Un critère intermédiaire est souvent une mesure qui va documenter d’un point de vue physiologique une maladie et/ou son traitement. Par exemple, le LDL et l’athéromatose, ou la tension artérielle et certaines maladies cardiovasculaires.
Lorsqu’un critère intermédiaire est l’objet d’une étude clinique, on l’appelle critère du substitution (surrogate endpoint). Le syllogisme est tentant: le traitement T agit sur le paramètre A, Le paramètre A est un déterminant de la maladie M, donc T agit sur M, donc prescrivez T. Parfois, le syllogisme est tellement ancré dans nos esprits que l’on en oublie M, par exemple le LDL et les maladies cardio-vasculaires. Combien de personnes ont été traitée « pour un LDL élevé » lorsque les statines ont été commercialisées, en dehors de toute recommendation?
Les critères de substitution, comme beaucoup d’outils statistiques (par exemple la non-infériorité, les critères secondaires, les analyses post-hoc, en sous-groupe…), n’ont pas été créés par des statisticiens pervers et/ou avides de gloire et d’argent. Ce sont des outils utiles qui avec le temps, et surtout la promesse de résultats rapidement positifs, donc lucratifs, ont été dévoyés de leur fonction première. L’étude d’un critère intermédiaire permet idéalement de valider un concept pharmacologique et/ou physiologique et de savoir rapidement et avec relativement peu de moyens-une mesure est toujours plus rapide à observer qu’un décès ou un évènement clinique-si un traitement peut être efficace sur une maladie. Après, il est nécessaire de confirmer cette hypothèse par un essai clinique, bien plus long et onéreux à mettre en place, mais finalement le seul qui pourra répondre à l’unique question que nous devons nous poser: est-ce que ce traitement diminue la morbidité-mortalité de cette maladie?
Mais comme je l’ai dit, l’outil des critères de substitution fut dévoyé et on a obtenu des AMM et fait prescrire des milliers de boites de médicaments uniquement sur des essais portant sur ces derniers.
On peut regarder ainsi l’exemple quasi caricatural de l’aliskiren qui a obtenu une AMM et a été vendu sur des études montrant son intérêt sur les chiffres tensionnels (critères de substitution), mais qui, in fine n’a jamais montré d’intérêt dans la diminution de la morbidité-mortalité cardio-vasculaire. Le texte de la dernière mise à jour de l’avis de la HAS est éclairant:
Une étude très sympa s’intéressant à la validité des critères de substitution est sortie récemment dans le JAHA.
Tout est résumé dans ce graphique:
Les auteurs ont analysés sur 20 ans, dans 3 grands journaux scientifiques (NEJM, Lancet et JAMA) les essais cliniques sur des thérapeutiques cardio-vasculaires comportant un critère de substitution comme critère principal. Ils ont ensuite regardé les essais cliniques ultérieurs sur ces mêmes thérapeutiques.
D’abord, sur les 220 essais initiaux, seuls 59 ont été suivis par un essai clinique. Cela montre bien que l’essai avec critère intermédiaire, par flemme, manque de moyen, ou tout simplement parce qu’on ne le voit que comme un argument de vente, se suffit à lui même. La seule chose qui compte, l’intérêt clinique pour le patient est donc méprisé la plupart du temps.
Pour le groupe des études qui ont été suivies par un essai clinique, nous observons notamment qu’en cas d’études initiales positives, les essais cliniques confirmaient l’intérêt du traitement que dans 24 cas sur 44. Si les études initiales étaient négatives, les essais cliniques les contredisaient que dans 3 cas sur 15.
Autrement dit, il ne faut pas prescrire de traitement pour son seul effet sur un critère de substitution. Par ailleurs, la négativité d’un essai avec critère de substitution augure assez bien la négativité clinique d’un traitement.
L’effet sur la morbidité-mortalité doit rester idéalement la seule aune permettant de juger de l’intérêt d’un traitement. Tout le reste n’est bien souvent que technique de vente.
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Pour en savoir plus:
Critères cliniques – intermédiaires – de substitution (Interprétation des essais cliniques pour la pratique médicale, Michel Cucherat).
Évaluer les bénéfices d’un traitement : d’abord les critères cliniques utiles aux patients (Revue Prescrire)
C’est instructif. Je me suis amusé à calculer du coup la VPP et la VPN du critère « critère intermédiaire positif » sur le critère « efficacité clinique démontrée » (du moins pour ceux où l’étude à été réalisée). Ca nous donne 55% de VPP (donc, peu) et 80% de VPN (donc pas mal en effet, mais pas extraordinaire !)
Y’a-t-il des explications proposées pour ce phénomène ? Si l’on démontre que Y est un facteur de risque pour la maladie X, alors théoriquement un médicament qui réduit Y devrait réduire X. Pourquoi ce n’est pas le cas ?
Parce que tout est tres multifactoriel, et on ne peut mesurer qu’une infime partie de ce qui se passe. Par exemple un traitement anti-HTA peut faire baisser la tension (ce qui est bien) mais altèrer la fonction rénale (ce qui est mal). Bilan net: zéro malgré un effet bénéfique sur la Tension.
Donc l’hypothèse est que parfois une molécule réussit à réduire un facteur de risque, mais est toxique pour d’autres organes ? N’y aurait-il pas moyen de mettre en évidence cette toxicité lors des essais cliniques
« surrogate endpoint » ou faut-il forcément faire un essai clinique avec le vrai objectif ?
Il faut surtout d’énormes études, ce qui annule l’intérêt « économique » des surrogate endpoints. Seules les études avec « mortalité totale » permettent de dépister un souci.
Avant de faire de médecine, j’avais fait une licence de biologie. Ce qui a eu comme conséquence un étonnement constant sur la non prise en considération de la complexité irréductible du vivant dans l’activité médicale. J’ai connu : Traiter le cœur et fusiller le rein. Mettre un bébé dans un bain à 37°C pour faire baisser sa fièvre (alors que son thermostat rachidien active toute la thermogenèse pour obtenir 39°C afin de perturber la biochimie réplicative du virus…) La sécu rembourse toujours des millions d’euros de paracétamol pour contrer ce système évolutif immunitaire, etc.
Les labo se servent de cette pensée simpliste pour berner médecins et patients : « ma molécule réduit la glycémie !! » (mais les patients traités avec décèdent précocement, oups…). Alors que les racines du DNID2 sont très liées à l’orientation obésogène de l’économie, à la systémique familiale, au niveau socio-culturel, à une génétique de survivant des disettes et famines du néolithique, etc.
A la sortie de nos études nous devrions avoir une certaine humilité et un sens de ce qu’est la complexité du vivant. (merci Edgar Morin).
Je ne peux m’empêcher de citer une nouvelle fois cette phrase de Michel Serre qui me sert de Mantra professionnel : « le réel résiste en substance aux idéalités scientifiques pourtant nécessaires à sa compréhension » !