Le traitement de l’information médicale (rediffusion)

Ce matin, je suis tombé sur deux tweets qui en disent long sur l’objectivité des informations sur les médicaments, délivrées par la presse médicale dont la survie dépend en grande partie de l’industrie…du médicament.

Je me suis dit que j’allais rafraichir, condenser et rediffuser une série d’articles que j’avais publiés en 2009 (le premier est ici). Comme quoi, les années passent, et malgré tous les scandales, les déclarations d’intention, et les chartes de bonne conduite, une partie de la presse médicale est toujours profondément viciée par ses liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique. A l’époque, j’avais analysé tous les articles du Quotidien du Médecin (publiés entre 2002 et 2008) concernant le rimonabant (Acomplia®), molécule de Sanofi finalement retirée du marché en 2008. Cette analyse permet de bien se rendre compte de la temporalité d’un mécanisme purement promotionnel, qui se drape d’un traitement journalistique rigoureux, et de qualité.

Le conditionnement des futurs prescripteurs par la presse médicale suit une chronologie immuable:

  1. Description minutieuse et tatillonne de l’effet du futur médicament dans des études sur un mécanisme cellulaire le plus souvent parfaitement obscur (mais passionnant d’un point de vue conceptuel) chez le rat musqué bolivien.
  2. Idem, mais chez l’homme dans les premières études cliniques.
  3. Communiqué de presse victorieux en cas de positivité d’une « grande étude pivot ». Si l’étude est négative, on met en avant la positivité d’un critère intermédiaire secondaire, favorablement influencé par pur hasard (c’est une spécialité Servier).
  4. Au cas où les choses tournent mal (médicament retiré car il tue des patients), on en parle pas et on recommence le cycle pour une autre future molécule prometteuse et innovante.

C’est un peu long, prenez du pop-corn.

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Voici la phrase d’entame de l’article de Carnets de Santé que j’ai cité dans cette note:

« Une étude publiée par les Cahiers de sociologie et de démographie médicale montre une nouvelle fois que la presse médicale est un élément essentiel de la formation continue des médecins (FMC) : elle est citée par 84 % d’entre eux comme moyen de FMC, devant la participation à un congrès médical (73 %), la lecture de manuels (72 %), l’internet (66 %) et les séances de FMC organisées par les associations professionnelles (51 %).« 

Au décours de la lecture du texte de Carnets de Santé, j’ai parcouru l’article de UFC-Que choisir qui critiquait sans trop détailler le traitement de la courte carrière du rimonabant par le vénérable Quotidien du Médecin.

Comme j’ai suivi presque depuis le début le développement du rimonabant (Acomplia®), et que l’information médicale est un sujet qui m’intéresse en général, j’ai décidé d’aller regarder cette histoire d’un peu plus près pour me faire ma propre idée.

Je vais au préalable faire un rappel chronologique de l’histoire du rimonabant, chronologie importante à connaître pour analyser la série d’articles du Quotidien:

  • 9 mars 2004: présentation des résultats de RIO-LIPIDS et de STRATUS. Cette dernière étude semble démontrer l’intérêt du rimonabant dans le sevrage tabagique.

  • Septembre 2004 : Étude RIO-Europe: le rimonabant provoque une perte de poids, une diminution de l’obésité abdominale, et une amélioration des profils lipidiques et glucidiques.

  • 13 juin 2005: présentation de RIO-DIABETES, intérêt du rimonabant chez les diabétiques de type 2.

  • 21 Juin 2006: obtention d’une AMM européenne, ainsi libellée :

Le rimonabant a obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans le traitement des patients obèses (indice de masse corporelle [IMC] ≥ 30 kg/m2) ou en surpoids (IMC > 27 kg/m2) avec facteurs de risque associés, tels que diabète de type 2 ou dyslipidémie, en association au régime et à l’exercice physique. Il n’a pas été étudié et ne doit pas être prescrit dans d’autres indications (lutte contre la prise de poids liée au sevrage tabagique, amincissement à des fins esthétiques…).

  • 5 Décembre 2006: présentation de l’étude SERENADE qui montre que le rimonabant améliore le contrôle glycémique chez les diabétiques de type 2.

  • 22 mars 2007: les conditions de remboursement à 35% par la Sécurité Sociale sont fixées, et sont plus sévères que celles du libellé de l’AMM: prescription sur une ordonnance spécifique aux médicaments d’exception, et selon les critères suivants:

Le remboursement du rimonabant est réservé aux patients obèses (IMC [2] 30 kg/m²) et diabétiques de type 2, insuffisamment contrôlés par une monothérapie par metformine ou par sulfamide, et dont l’HbA1c est comprise entre 6,5 % et 10 %. Le traitement par le rimonabant doit être associé au régime et à l’activité physique. Ce médicament a le statut de médicament d’exception. Taux de remboursement : 35 %.

  • 29 mars 2007: L’AFSSAPS [future ANSM] renforce la surveillance des effets secondaires du rimonabant et demande leur déclaration obligatoire auprès des centres de pharmacovigilances.

  • 13 juin 2007 : Un panel d’experts de la FDA recommandent le refus de sa commercialisation aux États-Unis.

  • 19 juillet 2007: L’EMEA [future EMA] recommande la contre-indication du rimonabant chez les patients ayant une dépression caractérisée, ou traitée par anti-dépresseurs.

  • 17 novembre 2007: Une méta-analyse danoise retrouve une augmentation du risque psychiatrique chez les patients traités par rimonabant.
  • 2 avril 2008, publication de l’étude STRADIVARIUS qui montre que le rimonabant ne diminue pas l’athéromatose coronaire.
  • 10 juin 2008, résultats de l’étude ARPEGGIO qui montre que le rimonabant améliore le contrôle glycémique des diabétiques de type 2.
  • 11 juillet 2008: Nouvelle mise en garde de l’AFSSAPS:

En juin 2008, une nouvelle analyse des données de pharmacovigilance les plus récentes montre que les troubles dépressifs peuvent aussi survenir chez des patients sans autre facteur de risque que l’obésité. Les troubles dépressifs, lorsqu’ils surviennent, sont observés dans plus de 50 % des cas au cours du premier mois et dans plus de 80% des cas au cours des 3 premiers mois de traitement.
En conséquence, il est maintenant recommandé que tous les patients sous Acomplia ® soient étroitement surveillés par leur médecin et tout particulièrement dans les trois premiers mois de traitement. Les professionnels de santé seront informés par une lettre aux prescripteurs de ces nouvelles mises en garde et recommandations de surveillance.

  • 23 Octobre 2008 : Suspension de son AMM en Europe devant la constatation d’une balance bénéfices/risques défavorable, notamment à cause d’effets psychiatriques graves.
  • 5 novembre 2008, Sanofi-Aventis décide d’arrêter l’ensemble des essais cliniques sur le rimonabant.

Le site web du Quotidien du Médecin possède un moteur de recherche interne qui m’a permis de rechercher toutes les occurrences des termes rimonabant (87 réponses) et acomplia (26 réponses). Après avoir fusionné les résultats, et supprimé les doublons, j’obtiens 80 articles comportant au moins une fois les termes rimonabant ou acomplia entre le 28/05/2002 et le 07/11/2008.

Après une première lecture, j’ai retenu les critères d’étude suivants:

  • informations utiles à la prescription (indications, posologie, contre-indications, précautions d’emploi, effets secondaires, surdosage)
  • informations sur la physiopathologie et les recherches fondamentales en cours
  • informations réglementaires émises par l’AFSSAPS ou l’EMEA (Obtention d’AMM, retrait d’AMM, surveillance…)
  • informations économiques
  • divers (informations inclassables dans les quatre autres catégories)

Pour chaque article, j’ai classé la ou les informations délivrées dans une ou plusieurs de ces 5 catégories.

Par ailleurs, j’ai noté la source d’information de l’article, lorsqu’elle était indiquée (congrès, symposium, communiqué de presse…), et la qualité du rédacteur (non nommé, médecin, non médecin…).

Quarante sept informations utiles à la prescription ont été diffusées tout au long des 80 articles que le Quotidien a consacré au rimonabant.

27 concernaient la tolérance, 14 les indications selon l’AMM, 5 les contre-indications, 1 la posologie, 0 le surdosage.

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Toutefois, si on fait une analyse qualitative, on se rend compte qu’une grande partie des mentions faites sur la tolérance du rimonabant étaient plutôt rassurantes.

Avant le 13 juin 2007 et la réponse négative de la FDA, les données de pharmacovigilances glanées au cours des différentes études sont en effet plutôt rassurantes. Il est donc « normal » de ne pas trouver d’interrogations spécifiques à ce sujet. Par contre, à partir du 13 juin, le problème de la tolérance du rimonabant va être mis partout ailleurs au devant de la scène, notamment par l’EMEA et l’AFSSAPS, et y rester, jusqu’à sa conséquence logique, le retrait de l’AMM.

On citera par exemple le paragraphe suivant tiré de l’article « Diabète de type 2 et obésité. Une prise en charge commune » daté du 25/06/08, puis repris intégralement dans deux autres articles, le 27/06/08 et le 12/09/08:

« Le profil de tolérance du rimonabant a été conforme à celui observé dans les études antérieures. Dans le groupe rimonabant, il y a eu davantage de troubles digestifs (nausées = 11 % vs 1,6 % ; diarrhée = 7,3 % vs 6,4 %) et de troubles psychiques (anxiété : 14 % vs 4,3 %, humeur dépressive 10,1 % vs 4,3 %), mais il n’y a pas eu plus d’effets indésirables graves. ARPEGGIO fait partie du programme de phase IIIB évaluant l’intérêt du rimonabant dans la prise en charge du diabète de type 2 et des maladies cardio-vasculaires. »

Cette mention plutôt rassurante du profil de tolérance de l’étude ARPEGGIO est la seule de cette série de trois articles quasiment identiques, qui reprennent l’historique des différentes études faites sur le rimonabant.

Pourtant, la tolérance du produit était sur la sellette depuis le 13 juin 2007, date du refus de la FDA, motivé par les risques psychiatriques, et surtout la notification de contre-indication de l’EMEA du 19 juillet 2007.

Enfin, le 11 juillet 2008, c’est à dire entre la parution du premier article et des deux autres, l’ AFSSAPS avait publié une nouvelle mise en garde de pharmacovigilance sur les risques psychiatriques du rimonabant.

On peut objecter que ces articles étaient des compte-rendus de résultats d’études, même anciennes (2004 pour le programme RIO), mais il est tout de même curieux de ne trouver aucune mention de données importantes et récentes de pharmacovigilance.

L’article « Stratégie thérapeutique dans le diabète de type 2. Les critères de choix d’une bithérapie« , daté du 16/10/08, c’est à dire exactement 7 jours avant le retrait de l’AMM du rimonabant est aussi tout à fait étonnant, puisqu’il cite ce produit comme une alternative thérapeutique dans le diabète de type 2 [note de l’auteur, ce qui est soit dit en passant une indication hors AMM] sans faire la moindre mention aux effets secondaires, ni aux mesures de pharmacovigilance mises en place par les autorités sanitaires:

« – Le rimonabant, indiqué pour le traitement des patients obèses (IMC ≥ 30 kg/m2), ou en surpoids (IMC > 27 kg/m2), avec facteurs de risque associés, tels qu’un diabète de type 2 ou une dyslipidémie, en association au régime et à l’activité physique, a l’avantage de favoriser la perte de poids et notamment la diminution du tour de taille. En outre, 50 % de son effet sur la diminution de l’HbA1c (qui est d’environ 0,6 %) est indépendant de l’effet « perte de poids ».« 

Si l’on recherche les occurences des termes « suicide(s) » et « idées suicidaires » dans les 80 articles retenus, on retrouve leur mention aux dates suivantes:

  • 12/09/08: mention de risque suicidaire chez le sujet obèse, en général, avec pour le rimonabant le profil de risque déjà cité plus haut. Curieux que ce risque suicidaire « spontané » ressorte au moment même où le rimonabant a des soucis avec ce même risque suicidaire. Ce n’est pas le médicament qui pose problème, mais la pathologie.

  • 18/04/08: article qui parle le plus du risque de dépression et de suicide chez les patients sous rimonabant. L’auteur indique que le risque est de 1.8, mais qu’il porte plus sur des idées suicidaires que sur de véritables tentatives. Enfin, il précise les précautions à prendre chez le patient aux antécédents psychiatriques et recommande d’arrêter le traitement en cas de survenue d’anxiété/de dépression.

  • 20/11/07: mention de la méta-analyse danoise du Lancet qui a mis en évidence un sur-risque de dépression chez les patients traités par rimonabant. L’article se termine par un communiqué rassurant de Sanofi.

  • 05/07/07: report de la présentation du dossier d’AMM devant la FDA après le rejet par les experts le 13/06/07. Cet article explicite donc ce refus. Les trois derniers paragraphes de l’article mentionnent respectivement les investigations en cours de l’EMEA sur le sujet, la confiance de Sanofi dans sa molécule, un petit rappel physiologique et qu’il est autorisé dans 42 pays et commercialisé dans 20.

L’obtention de l’AMM en Europe le 21 juin 2006 a fait l’objet de 18 mentions, dont 14 reprenant le libellé de l’AMM.

J’ai retrouvé cinq mentions de contre-indications, dans les articles datés du 26/07/07 (à la suite du communiqué de l’EMEA du 19/07/07) , 27/08/07 (erratum du premier article), puis les 20/11/07, 07/01/08 et 23/04/08.

La posologie usuelle est mentionnée une seule fois le 03/04/07.

Les risques liés au surdosage, très théoriques, il est vrai, ne sont pas décrits.

On retrouve 16 explications de physiopathologie, principalement dans les années 2004 et 2005 et 3 références à des travaux de recherche fondamentale (1 sur la sensibilité à l’insuline le 26/09/07, 1 sur l’eczéma de contact le 08/06/07, 1 sur la fibrose hépatique le 23/05/06).

Des informations réglementaires concernant le rimonabant sont reprises 11 fois.

Le plan de surveillance renforcée des effets secondaires de l’AFSSAPS est notifié aux lecteurs du QdM dès le 21/02/07 (le communiqué de l’AFSSAPS dont je dispose étant daté du 29/03/07).

La publication d’une fiche du bon usage en avril 2007 par l’HAS n’a pas été indiquée.

La notification de contre-indication chez les patients souffrant de dépression caractérisée ou traités par un antidépresseur dépressif faite par l’EMEA et répercutée par l’AFFSAPS le 19/07/07 a donc été faite dès le 26/07/07, avec un erratum le 27/08/07.

L’alerte émise par l’AFSSAPS le 11/07/08 n’a pas été mentionnée.

En octobre 2009, le retrait de l’AMM du rimonabant daté du 23 octobre 2008 n’avait toujours pas été mentionné par le Quotidien du Médecin à ses lecteurs.

Au cours des 80 articles que le Quotidien a consacré au rimonabant, j’ai compté 10 mentions relevant du domaine des informations économiques.

La première apparition, qui est est aussi la première du rimonabant dans le Quotidien est datée du 28/05/2002. La direction de Sanofi plaçait dans sa molécule de grands espoirs de croissance.

La dernière date du 12/09/08 et annonce le remplacement du directeur général de Sanofi-Aventis, probablement à la suite de l’échec du rimonabant devant la FDA en juin 2007.

Enfin, j’ai répertorié 7 informations que j’ai classées dans la catégorie « divers »:

  • le 18/03/08: nouvelle présentation de l’Acomplia (30 comprimés par boite à la place de 28)
  • le 17/12/07: simple mention du nom rimonabant dans le cadre d’un traitement anti-diabétique [là aussi, hors AMM]
  • le 27/11/2007: idem que supra, sauf que là, la mention semble faire partie de l’AMM.
  • le 18/06/2007: la FDA émet un effet défavorable pour l’obtention de l’AMM aux États-Unis. L’article est remarquable de concision, car il omet totalement de préciser la raison de ce refus pourtant inattendu et lourd de conséquences.
  • le 15/06/07: le rimonabant a gagné le « prix MEDEC de l’innovation thérapeutique » de l’année 2007. Ironiquement, cette annonce a eu lieu 2 jours après l’échec devant la FDA pour les incertitudes sur les risques psychiatriques.
  • le 09/03/2007: simple mention du rimonabant dans un article sur le système endocannabinoïde et la douleur.
  • le 14/11/2006: mon article préféré, celui qui annonce l’obtention par le rimonabant d’une AMM au Mexique. Le Quotidien choie ses médecins abonnés francophones, prescrivant au Mexique, les seuls intéressés par cette information.

La première grande limitation de cette étude est qu’elle n’est pas scientifique. Si elle l’a été un jour, en projet, elle l’est devenue de moins en moins au fur et à mesure que je creusais le sujet.

L’autre grande limitation est le moteur de recherche du Quotidien dont je ne connais aucune caractéristique, notamment la base de données qu’il permet d’explorer. Si ça se trouve, le Quotidien a publié des dizaines d’articles exposant leurs doutes sur la sécurité d’utilisation du rimonabant à partir du 13/06/07 (date de l’avis négatif des experts de la FDA) ou diffusant les alertes de sécurité des autorités sanitaires, notamment l’alerte de l’AFSSAPS du 11/07/08 et la nouvelle de la suspension d’AMM de ce produit. Si l’un de vous trouve un de ces articles, qu’il n’hésite pas à m’en faire part, je corrigerais bien volontiers mes données.

Je vous propose un petit jeu qui devrait être tout aussi éclairant qu’une fin d’article laborieuse.

Je vais vous fournir cinq couples d’extraits de textes traitant du rimonabant.

Cinq d’entre eux sont tirés d’articles du Quotidien du Médecin, les cinq autres de documents émanant de Sanofi-Aventis, (lettres aux actionnaires, communiqués de presse, mises à jour réglementaires…).

Devinez quelle est la source de chaque extrait, ça devrait être facile:


  • 1.a ). « Deux études pivot montrent l’intérêt d’Acomplia TM (rimonabant) pour une nouvelle approche de prise en charge du risque cardiovasculaire chez les personnes en surpoids ou obèses et chez les fumeurs. Les résultats des essais Rio-Lipids et Stratus-US annoncés aujourd’hui à l’occasion du congrès de l’American College of Cardiology. »

  • 1.b ). « RIO-Lipids et Stratus-US, deux études pivots dont les résultats viennent d’être présentés pour la première fois au cours du Congrès annuel de l’American College of Cardiology, suggèrent que le rimonabant est un traitement prometteur permettant à la fois de lutter contre l’obésité et d’aider à l’arrêt du tabagisme. »


  • 2.a ). « Le rimonabant est le premier antagoniste des récepteurs CB1 approuvé dans cette indication. Ces récepteurs sont présents dans le cerveau et les organes périphériques qui participent au métabolisme du glucose et des lipides, y compris tissu adipeux, foie, voies digestives et muscles. En bloquant sélectivement les récepteurs CB1, Acomplia freine la suractivation du système endocannabinoïde au rôle important dans la régulation du poids, de l’équilibre énergétique et du métabolisme glucido-lipidique. »

  • 2.b ). « Le rimonabant est le premier inhibiteur sélectif des récepteurs CB1 permettant de réduire la suractivité du système endocannabinoïde (système EC), récemment caractérisé. Les récepteurs CB1, qui font partie du système EC, sont situés dans le cerveau mais aussi dans les organes périphériques et notamment dans le tissu adipeux, le foie, les muscles, le pancréas et les voies digestives. Des recherches ont montré que le système EC joue un rôle important dans l’équilibre énergétique et qu’il intervient directement dans le métabolisme du sucre et des graisses. »


  • 3.a ). « Une suractivité du système EC entraîne un gain de poids et favorise le stockage des graisses dans les cellules et dans le foie. »

  • 3.b ). « La suractivité du système endocannabinoïde (système EC) dans le tissu adipeux et les muscles favorise l’accumulation de graisse et diminue la capture du glucose, ce qui peut accroître le risque de développer une résistance à l’insuline et une mauvaise tolérance au glucose. »


  • 4.a ). « L’étude RIO-Lipids est la première des quatre études de phase III du programme RIO destiné à évaluer la tolérance et l’efficacité du rimonabant sur la perte de poids et les facteurs de risque métabolique chez 6 600 obèses. »

  • 4.b ). « L’essai RIO-Lipids fait partie des quatre études de phase III constituant le programme RIO, qui évalue l’effet du rimonabant sur les facteurs de risque cardio-métabolique chez plus de 6600 patients en surpoids ou obèses. »


  • 5.a ). « L’approbation d’Acomplia se fonde sur des données dont celles du programme RIO : administré à raison d’un comprimé à 20 mg/j, Acomplia permet une réduction significative du poids et du périmètre abdominal, des taux d’HbA1c et de triglycérides ainsi qu’une augmentation des taux de cholestérol HDL. »

  • 5.b ). « Les résultats du programme RIO montrent qu’administré à raison d’un comprimé de 20 mg par jour ACOMPLIA® permet une réduction significative du poids et du périmètre abdominal, des taux d’HbA1c et de triglycérides, ainsi qu’une augmentation des taux de cholestérol HDL, le « bon » cholestérol. »


 

Encore une histoire d’agoniste des récepteurs GLP-1.

J’ai déjà parlé de ces merveilleuses molécules neutres dans les notes suivantes:

Puis j’ai un peu laissé tombé jusqu’à ce tweet de Medscape France qui m’a excité au plus haut point:

Le texte de l’article m’a laissé un peu perplexe, notamment ce paragraphe:

Capture d'écran 2016-05-04 17.11.11J’ai mis un peu de temps à comprendre (je ne suis que cardio), mais en fait, je présume que le semaglutide (la molécule étudiée dans SUSTAIN-6) doit significativement diminuer l’HbA1c, par rapport au placebo, ce qui est plutôt bien (et attendu) pour un traitement anti-diabétique.

D’accord. Donc si on diminue le « risque cardio-vasculaire », on doit diminuer le nombre d’évènements cardio-vasculaires? Et bien non, car pour ce critère, le semaglutide n’est « que » non-inférieur au placebo. Nous sommes donc encore dans le cas d’un médicament anti-diabétique qui n’améliore qu’un critère intermédiaire, sans améliorer la morbi-mortalité cardio-vasculaire, ce qui est fort dommage pour les patients, vous en conviendrez. Le suivi est de 2 ans, quand même.

Au bout de 2 ans de traitement, aucune amélioration de la morbi-mortalité n’est discernable entre placebo et semaglutide.

Notez bien le subtil mais notable changement de sémantique. On ne dit plus « amélioration du HbA1c », mais « réduction du risque cardio-vasculaire ». Car ce dernier concept est très proche à l’oreille de « réduction des événements cardio-vasculaires », déclencheur logique d’une prescription. Vous verrez en fin de note que ce glissement sémantique a totalement mystifié une journaliste.

Mais revenons à l’article de Medscape France, qui est en partie traduit de l’article de Medscape US (l’auteure US est créditée):

Capture d'écran 2016-05-04 18.08.39qui lui même reprend une partie du communiqué de presse de Novo-Nordisk:

Capture d'écran 2016-05-04 17.11.46Pas de quoi fouetter un chat, me direz-vous, il s’agit d’un énième article de presse qui se contente de reprendre un communiqué de presse sans ajouter beaucoup de plus-value. Mais cela met un peu à mal les ambitions affichées de Medscape:

Capture d'écran 2016-05-04 17.10.27Oui, me direz-vous, mais l’article français comporte aussi une fine analyse d’un éminent endocrinologue français.

Rigueur et équilibre, donc.

L’analyse de l’endocrinologue est néanmoins un peu curieuse:

  • premier paragraphe: pas de changement de stratégie actuelle, car pas de bénéfice clinique observé.(\0/)
  • second paragraphe: rappel des recos HAS (\0/),
  • puis troisième paragraphe: l’auteur précise que les médecins ne suivent pas les recos HAS tout en donnant une CAT qui conseille la prescription de molécules n’ayant pas forcement démontré de bénéfice clinique… (???)

Capture d'écran 2016-05-04 19.58.55Rigueur et équilibre?

La mise en exergue d’une de ses phrases, pleine de bon sens en elle-même, dans cet article qui attribue des bienfaits cardiovasculaires au semaglutide me paraît assez orientée:

Capture d'écran 2016-05-04 18.24.58L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêts, ce qui est bien:

Capture d'écran 2016-05-04 18.17.56Rigueur et équilibre, donc.

Néanmoins, assez curieusement, dans cet article de Medscape US du 04/06/2015, il déclarait quand même un lien d’intérêt avec Novo-Nordisk:

Capture d'écran 2016-05-04 17.48.44Cet article est la traduction d’une vidéo postée sur Medscape France le 22/05/2015, où la déclaration publique d’intérêts n’est pas la même:

Capture d'écran 2016-05-04 18.22.37Pourtant dans un article publié dans l’European heart Journal en août 2015 (doi: 10.1093/eurheartj/ehv347), il décrit en effet un lien avec Novo Nordisk:

Capture d'écran 2016-05-04 20.02.41Rigueur et équilibre?

Mais ces arguties ne sont rien par rapport au magnifique texte de science-fiction de European Pharmaceutical Review:

Capture d'écran 2016-05-04 17.10.50Le texte est un copié-collé du communiqué du labo mais le titre est grandiose car bien sûr totalement trompeur.

Capture d'écran 2016-05-04 18.43.55L’auteure est tombée dans le piège sémantique que le communiqué de presse du labo lui a tendu.

Risque cardio-vasculaire≠événement cardio-vasculaire.

Morale de cette note: soyez rigoureux et équilibrés quand vous lisez un texte, d’autant plus qu’il ne l’est pas.

Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change

Il paraît que le dernier numéro de Cardiologie Pratique est un panégyrique de l’ezetimibe….

La première page et l’extrait suivant semblent en effet annoncer une grande offensive pour sortir l’ezetimibe de la voie de garage sur laquelle une série d’essais décevants l’avait poussé:

Improve-it cardio pratique 2Improve it Cardio pratique 1Le magazine Forbes a demandé à des spécialistes ce qu’ils pensaient des résultats d’IMPROVE-IT:

The result is, in a word that came up regularly during interviews with 15 cardiologists and industry executives, “modest.” No deaths were prevented by using the $7-a-day Vytorin pill instead of a 25-cent generic.

Researchers at Duke and Harvard’s Brigham & Women’s Hospital said in a press release that 50 patients had to be treated to prevent a heart attack or stroke – an impressive figure. But that’s over seven years. Over five years, the number would be 70, compared to 44 for other statin trials according study author Christopher Cannon. It would cost $880,000 to prevent that heart attack or stroke, at least until Zetia goes generic in 2016. “As expensive as it is, it’s less expensive than the cost of a stroke,” argues Duke University’s Robert Califf, one of the researchers who designed the study.

To some cardiologists who have been critics of the drug, the size of the effect – a 6.4% relative decrease – remains an issue.

“I will be the first to say it is a positive result, that it is a meaningful, it shows that lowering LDL with a non-statin, in this case ezetimibe, does in fact reduce morbidity and mortality a little bit,” says Steven Nissen of the Cleveland Clinic. “But it’s a very specific population, it is a very small population, and it took a very long time. It should not be overstated.”

Allen Taylor, chief of the cardiology division at Medstar Georgetown University Hospital, was even stronger: “Risk reduction of 6% is nothing to dance around about,” he says. “It’s very clinically marginal. It’s positive only because it’s so big and so long they brought it down to such a low chance of failing that even a marginal clinical result like this could be statistically in the bounds of value.”

D’autres ne se sont pas montrés beaucoup plus enthousiastes:

To heartwire , Dr Sanjay Kaul (Cedars Sinai Medical Center, Los Angeles, CA), who was not affiliated with the study, said the IMPROVE-IT trial « technically » won on the primary end point, but he questions the clinical significance of the findings, noting the overall treatment effect was modest. He also points out that the difference in the composite primary end point « was elevated to the lofty pedestal of statistical significance simply due to the large sample size, a classic example of a disconnect between statistical significance and clinical importance. »

« Are we to applaud and celebrate a 6% relative risk reduction in a quintuplet end point that is primarily driven by reductions in nonfatal end points? » asked Kaul. He added that it is not clear which type of MIs, spontaneous or periprocedural, were reduced with treatment.

Le dernier paragraphe est très pertinent. La multiplicité et l’hétérogénéité du critère principal (AVC/mort cardio-vasculaire/hospitalisation pour angor instable/SCA ST+/revascularisation coronaire) obère en grande partie l’interprétation sur l’efficacité clinique de l’ezetimibe que l’on pourrait faire en regardant la significativité statistique de cet essai.

18141 patients suivis pendant 7 ans et un critère primaire avec une quintuple composante… Ce n’est plus une loupe qu’ont utilisé les auteurs pour observer les effets cliniques induits par l’ezetimibe, mais un microscope électronique particulièrement pêchu. Malgré toute cette très impressionnante puissance statistique, on arrive à un poussif 6,4% de diminution moyenne du risque relatif (et aucune amélioration de la mortalité totale ou même cardio-vasculaire). 

Il nous faudra donc encore un appareil bien plus discriminant pour espérer voir un  effet sur le patient de l’autre côté de votre bureau.

Voici aussi ce que dit Michel Cucherat des critères composites:

La fréquence de survenue d’un critère composite est supérieure à la fréquence de chacune de ses composantes. De ce fait, les critères composites augmentent la puissance de la recherche de l’effet traitement. Le nombre de sujets nécessaires est moindre avec un critère composite qu’avec une seule de ses composantes.

Cette utilisation pose cependant plusieurs problèmes. En cas de regroupement d’événement de pertinence clinique variable, le critère global va être principalement le reflet des événements de moindre importance si ces derniers sont prépondérants en fréquence. Ainsi, lorsque le critère clinique pertinent n’est que l’une des composantes d’un critère combiné , la mise en évidence d’un effet sur le critère composite ne permet souvent pas d’inférer un effet sur le critère clinique pertinent. Dans un essai d’antiagrégants lors de l’angioplastie, l’observation d’une réduction significative de la fréquence du critère « décès+revascularisation+stent » ne démontre pas l’aptitude du traitement à réduire la mortalité. Car la mortalité ne représente qu’une petite part du critère composite. Bien que plus facile à mettre en évidence, un effet sur un critère composite n’équivaut pas à une démonstration de l’efficacité sur le critère clinique le plus pertinent.

Un effet délétère sur la mortalité peut être tamponné dans un critère clinique par un effet favorable sur un critère bien plus fréquent. L’utilisation du critère composite fait passer à côté de cet effet indésirable et de l’absence de bénéfice clinique du traitement.

Pas de précipitation, je ne pense pas qu’il soit totalement déraisonnable de savoir résister aux sirènes de « 20 ans d’innovation » en réfléchissant bien avant de prescrire de l’ezetimibe, même aux patients de la population étudiée par IMPROVE-IT.

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Sauf si vous voulez petit-déjeuner/déjeuner/goûter/diner gratuitement, mais ça, on ne peut pas l’inférer de la lecture de l’étude. 😉

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Merci à celui qui se reconnaitra.

Dies irae

Les laboratoires Servier m’ont toujours impressionné par leur manière de vendre des médicaments.

Ils déterminent de façon méthodique une stratégie de vente qui est souvent avant-gardiste et l’appliquent sans se poser le moindre questionnement. Leurs publicités des années 70 avaient par exemple 20 ans d’avance.

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IMG_0276Pour cela, ils sont remarquables.

Depuis des années, Servier, comme d’autres, mais eux sont les meilleurs, ont su développer et faire fructifier des liens extrêmement forts avec les cardiologues, à titre individuel et collectif via des structures comme la SFC, le CNCF, ou le syndicat des cardiologues libéraux.

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Il en va de même pour la presse médicale que nous recevons tous gratuitement, et qui ne vit que pour et grâce à l’industrie. Ces journaux sont comme des virus utilisés dans la thérapie génique. Ils délivrent une information, favorable aux labos, à une cible très précise, un médecin de telle ou telle spécialité.

serviersynd1D’où leur multiplication stupéfiante: une revue par spécialité et depuis quelques années par sous-spécialité. Je le dis de nouveau, personne parmi nous ne paye d’abonnement à ces journaux de niche. Leur survie est donc intimement liée aux subsides des labos. Cerise sur le gâteau, les articles sont des piges bien payées pour de grands noms, universitaires ou non.

Tout le monde est content:

  • l’industrie pharmaceutique délivre un message précis à une cible précise, et s’inféode dans le même mouvement une grande partie de l’information médicale post-universitaire.
  • Les revues vivaient jusqu’à présent pas trop mal (en ce moment c’est quand même un peu la crise…) sans avoir à rechercher des lecteurs puisque c’est l’industrie qui payait les abonnements et fournissait les listes d’abonnés. Du moment qu’elles publient des articles dithyrambiques sur les dernières nouveautés ou ne parlent pas des études négatives, comme SIGNIFY pour l’ivabradine, l’industrie leur assure le boire et le manger.

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presseendanger

  • Les cardiologues leaders d’opinions se font mousser, et arrondissent leurs fins de mois.
  • Les cardiologues « de base » (j’en suis un) ont l’impression de continuer leur formation à moindre frais et de vivre dans un monde ou tous les médicaments qu’ils prescrivent, surtout les plus récents sont des merveilles.

Finalement, les seuls lésés par ce gentil petit système, ceux qui ne demandent pourtant rien à personne sont la sécu et les patients.

Et là, patatras, voilà qu’un acteur, et pas n’importe lequel, les laboratoires Servier, eux-même ruent dans les brancards et crachent dans la soupe.

L’histoire est très bien racontée par Medscape. fr et Libération.

Les laboratoires Servier ont donc engagé la firme de conseils Simmons & Simmons pour aller mordre les mollets de leurs anciens amis, la SFC et le CNCF et par ricochet la presse médicale « de qualité ».

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Ils égratignent la revue Cardinale qui ne serait pas une revue scientifique, donc indigne d’être citée par la SFC et le CNCF dans l’affaire Mediator®.

Ils ajoutent « que Cardinale n’est pas référencée dans les bases de données scientifiques et ne remplit pas les critères qui permettent d’en garantir la qualité scientifique » et que « la plupart des assertions de cet article ne sont que l’expression de l’opinion de ses auteurs et non l’expression d’un consensus de la communauté scientifique internationale ».

C’est assez croquignolesque de de voir Servier critiquer la qualité scientifique de cette pauvre revue Cardinale.

C’est comme si UPSA se rendait tout d’un coup compte que Cindy n’avait pas son doctorat en pharmacologie moléculaire et cellulaire et ne connaissait strictement rien aux rhinites hivernales.

Page 29, dans ce numéro de Cardinale de 2001, longtemps avant que Servier ne se rende compte très récemment que cette revue n’était pas le NEJM, ce labo n’hésitait pourtant pas à vanter son extraordinaire Vastarel®.

Curieux que Servier ait décidé de montrer tout d’un coup les dents d’une façon aussi spectaculaire à ses partenaires.

Je ne discerne pas tout, mais je n’ai aucun doute que tout cela ait été longuement réfléchi.

A leur place, néanmoins, j’aurais été moins frontal. J’aurais diminué le nombre de mes encarts publicitaires, la taille de mes stands, le nombre de mes symposia, de mes invitations aux congrès, de mes bourses d’étude, de mes tirés-à-part, pour discrètement mais efficacement montrer qui est le patron.

servier sfc derumeaux(Source.)

Peut-être qu’ils l’ont fait, mais sans succès, alors?

robinsdesbois

(©Disney)

Peut être que, comme je l’avais écrit le 18/01 de façon un peu prémonitoire, d’autres labos ont remplacé Servier dans leur cœur. Attention, il faut toujours se méfier d’un partenaire éconduit…

Y a t’il quelqu’un dans la salle pour saisir le CODEEM au nom de la SFC, de la revue Cardinale ou du CNCF?