Le traitement de l’information médicale, à propos d’un cas (2)

Quarante sept informations utiles à la prescription ont été diffusées tout au long des 80 articles que le Quotidien a consacré au rimonabant.

27  concernaient la tolérance, 14 les indications selon l’AMM, 5 les contre-indications, 1 la posologie, 0 le surdosage.

Photobucket


Toutefois, si on fait une analyse qualitative, on se rend compte qu’une grande partie des mentions faites sur la tolérance du rimonabant étaient plutôt rassurantes.

Avant le 13 juin 2007 et la réponse négative de la FDA, les données de pharmacovigilances glanées au cours des différentes études sont en effet plutôt rassurantes. Il est donc « normal » de ne pas trouver d’interrogations spécifiques à ce sujet. Par contre, à partir du 13 juin, le problème de la tolérance du rimonabant va être mis partout ailleurs au devant de la scène, notamment par l’EMEA et l’AFSSAPS, et y rester, jusqu’à sa conséquence logique, le retrait de l’AMM.

On citera par exemple le paragraphe suivant tiré de l’article « Diabète de type 2 et obésité. Une prise en charge commune » daté du 25/06/08, puis repris intégralement dans deux autres articles, le 27/06/08 et le 12/09/08:

« Le profil de tolérance du rimonabant a été conforme à celui observé dans les études antérieures. Dans le groupe rimonabant, il y a eu davantage de troubles digestifs (nausées = 11 % vs 1,6 % ; diarrhée = 7,3 % vs 6,4 %) et de troubles psychiques (anxiété : 14 % vs 4,3 %, humeur dépressive 10,1 % vs 4,3 %), mais il n’y a pas eu plus d’effets indésirables graves. ARPEGGIO fait partie du programme de phase IIIB évaluant l’intérêt du rimonabant dans la prise en charge du diabète de type 2 et des maladies cardio-vasculaires. »

Cette mention plutôt rassurante du profil de tolérance de l’étude ARPEGGIO est la seule de cette série de trois articles quasiment identiques, qui reprennent l’historique des différentes études faites sur le rimonabant.

Pourtant, la tolérance du produit était sur la sellette depuis le 13 juin 2007, date du refus de la FDA, motivé par les risques psychiatriques, et surtout la notification de contre-indication de l’EMEA du 19 juillet 2007.

Enfin, le 11 juillet 2008, c’est à dire entre la parution du premier article et des deux autres, l’ AFSSAPS avait publié une nouvelle mise en garde de pharmacovigilance sur les risques psychiatriques du rimonabant.

On peut objecter que ces articles étaient des compte-rendus de résultats d’études, même anciennes (2004 pour le programme RIO), mais il est tout de même curieux de ne trouver aucune mention de données importantes et récentes de pharmacovigilance.

L’article « Stratégie thérapeutique dans le diabète de type 2. Les critères de choix d’une bithérapie« , daté du 16/10/08, c’est à dire exactement 7 jours avant le retrait de l’AMM du rimonabant est aussi tout à fait étonnant, puisqu’il cite ce produit comme une alternative thérapeutique dans le diabète de type 2 [note de l’auteur, ce qui est soit dit en passant une indication hors AMM] sans faire la moindre mention aux effets secondaires, ni aux mesures de pharmacovigilance mises en place par les autorités sanitaires:

« – Le rimonabant, indiqué pour le traitement des patients obèses (IMC ≥ 30 kg/m2), ou en surpoids (IMC > 27 kg/m2), avec facteurs de risque associés, tels qu’un diabète de type 2 ou une dyslipidémie, en association au régime et à l’activité physique, a l’avantage de favoriser la perte de poids et notamment la diminution du tour de taille. En outre, 50 % de son effet sur la diminution de l’HbA1c (qui est d’environ 0,6 %) est indépendant de l’effet « perte de poids ».« 

Si l’on recherche les occurences des termes « suicide(s) » et « idées suicidaires » dans les 80 articles retenus, on retrouve leur mention aux dates suivantes:

  • 12/09/08: mention de risque suicidaire chez le sujet obèse, en général,  avec pour le rimonabant le profil de risque déjà cité plus haut. Curieux que ce risque suicidaire « spontané » ressorte au moment même où le rimonabant a des soucis avec ce même risque suicidaire. Ce n’est pas le médicament qui pose problème, mais la pathologie.

  • 18/04/08: article qui parle le plus du risque de dépression et de suicide chez les patients sous rimonabant. L’auteur indique que le risque est de 1.8, mais qu’il porte plus sur des idées suicidaires que sur de véritables tentatives. Enfin, il précise les précautions à prendre chez le patient aux antécédents psychiatriques et recommande d’arrêter le traitement en cas de survenue d’anxiété/de dépression.

  • 20/11/07: mention de la méta-analyse danoise du Lancet qui a mis en évidence un sur-risque de dépression chez les patients traités par rimonabant. L’article se termine par un communiqué rassurant de Sanofi.

  • 05/07/07: report de la présentation du dossier d’AMM devant la FDA après le rejet par les experts le 13/06/07. Cet article explicite donc ce refus. Les trois derniers paragraphes de l’article mentionnent respectivement les investigations en cours de l’EMEA sur le sujet, la confiance de Sanofi dans sa molécule, un petit rappel physiologique et qu’il est autorisé dans 42 pays et commercialisé dans 20.

L’obtention de l’AMM en Europe le 21 juin 2006 a fait l’objet de 18 mentions, dont 14 reprenant le libellé de l’AMM.

J’ai retrouvé  cinq mentions de contre-indications, dans les articles datés du 26/07/07 (à la suite du communiqué de l’EMEA du 19/07/07) , 27/08/07 (erratum du premier article), puis les 20/11/07, 07/01/08 et 23/04/08.

La posologie usuelle est mentionnée une seule fois le 03/04/07.

Les risques liés au surdosage, très théoriques, il est vrai (Cf paragraphe 4.9), ne sont pas décrits.

On retrouve 16 explications de physiopathologie, principalement dans les années 2004 et 2005 et 3 références à des travaux de recherche fondamentale (1 sur la sensibilité à l’insuline le 26/09/07, 1 sur l’eczéma de contact le 08/06/07, 1 sur la fibrose hépatique le 23/05/06).

Des informations réglementaires concernant le rimonabant sont reprises 11 fois.

Le plan de surveillance renforcée des effets secondaires de l’AFSSAPS est noté dès le 21/02/07 (le communiqué de l’AFSSAPS dont je dispose étant daté du 29/03/07).

La publication d’une fiche du bon usage en avril 2007 par l’HAS n’a pas été indiquée.

La notification de contre-indication chez les patients souffrant de dépression caractérisée ou traités par un antidépresseur dépressif faite par l’EMEA et répercutée par l’AFFSAPS le 19/07/07 a donc été faite dès le 26/07/07, avec un erratum le 27/08/07.

L’alerte émise par l’AFSSAPS le 11/07/08 n’a pas été mentionnée.

A l’heure où j’écris ces lignes, le retrait de l’AMM du rimonabant daté du 23 octobre 2008 n’a toujours pas été mentionné par le Quotidien du Médecin.

Suite au prochain numéro…

😉


°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°

(Article en 4 parties:1, 2, 3 et 4)

Le traitement de l’information médicale, à propos d’un cas (1)

Voici la phrase d’entame de l’article de Carnets de Santé que j’ai cité dans cette note:

« Une étude publiée par les Cahiers de sociologie et de démographie médicale montre une nouvelle fois que la presse médicale est un élément essentiel de la formation continue des médecins (FMC) : elle est citée par 84 % d’entre eux comme moyen de FMC, devant la participation à un congrès médical (73 %), la lecture de manuels (72 %), l’internet (66 %) et les séances de FMC organisées par les associations professionnelles (51 %).« 

 

Au décours de la lecture du texte de Carnets de Santé, j’ai parcouru l’article de UFC-Que choisir qui critiquait sans trop détailler le traitement de la courte carrière du rimonabant par le vénérable « Quotidien du Médecin« .

Comme j’ai suivi presque depuis le début le développement du rimonabant (Acomplia®), et que l’information médicale est un sujet qui m’intéresse en général, j’ai décidé d’aller regarder cette histoire d’un peu plus près pour me faire ma propre idée.

Je vais au préalable faire un  rappel chronologique de l’histoire du rimonabant, chronologie importante à connaître pour analyser la série d’articles du Quotidien:



  • 9 mars 2004: présentation des résultats de RIO-LIPIDS et de STRATUS. Cette dernière étude semble démontrer l’intérêt du rimonabant dans le sevrage tabagique. (Communiqué de presse).


  • Septembre 2004 : Étude RIO-Europe: le rimonabant provoque une perte de poids, une diminution de l’obésité abdominale, et une amélioration des profils lipidiques et glucidiques. (Article de Theheart.org).


  • 13 juin 2005: présentation de RIO-DIABETES, intérêt du rimonabant chez les diabétiques de type 2. (Article de Theheart.org).


  • 21 Juin 2006: obtention d’une AMM européenne, ainsi libellée :


Le rimonabant a obtenu une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) dans le traitement des patients obèses (indice de masse corporelle [IMC] ≥ 30 kg/m2) ou en surpoids (IMC > 27 kg/m2) avec facteurs de risque associés, tels que diabète de type 2 ou dyslipidémie, en association au régime et à l’exercice physique. Il n’a pas été étudié et ne doit pas être prescrit dans d’autres indications (lutte contre la prise de poids liée au sevrage tabagique, amincissement à des fins esthétiques…).

 

  • 5 Décembre 2006: présentation de l’étude SERENADE qui montre que le rimonabant améliore le contrôle glycémique chez les diabétiques de type 2. (Communiqué de presse).


  • 22 mars 2007: les conditions de remboursement à 35% par la Sécurité Sociale sont fixées, et sont plus sévères que celles du libellé de l’AMM: prescription sur une ordonnance spécifique aux médicaments d’exception, et selon les critères suivants:


Le remboursement du rimonabant est réservé aux patients obèses (IMC [2] 30 kg/m²) et diabétiques de type 2, insuffisamment contrôlés par une monothérapie par metformine ou par sulfamide, et dont l’HbA1c est comprise entre 6,5 % et 10 %. Le traitement par le rimonabant doit être associé au régime et à l’activité physique.

Ce médicament a le statut de médicament d’exception.

Taux de remboursement : 35 %. (Arrêté du 7 mars 2007, paru au JO le 22 mars 2007).

 

  • 29 mars 2007: L’AFSSAPS renforce la surveillance des effets secondaires du rimonabant et demande leur déclaration obligatoire auprès des centres de pharmacovigilances (communiqué).



  • 13 juin 2007 : Un panel d’experts de la FDA recommandent le refus de  sa commercialisation aux États-Unis (article de Theheart.org).


  • 19 juillet 2007: L’EMEA recommande la contre-indication du rimonabant chez les patients ayant une dépression caractérisée, ou traitée par anti-dépresseurs. (Communiqué de l’AFSSAPS du 19/07/2007).


  • 17 novembre 2007: Une méta-analyse danoise retrouve une augmentation du risque psychiatrique chez les patients traités par rimonabant.


  • 2 avril 2008, publication de l’étude STRADIVARIUS qui montre que le rimonabant ne diminue pas l’athéromatose coronaire (article de Theheart.org).


  • 10 juin 2008, résultats de l’étude ARPEGGIO qui montre que le rimonabant améliore le contrôle glycémique des diabétiques de type 2 (communiqué de Sanofi-Aventis).



En juin 2008, une nouvelle analyse des données de pharmacovigilance les plus récentes montre que les troubles dépressifs peuvent aussi survenir chez des patients sans autre facteur de risque que l’obésité. Les troubles dépressifs, lorsqu’ils surviennent, sont observés dans plus de 50 % des cas au cours du premier mois et dans plus de 80% des cas au cours des 3 premiers mois de traitement.
En conséquence, il est maintenant recommandé que tous les patients sous Acomplia ® soient étroitement surveillés par leur médecin et tout particulièrement dans les trois premiers mois de traitement. Les professionnels de santé seront informés par une lettre aux prescripteurs de ces nouvelles mises en garde et recommandations de surveillance.


 

  • 23 Octobre 2008 : Suspension de son AMM en Europe devant la constatation d’une balance bénéfices/risques défavorable, notamment à cause d’effets psychiatriques graves (Communiqué de l’EMEA).


 

  • 5 novembre 2008, Sanofi-Aventis décide d’arrêter l’ensemble des essais cliniques sur le rimonabant.

Le site web du Quotidien du Médecin possède un moteur de recherche interne qui m’a permis de rechercher toutes les occurrences des termes rimonabant (87 réponses) et acomplia (26 réponses). Après avoir fusionné les résultats, et supprimé les doublons, j’obtiens 80 articles comportant au moins une fois les termes rimonabant ou acomplia entre le 28/05/2002 et le 07/11/2008.

Après une première lecture, j’ai retenu les critères d’étude suivants:

  • informations utiles à la prescription (indications, posologie, contre-indications, précautions d’emploi, effets secondaires, surdosage)

 

  • informations sur la physiopathologie et les recherches fondamentales en cours
 

 

  • informations réglementaires émises par l’AFSSAPS ou l’EMEA (Obtention d’AMM, retrait d’AMM, surveillance…)
 

 

  • informations économiques

 

  • divers (informations inclassables dans les quatre autres catégories)

Pour chaque article, j’ai classé la ou les informations délivrées dans une ou plusieurs de ces 5 catégories.

Par ailleurs, j’ai noté la source d’information de l’article, lorsqu’elle était indiquée (congrès, symposium, communiqué de presse…), et la qualité du rédacteur (non nommé, médecin, non médecin…).

Suite au prochain numéro…

😉

°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°

(Article en 4 parties:1, 2, 3 et 4)

°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°


Je remercie vivement l’auteur du site Esculape dont la page consacrée au rimonabant m’a beaucoup aidé dans mes recherches.

Je remercie aussi ML pour son aide logistique pour le fameux « dernier article ».

https://grangeblanche.com/2009/10/17/le-traitement-de-linformation-medicale-a-propos-dun-cas-2/

Presse médicale

J’ai découvert dans la « feuille verte  des adhérents de l’AMP «  du mois d’octobre la reprise d’un texte très intéressant sur la presse médicale.

Oh bonheur, ce texte et ses références bibliographiques sont disponibles librement dans les excellents « Carnets de santé » à cette adresse!

J’en avais parlé ici, et les mutations de cette industrie semblent s’accélérer, à la suite des coupes sombres effectuées par les firmes pharmaceutiques dans leur budgets publicitaires et aussi peut-être devant l’émergence des médias sociaux dans l’arsenal commercial de de ces dernières.

En effet, hasard du calendrier (mais le hasard n’existe pas), « Cardiologie Pratique » s’offre plusieurs pleines pages d’auto-promotion, presque une élégie, dans le numéro de cette semaine pour fêter son numéro 900.

Pourquoi ne pas avoir attendu le numéro 1000 ?

la presse médicale en danger?

C’est le titre du grave éditorial en tête du dernier numéro de « Cardiologie Pratique » daté du 4 mars 2009.

Le constat est sans appel. L’industrie pharmaceutique est malade d’une sur-réglementation injuste qui fait diminuer ses ressources,  elle réduit donc ses coûts, notamment le nombre d’encarts publicitaires dans la presse médicale. L’éditorial appelle donc au secours ses lecteurs en leur demandant de s’abonner.

Je cite un extrait: « Un journal de cardiologie vit, en général, grâce à ses abonnés et surtout grâce à ses ressources publicitaires. ce sont ces dernières qui se tarissent. Soumise à des pressions de plus en plus lourdes, à des règlements tatillons, à une politique de taxation et de surtaxation, à des amendes énormes généreusement distribuées sans motif sérieux, victime d’une politique du « tout générique », l’industrie pharmaceutique connaît une des périodes les plus difficiles de son histoire. »

Je précise que je suis abonné depuis des années à « Cardiologie Pratique », comme la plupart de mes collègues, et cela sans avoir versé un seul centime, ni avoir envoyé une demande d’abonnement. Je présume donc que c’est un laboratoire pharmaceutique qui le paye pour moi, comme pour tous les autres.

La méforme actuelle de l’industrie pharmaceutique  a donc probablement un double impact: cette dernière ne s’achète plus d’espaces publicitaires dans des journaux qu’elle finance en partie en abonnant d’office des médecins.

Par ailleurs, je trouve cet éditorial incroyablement courageux car, à ma connaissance, c’est la première fois qu’un rédacteur en chef d’une revue médicale exprime et revendique noir sur blanc sa dépendance en l’industrie pharmaceutique.

Quelles solutions pour sortir de la crise?

Le rédacteur en chef en propose une en lançant un « abonnez-vous! » percutant. Est-ce à dire que je dois prendre un nouvel abonnement en plus de celui du labo pour soutenir « Cardiologie Pratique »?

Je propose modestement quelques pistes.

  • Pourquoi ne pas faire le pari de l’indépendance vis à vis de l’industrie pharmaceutique?
  • Pourquoi ne pas publier des articles intellectuellement honnêtes sur les nouvelles thérapeutiques et les essais cliniques?
  • Pourquoi ne pas, par exemple, publier une série d’articles qui nous apprennent à séparer le bon grain de l’ivraie parmi les informations médicales que nous lisons ou écoutons chaque jour (je pense bien sûr à quelques données fondamentales de statistique médicale)?
  • Pourquoi ne pas faire confiance en l’intelligence et le désir d’apprendre du lecteur?

En un mot, pourquoi ne pas faire le pari de la qualité et de l’indépendance qui intéresseraient, j’en suis certain, un véritable lectorat régulier et fidèle (même parmi les cardiologues) et non de compter, pour exister, sur une liste de noms à abonner dans le Filofax rouge d’une visiteuse médicale?

Je sais à quoi vous pensez. Ce tableau idéal de la presse médicale est le reflet presque exact de la revue Prescrire.

Et vous avez raison.

D’ailleurs, c’est drôle, le hasard est vraiment taquin, car dans le numéro de mars 2009, comme chaque année, la revue fait un petit résumé de ses finances.

Comme vous pourrez le constater ici (en accès libre), les choses vont plutôt bien.

La qualité est gagnante, parfois. Heureusement.


05/03/09, 20h50. Quelques modifications stylistiques et orthographiques et rajout du lien vers le site de Prescrire.

%d blogueurs aiment cette page :