soigner?
La réponse est parfois facile, parfois moins.
Je me base beaucoup sur les critères de Disease Mongering de Lynn Payer:
- “Taking a normal function and implying that there’s something wrong with it and it should be treated”. Prenez une fonction physiologique normale et faites croire que quelque chose ne va pas et qu’il faut le traiter.
- “Imputing suffering that isn’t necessarily there”. Mettez en avant une souffrance qui ne va pas forcément de soi.
- “Defining as large a proportion of the population as possible as suffering from the ‘disease’”. Faites passer le message qu’une large proportion de la population souffre de cette maladie.
- “Defining a [condition] as a deficiency disease or disease of hormonal imbalance”. Définissez un état comme étant une maladie déficitaire, ou un déséquilibre hormonal.
- “Getting the right spin doctors”. Réunissez les meilleurs experts en communication.
- “Framing the issues in a particular way”. Orientez les résultats des études dans votre intérêt .
- “Selective use of statistics to exaggerate the benefits of treatment”. Utilisez certaines de vos données statistiques pour exagérer les bénéfices du traitement, cachez les autres.
- “Using the wrong end point”. Choisissez un mauvais objectif de traitement.
- “Promoting technology as risk-free magic”. Faites croire que votre technologie est magique et sans risque.
- “Taking a common symptom that could mean anything and making it sound as if it is a sign of a serious disease”. Prenez un symptôme banal et équivoque et faites le percevoir comme étant le signe d’une maladie grave.
Ces critères ne me satisfont pas totalement, mais les retrouver dans certaines campagnes de sensibilisation provoque chez moi une certaine Schadenfreude irrationnelle (j’essaye de coller ce terme au moins une fois par mois dans mes notes), mais qui ne me permet pas de répondre à la question initiale.
Prenons l’exemple de la journée mondiale de l’ostéoporose, c’était le 20 octobre dernier. Cette journée a été coordonnée en France par le Grio (adresse postale au CHU mais partenaires très privés). Musardez parmi les quelques 300.000 pages retrouvées par Google sur le sujet, vous y trouverez presque systématiquement plusieurs des points énoncés par Lynn Payer.
Je vais être d’autant plus caricatural que je ne connais que très mal cette pathologie: c’est une maladie très grave, très largement sous-estimée, on traite une ostéo-densitométrie (« avant que la fracture n’apparaisse »), et le traitement est merveilleux:
-
Un article du Point
-
Communiqué de presse du Grio
-
Le dossier de Presse du Prolia® avec le site qui va avec.
-
Un communiqué de presse édité par un groupement de pharmaciens belges.
-
…
Autre exemple, développé par Gary Schwitzer, la à la fois terrible, dévastatrice, sous-estimée, mais parfaitement curable sécheresse vaginale de la femme ménopausée.
Là, je suis presque certain que vous êtes plus enclins à percevoir du Disease Mongering que dans l’ostéoporose.
Mais comment, je veux dire objectivement, faire la différence?
En tout cas, certainement pas en s’appuyant la gravité objective, même subjective, de chacune de ces conditions.
J’ai quand même l’impression que les campagnes de prévention des maladies cardio-vasculaires utilisent nettement moins d’effets de manche. Mais je ne suis peut-être pas très objectif…
Question existentielle numéro 17: est-ce que je ne suis pas passé du côté plus que blanc en voyant la main griffue de l’Industrie derrière tout ce que j’observe dans le domaine de la santé?
Je n’en ai strictement aucune idée.
Toutefois, la grève des poubelles à Marseille, je suis certain que c’est eux, pour relancer les ventes de doxycycline et/ou de Ringer Lactate. J’ai une preuve, j’ai vu des emballages de médicaments par terre.
Pour entretenir ta méditation sur le disease mongering osseux: http://www.medscape.com/viewarticle/731098?sssdmh=dm1.644523&src=nldne&uac=117199CZ
Ce rapport d’une communication dans un congrès prend toute sa saveur quand on sait que le tolvapatan est en train d’arriver sur le marché dans son indication hyponatrémie , je n’ose imaginer les raccourcis qui vont être fait… On va en voir des diabètes insipides médicamenteux. Il faudrait que je fasse une note sur ça un de ces quatre.
moins médicamenteux mais à rapprocher : l’industrie agro-alimentaire et son rouleau compresseur de produits laitiers pour prévenir l’ostéoporose… vaste débat là aussi et quid d’une influence sur le PNNS…
J’ai appris hier que l’industrie agro-alimentaire avait son LEEM, l’ANIA.
Ça doit être quelque chose!
Et oui avec l’ostéoporose, on traite une image, pas un patient.
Néanmoins tout le monde se rappelle quand il avait fallu recontacter toutes les patientes qui avaient bénéficié une PTH défectueuse pour les réopérer ( au début des années 2000-2001 si je me souviens bien ), et que l’on s’était rendu-compte qu’à un an de post op moins de 50% d’entre-elles était encore en vie … La fracture du col est donc depuis considérée comme une alarme sur la fragilité des patients/patientes.
Par contre, je ne vois l’intérêt des produits laitiers là-dedans, le premier traitement c’et la vitD, pas le calcium ???
Oui la vitamine D a probablement beaucoup d’intérêts méconnus, y compris ne cardiologie.
Mais ma remarque soulevait le fait que les syndicats prosélytes représentant telle ou telle industrie agro-alimentaire sont souvent très très très forts au point de publier de la « publi-information » démoniaque dans les quotidiens médicaux…
Les ventes de lait se cassent la figure ? Qu’importe on va lui trouver des nouveaux atouts santé… Ce qui me choque aussi c’est les articles 100% sponsorisés avec tirés à part et numéro « en supplément » de revues soit disant scientifiques. Plus fort : peu de prudence dans les discours des experts de la nutrition ou de la gastro-entérologie dans les congrès et les formations de nutrition…
« Je suis toujours un peu embêté quand je tombe sur une campagne de sensibilisation sur telle ou telle maladie. » et bien moi, je le suis beaucoup. en voix off, c’est l’association des rhumato, des ophtalmo etc et sur l’écran de la TV on voit bien le logo du labo qui finance la pub. Que fait le CSA ???
Euh… comment faire la différence entre l’ostéoporose et la sécheresse vaginale, du point de vue de la gravité ? Hé bien, la dernière, en ce qu’elle gêne les rapports sexuels, peut être palliée par l’usage de gel lubrifiant (en vente dans quasiment tous les supermarchés), tandis que l’ostéoporose brise des os et des vies. Je connais une dame âgée très atteinte qui a souffert de plusieurs fractures; elle était très active avant et appréciait son indépendance, et n’a plus été la même ensuite.
Ben pas évident.
Imagine le cas: sécheresse, dépression accentuée par l’utilisation du gel (perte d’estime de soi, mari pas motivé…), tentative de suicide au gaz le jour de son anniversaire, le mari et les enfants arrivent avec le gâteau pour faire plaisir, boom, 4 morts, 6 blessés graves (des gens de l’immeuble).
Maintenant, je n’ai aucune idée du rapport bénéfice clinique/risque des traitements contre l’ostéoporose…
Il ne faut jamais sous-estimer la gravité d’une condition pour laquelle il existe un traitement que l’on peut vendre.