Ce fleuve qui nous charrie

Quand j’ai cherché des informations sur la course Morat-Fribourg, j’ai découvert l’existence d’un téléfilm de la RTS de 1980, Ce fleuve qui nous charrie avec dans le rôle principal Jean-Luc Bidault. Je n’ai pris le temps de le regarder qu’aujourd’hui, et j’y ai trouvé des choses intéressantes.

La fiction, je n’en parlerai que peu. C’est l’histoire de la rédemption par la course d’un quadragénaire à la dérive, Simon. Il est aidé par son indéfectible ami d’enfance, Julien, et un ami de ce dernier, César, qui va jouer le rôle de vieux sage courant, de mentor. L’interprétation de Jean-Luc Bidault est remarquable, d’autant plus qu’une grande partie des scènes interprétées se font en courant.

Le film a vieilli, les couleurs sont passées, la façon de filmer est datée mais ce film a encore beaucoup de charme. La scène de l’enterrement est une merveille de surréalisme.

J’ai pris du plaisir à le regarder en tant que coureur et aussi car j’ai participé à cette épreuve. J’ai reconnu Morat, sa gare, la montée de la Sonnaz, l’arrivée sur Fribourg. Simon habite à Martigny, il a donc fait le trajet en train entre Martigny et Morat, en passant par Lausanne. J’ai fait le même parcours, car à la suite d’une erreur de train, je suis allé me perdre, moi aussi, au fin fond du Valais.

J’ai fait de l’archéologie en regardant ce film. J’ai découvert comment on courait en 1979. Le textile était en coton, les chaussures n’avaient aucun amorti, les coureurs se massaient à l’huile avant l’épreuve, et mettaient du talc dans leurs chaussures. Le chronométrage se faisait à l’aide de cartes perforées en plastic que les participants inséraient dans des lecteurs à l’arrivée. J’ai vu passer quelques t-shirts Spiridon qui était à l’époque une revue connue et reconnue dans le milieu (le nom a été repris à partir de 2020 pour vendre des vêtements de course branchouilles) . Simon fait allusion à Zátopek à un moment.

Le film parle assez justement de la course, des débuts, de ce qu’on peut y trouver, de la communauté des coureurs. J’ai retrouvé des tas de petits détails vrais: le stress avant la course (pipi!), le fait de se retourner pour regarder le ruban multicolore des coureurs, le fait de se parler, de corriger son attitude, quand ça devient dur…

Simon, et d’autres posent à plusieurs reprises la question « pourquoi tu cours? » Le film propose plusieurs réponses. Chacun trouvera la sienne.

Morat-Fribourg 2023

Je n’ai rien écrit sur cette classique, mais le marathon d’hier m’a donné envie de le faire. C’est surtout le contraste qui m’a donné envie, en fait.

La Morat-Fribourg est la classique des classiques en Suisse, puisqu’elle a fêté sa 89ième édition cette année. Cette course commémore la victoire des confédérés sur Charles le Téméraire en 1476, à Morat. La légende se mélange alors à l’histoire et fait apparaître un récit qui ressemble beaucoup à celui du coureur de Marathon. La RTS a particulièrement couvert cette course au fil des années. Mention spéciale pour ce documentaire, appelé « La reine des courses« . Je viens même de découvrir l’existence d’une fiction de 1980, « Ce fleuve qui nous charrie » avec l’acteur Jean-Luc Bidaut.

Bref, la Morat-Fribourg n’est pas qu’une simple course.

Et cela se ressent. il y a beaucoup de monde le long du parcours et j’ai rarement ressenti une ambiance aussi bon enfant et joyeuse. Attention, ce n’est pas le Tour de France tout le long des 17.17 km. La traversée de la superbe campagne suisse entre les villages qui émaillent le parcours se fait souvent dans un silence apaisant, seulement troublé par les cloches des vaches. Puis 50 m plus loin, un spectateur agite frénétiquement une grosse cloche, voire souffle dans un cor des Alpes. Puis à la Sonnaz (« La » difficulté du parcours), c’est quasiment le Tour de France en haut d’un col. Une petite particularité, a priori chaque année, en début de parcours, des gens dans un jacuzzi au bord de la route proposent du Champagne aux coureurs. Au début j’ai pensé à DSK et à un club libertin (ça faisait un peu ça, quand même), mais c’est une entreprise qui installe des spas et des jacuzzis qui fait sa publicité.

Le parcours est ascendant (D+ 388m) mais surtout très vallonné. les changements de rythme sont incessants et font l’intérêt de la course. La très fameuse Sonnaz est une montée un peu raide entre 12K et 13.35K qui coupe un peu le souffle. L’arrivée sur Fribourg est un peu rude aussi: petite descente sèche puis belle montée vers l’arrivée.

J’ai mémorisé le parcours quasiment par cœur, j’ai pu donc anticiper ces changements de rythme. J’étais en forme, et j’y ai pris un plaisir monumental. Par rapport au marathon, zéro souffrance, que du plaisir. C’est totalement autre chose.

Fribourg est une ville plutôt vivante et sympa. Malheureusement je n’ai pas eu le temps de visiter Morat qui est absolument splendide.

Dernière particularité sympa, comme le parcours flirte avec le Röstigraben, les spectateurs vous encouragent en allemand, en français, ou les deux alternés.

Un seul bémol: le dossard est cher, environ 60€, mais pour le prix, vous pourrez voyager gratuitement en train en seconde pour aller et venir vers le lieu de la course (Swiss Runners Ticket), et étant donné le prix des billets de train en Suisse, c’est particulièrement rentable.

Run in Lyon 2023

Encore une histoire de marathon, je ne m’en lasse toujours pas (à défaut des rares lecteurs résiduels qui pensaient trouver des histoires de médecine).

J’ai couru le Run in Lyon hier et je me suis rendu compte à quel point j’avais mal jugé cette course durant toutes ces années. Le tracé est somptueux, varié et il fait découvrir la plus belle ville du monde. Hier il faisait beau, la lumière était incroyable et la ville était parée de ses couleurs d’automne. Il y avait des entrainements d’aviron sur la Saône, et la vie était belle pour une fois. Seul bémol pour ceux qui aiment courir tout le long dans une ambiance Tour de France, on est souvent seul avec soi même. Si vous aimez les encouragements incessants de la foule qui vous hurle que vous êtes le meilleur, Londres est fait pour vous. Moi, courir dans un bel environnement dans le silence, ça me va , aussi.

D’un point de vue course, j’ai commencé à souffrir au km 24, et 42.195-24, ça fait beaucoup. Les derniers km ont à la fois été horribles et très agréables pour une autre raison.

En fait, je ne pensais pas courir un marathon en fin d’année. Je me suis entrainé pour le Marseille-Cassis, 20km et du dénivelé. Mais il y a 2 mois, j’ai gagné un dossard, et j’ai changé mon entraînement. Je n’ai pas non plus été assez rigoureux, et assidu, et ça ne pardonne pas pour ces distances. Je ne me cherche pas des excuses, en fait le chrono a perdu de son importance pour laisser place au plaisir de la course. Je ne tire aucun plaisir de la souffrance des derniers km. Ce n’est pas le point. Le point, c’est de s’entraîner pour faire quelque chose que l’on n’est pas certain de pouvoir faire. C’est de partir excité car l’épreuve me dépasse, et que l’assommante certitude du quotidien n’a pas de place dans ces moments. Les derniers km sont difficiles, quand on y est, on ne pense qu’à une seule chose, la ligne d’arrivée. Par contre, après, ces km représentent à la fois un motif de réelle fierté après des mois de préparation. Si le marathon n’était pas difficile, et bien, il n’aurait tout simplement aucun intérêt.

On apprend à chaque course. Hier j’ai appris qu’un marathon, c’était long (je le savais, quand même!) et qu’on pouvait passer par tout un tas de niveaux de forme et d’états émotionnels. Je ne l’avais pas autant remarqué lors des précédents. Parfois ça allait, parfois non, parfois j’avais envie de voir ce qu’il y avait derrière le tournant, parfois j’avais envie d’enlever mon dossard et d’arrêter. C’est comme la vie, en somme. Il y a des hauts, des bas, mais il faut tout faire pour passer la ligne d’arrivée. Je suis assez content de moi d’avoir traversé les mauvais moments, d’avoir tenu le coup et profité des bons.

Faire un marathon, c’est aussi de partager un moment de communion avec les autres coureurs. C’est enfin se découvrir et découvrir les autres.

Je ne veux pas non plus dire que seul le marathon vaut la peine d’être couru, et que seule la souffrance a de la valeur. J’ai pris énormément de plaisir à courir la Morat-Fribourg de cette année. 17.17 km, pas de défaillance, pas de souffrance, une grande fierté de l’avoir courue, beaucoup, beaucoup, beaucoup de plaisir, tout simplement, sans introspection douloureuse. Elle a presque détrôné mon premier Marseille-Cassis dans mon cœur, c’est dire. Je ferai probablement une note dessus, car il y a beaucoup à dire. Mais jusqu’à maintenant, j’étais focalisé sur Lyon.

Comme je l’ai lu récemment, « Running is more than a sport or a form of exercise, a passion or a pastime. It’s about identity« . C’est très vrai et très faux à la fois. L’article oppose un peu le fait de pratiquer une course très lente à ce qui motiverait la communauté des coureurs. Il existe bien une communauté de coureurs, on se repère facilement et on parle immédiatement de course dans n’importe quelle langue et on se comprend. Mais si la « communauté » a des expériences, des valeurs communes, ce que la course nous fait reste fondamentalement individuel. Chacun court comme il veut, pour les bénéfices qu’il souhaite et pour les raisons qui lui sont propres. Courir à une allure de 4, 6 ou de 12, n’a strictement aucune importance du moment ou cela apporte un bénéfice psychologique, ou physique à celui qui court. Marcher apporte aussi un bénéfice indéniable. Alors oui, la course est une identité, mais pas une altérité par rapport à l’autre (coureur ou marcheur).

C’est la première fois que je pars quasiment sans eau, et ça c’est très bien passé. J’ai quand même pris de la poudre pour reconstituer de la boisson isotonique en route et je pense que je vais faire comme ça dorénavant.

J’ai couplé, comme souvent course et sortie expo. Je suis allé voir « le » Caillebotte qui est actuellement en prêt au Musée des Beaux-Arts. J’ai redécouvert que le Musée avait 2 Francis Bacon. Et évidemment, j’ai profité de son merveilleux jardin. J’ai aussi fait un peu de tourisme.

Après la course, j’ai pu profiter de mon hôtel décadent et de son bar donnant sur Bellecour. Après l’effort, le réconfort.

Marathon de Londres 2023

Bon, ce marathon a été largement le plus difficile pour moi. Je suis arrivé, mais pas en forme. Cette expérience m’a fait toucher du doigt que courir un marathon n’est pas devenu, même à mon petit niveau, une routine, et c’est tant mieux. Je pensais avoir pris la mesure du truc, mais en fait non, une bonne tape sur le crâne m’a de nouveau fait prendre conscience de mon ineptitude face à cette distance. La météo était très britannique: 11°C, et pluie fine quasiment tout le long. Courir 2 marathons à 3 semaines d’intervalle n’était pas non plus très pertinent et je l’ai un peu payé. Hormis ma bêtise, cette course était hors du commun, largement au dessus du lot de ma petite expérience. Le parcours est magnifique, même la partie dans Canary Wharf que j’avais imaginée peu intéressante était fabuleuse. Imaginez. Des façades minérales et vitrées se renvoyant sans fin les clameurs d’une foule électrique. Des bouts de ciel découpés, très géométriques, un métro aérien animant la perspective. Un fleuve chaotique de milliers de petites tâches multicolores emportées par les encouragements de la foule, la foule, la foule, encore la foule se reflétant sur les façades. Et au milieu de toute cette beauté, je cherchais désespérément des toilettes, parce que, ben, j’étais un peu chiffon. Traverser la Tamise sur le Tower Bridge, longer Westminster et tourner devant Big Ben, arriver devant Buckingham Palace, c’était… magique.

C’est la ferveur populaire et le nombre de gens venus nous encourager sous la pluie qui m’ont le plus impressionné. Trois rangs de spectateurs hurlants sur presque tout le parcours, c’est quand même dingue. Paris est une ville magnifique, mais il n’y a aucune ferveur avant le Trocadéro. Berlin est une belle ville, moins indifférente que Paris, mais Londres, c’est vraiment un autre niveau.

L’immense majorité des coureurs (hors Élites) porte les couleurs d’une œuvre de charité. Cette année, le marathon de Londres a permis de lever un peu plus de 59 millions d’euros. Chaque coureur est donc un héros qui court sous la pluie une distance déraisonnable, certes, mais surtout va permettre de récolter de l’argent pour un hôpital, la recherche scientifique, la protection des animaux, pour lutter contre une maladie qui leur a enlevé un être cher…

J’ai croisé un coureur portant un frigo de 26 kg, et j’ai cherché des infos sur lui après la course. Son exemple résume très bien ce qu’est Londres.

Un homme a couru avec un déguisement de rhinocéros, j’ai trouvé ça drôle. Un autre en os, j’ai aussi trouvé ça drôle jusqu’à ce que je lise sur la diaphyse que son petit frère a été emporté par un ostéosarcome, et que c’est pour réunir des fonds en faveur de la recherche qu’il court. Pour qu’à l’avenir moins de petits frères meurent.

Évidemment, quand on ne court que par la grâce de son portefeuille et pour personne d’autre que soi-même, on se sent très inutile et très con sous la pluie. Je suis parti avec une agence de voyages spécialisée, seul moyen « simple » d’avoir un dossard. Il suffit de payer. J’ai redécouvert à cette occasion, comme à Berlin le monde un peu curieux des coureurs globe-trotters. Des retraités, plutôt, qui parcourent le monde pour décrocher les 6 (bientôt 7) étoiles, c’est à dire terminer les 6 auto-proclamés World Marathon Majors. Attrapez-les tous! Ils se croisent régulièrement et finissent par se connaître, au moins se repérer car ils portent souvent des vestes de course en polyester qui immortalisent leurs exploits. Ils ne parlent que de courses, passées ou futures. je les ai consciencieusement évités. Dans un coin sombre de mon esprit, j’ai lu que j’avais déjà 2 étoiles sur 6 (bientôt 7).

La seule chose que j’ai vraiment détestée à Londres était l’expo où l’on devait retirer son dossard. Rien ne nous oblige à aller voir les stands, mais on se laisse toujours tenter, pour une expérience toujours misérable. À Berlin, j’avais détesté l’immense magasin éphémère Adidas, la foule s’arrachant presque des mains des T-shirts moches. À Londres, c’était New Balance, tout était aussi très moche, vert kaki, ou jaune pisseux. Une musique boum-boum à fond et une foule surexcitée ont achevé de me dégoûter. On aurait dit une séquence filmée par Terry Gilliam sous acide pour critiquer la consommation de masse hystérique d’un monde à l’agonie. Mais là c’est la vraie vie et ce n’est pas beau à voir. Mais on plante des arbres, on recycle nos tenues en polyester, sans rire, donc tout va bien, on est presque trop verts.

Un coin très calme de la gigantesque expo

Après la course, je me suis trainé à la National Gallery qui était toute proche. J’avais sélectionné 3 œuvres que je voulais absolument voir, et l’une rappellera des souvenirs à mes plus anciens lecteurs.

J’ai aussi découvert cette œuvre de Akseli Gallen-Kallela que j’aime beaucoup:

Puis après, ça été la débauche de gras et de calories dans un excellent Fish & Chips (The Fish House sur Pembridge Road).

Quelques photos en vrac de Londres:

Presque un général de l’armée rouge ou nord-coréenne…