Les grands esprits se rencontrent.
Stéphane et le BMJ ont à quelques jours d’intervalle publié un texte afin de défendre ce qui est le cœur de notre métier, mais aussi ce qui est le moins rémunéré, l’examen clinique qui comprend l’interrogatoire, l’examen clinique proprement dit et la réflexion qui en découle.
Au CHU, les confrères dont l’activité principale est d’examiner, de réfléchir sont désespérés par l’arrivée de la T2A qui favorise la technique par rapport au reste.
Un patron de médecine interne m’a confié qu’il était devenu la « danseuse » du CHU, et qu’on le lui faisait remarquer à chaque réunion. J’ai croisé une spécialiste du SIDA qui, elle aussi, était particulièrement pessimiste.
Bon, la cardio, ça va…
Nous n’avons jamais été réputés pour notre production intellectuelle et nous avons à notre disposition des tas d’examens paracliniques nous permettant de profiter en plein de la T2A.
Le pire est que on nous demande plus que cela, de la paraclinique.
Le lundi matin, au CHU, je fais 95% de paraclinique et 5% de clinique.
Comment les confrères analysent les examens paracliniques que je leur rends?
Je me le suis toujours demandé, car la cardio n’est quand même pas une spécialité intuitive.
Les lisent-ils seulement?
A mon avis, ils classent les échos et dopplers dans le dossier, avec le sentiment confortable du bilan accompli.
Et je ne parle même pas de l’examen clinique en lui-même…
Si un professeur de Stanford s’inquiète de la transmission de ce savoir et a pris le soin de rédiger un éditorial pour le BMJ, je vous laisse imaginer le niveau chez nous…
Je vous avais raconté le motif de doppler veineux que j’avais vu passer récemment?
Doppler pour suspicion de phlébite en post opératoire d’une chirurgie orthopédique, parce que la patiente avait mal aux jambes. Comme ça, ça parait légitime. En fait, elle avait mal aux hématomes des points de ponction des HBPM faits de manière préventive. Examen clinique remarquablement complexe, en effet. Appui avec l’index sur la peau saine, ça fait mal, non. Appui sur un hématome, ça fait mal, oui. Et vous n’avez mal que là, oui. Ce signe s’appelle le signe de l’index. Son doppler était bien évidemment normal.
(EJQM003, 75, 60€ dépensés en pure perte)
Et l’ECG, qui fait partie intégrante de l’examen clinique du cardiologue?
Une externe vient me voir de la part d’une interne pour un infarctus en phase aiguë « dans tous les territoires ». En fait, le sus-décalage, c’était une extrasystole ventriculaire isolée. La patiente a bien entendu eu tout le tintouin, dosages enzymatiques…
Exemple encore plus récent.
Un confrère généraliste de 50 ans, aucun facteur de risque, accident vasculaire cérébral d’origine embolique. A l’échographie trans oesophagienne, on retrouve un foramen ovale perméable. Le reste du bilan est négatif. On me l’adresse pour faire un doppler veineux pour rechercher une phlébite, et donc une éventuelle embolie paradoxale. Il ne se plaint de rien, n’a aucun facteur pro-thrombotique et n’a pas voyagé récemment.
Maintenant, c’est la grande mode de chercher une phlébite pour expliquer une embolie paradoxale.
En l’interrogeant, je lui demande ce qu’a donné le holter ECG.
Pas fait.
Ah, curieux.
Et il y a des antécédents de fibrillation auriculaire dans la famille? Son père.
Et vous avez ressenti des épisodes de fibrillation?
Uhmm, je ne pourrais pas dire que non.
Dîtes-moi, la médecine a changé depuis mon internat?
L’embolie paradoxale chez le patient asymptomatique d’un point de vue veineux est devenue plus fréquente que la fibrillation auriculaire dans les étiologies des accidents vasculaires cérébraux emboliques?
C’est un confrère, vous pouvez donc bien imaginer qu’il n’a pas été vu que par un externe.
Il est donc sorti sous aspirine et avec une ordonnance de holter ECG à faire en ville.
J’y ai rajouté une petite prière pour qu’il n’ait pas fait d’accès de fibrillation, et surtout qu’il n’en refasse pas.
Parce que l’aspirine, dans ce cas, c’est pas vraiment optimal.
Mais l’honneur du CHU est sauf, il n’avait pas de phlébite asymptomatique.
Je ne suis pas certain que tout soit une question d’argent. L’argent n’est pas la réponse à tout, ni la cause de tout.
L’extraordinaire développement des examens paracliniques occupe mécaniquement de plus en plus de place dans le cursus médical. Je me souviens d’avoir fait un TP à des étudiants de D4 quand j’étais CCA. Le PHU qui était passé avant moi avait traité les valvulopathies et avait rédigé les dossiers cliniques du TP. Une des questions portait sur le calcul du SOR en échographie et de sa place dans la prise en charge de l’insuffisance mitrale. Sujet passionnant, en effet, mais est-ce vraiment une notion prioritaire à faire passer à des étudiants dont bien peu deviendront cardiologues?
C’était il y a quelques années. Maintenant, il doit leur apprendre le speckle tracking.
Ne devrait-on pas revenir aux fondamentaux, comme on dit en rugby?
- Apprendre à interroger un patient, l’examiner et en faire la synthèse
- Se demander ce que va apporter l’examen paraclinique auquel on pense, c’est à dire ce que l’on va faire du résultat. Si on ne trouve pas de réponse dans les 10 secondes, ne pas le demander.