Cela fait longtemps que je me demande la raison du bordel colossal qui règne à l’hôpital public.
Non seulement, il règne, mais pire que tout, il progresse et s’insinue dans tous les aspects de la vie hospitalière.
Déresponsabilisation à tous les niveaux, pertes répétées de données médicales, absence de coordination entre les services, envahissement de la paperasse dans l’activité de soin, ce bordel est protéiforme.
On a accusé les 35 heures et le casse tête permanent des RTT, le repos de récupération après les gardes…
Ils ont probablement une part de culpabilité, mais je discerne aussi un autre facteur.
Ce n’est pas non plus la certification, contrairement à ceux qui connaissent ma perplexité devant ce processus, auraient pu le penser.
La certification à l’hôpital, notamment au CHU est une très vaste rigolade quasi virtuelle.
Dans les établissements privés, le bâton de l’échec motive la direction, et par contre-coup le personnel.
Mais dans le public, il n’y a même pas cela.
Quel expert serait assez fou pour remarquer l’absence pourtant flagrante de critères demandés par l’HAS, ou le replâtrage hâtif la veille au soir afin de satisfaire aux exigences de la certification ? Qui oserait ne pas certifier un hôpital public, dont tout le monde est si fier ? On trouve souvent dans l’équipe préparant la certification à l’hôpital des cadres infirmiers supérieurs qui sont trop contents de se trouver de l’activité et quelques vieux praticiens écartés de l’activité de soin. Le livre noir des hôpitaux, dont on a tant parlé, n’a pas saisi l’importance de ces médecins alcooliques/drogués/déprimés que l’on trouve parfois (pas si souvent, quand même) dans les services, et que l’on a éloigné pudiquement et discrètement des malades. Ils sont la cheville ouvrière de la certification, c’est sur leur travail que reposent les bases de l’hôpital de demain! J’oublie aussi quelques jeunes praticiens, aux dents acérées, qui briguent des responsabilités « politiques », et donc se doivent d’être dans les petits papiers de la direction. Je dois aussi oublier quelques gens biens, et des idéalistes restés au stade sadique-anal.
Non, étant donné qu’au CHU, la plupart des soignants ne font même pas semblant de s’intéresser à la certification, cette dernière ne vient pas trop se rajouter au chaos ambiant. Mais je présume qu’il existe aussi de grandes variations entre les CHU, en fonction du climat local….
Non, je crois qu’un des grands responsables est ce qui a été la départementalisation des services. N’ayant pas assisté à la création des pôles qui a été postérieure à mon assistanat, je ne pourrais donc pas juger. Mais je crois que cela n’a pas amélioré les choses.
Mais j’ai assisté avec effarement à la création des départements.
Vu d’un bureau d’un administratif qui ne sait pas ce qu’est un malade, la départementalisation était la panacée car elle permettait en théorie de diminuer les coûts en regroupant l’activité selon des départements.
Exemple.
Avant, en cardio, il y avait 3 services (dont les patrons se bouffaient le foie, mais c’est presque une constante) qui faisaient un peu de tout: électrophysiologie, coronaropathie et le reste. Les praticiens de 2 services se partageant les moyens techniques. Le troisième étant dans un autre hôpital (ce qui n’était pas non plus très optimal!). Chaque service avait une orientation, mais un patient rentré par exemple pour une angine de poitrine dans le service orienté coronaropathie pouvait très bien y bénéficier sans aucun problème de l’implantation d’un stimulateur cardiaque, ou d’un défibrillateur. La décision, prise au staff était appliquée rapidement.
Puis les départements sont arrivés. Chaque service n’a plus fait qu’une seule chose. On a donc trois services dont l’activité s’exclut par définition administrative.
Le problème est qu’un patient cardiaque n’a que rarement une coronaropathie/un problème d’électrophysiologie/un autre problème cardiaque à la fois, et à l’exclusion des autres.
Et c’est bien difficile d’écarteler un patient et son dossier entre 3 équipes n’ayant aucun atome crochu entre elles (c’est un euphémisme). De la viennent l’absence de coordination, la perte des dossiers médicaux….
Quand je dois faire hospitaliser un patient vu à ma consultation hospitalière, et qui a plusieurs problèmes cardiaques à la fois, je suis toujours dubitatif sur qui appeler et où l’envoyer.
Et je ne parle pas de la formation des jeunes, qui n’ont donc plus de services où apprendre « la cardiologie générale » en CHU. On forme donc des médecins hyperspécialisés dans leur propre spécialité. On n’en est même plus à fragmenter l’homme en organes, on en est actuellement au stade tissulaire. « Oui, allo, je voudrais parler au spécialiste du prolapsus de P2. Ah, il est en RTT, et vous êtes le spécialiste de P3, bon, bah, j’attendrai demain….« .
Tout cela conduit à devoir utiliser des expédients, la fameuse combinazione, pour tenter, malgré tout, de soigner convenablement son patient.
Exemple ce matin même.
La surveillante de chirurgie vasculaire (bises!) me demande si au cours de ma vacation de doppler, je ne pourrais pas faire des échographies cardiaques, notamment aux patients en pré-opératoire de chirurgie vasculaire.
Oui, bien sûr, si cela ne devient pas du systématique. L’appareil que j’utilise n’a pas de module cardio (logique pour un appareil dédié au vasculaire), donc je ne peux faire aucune mesure durant une échographie cardiaque. Si je dois en faire une, il va me falloir changer de salle, et revenir dans la mienne pour poursuivre ma vacation. Pas très pratique. Par ailleurs, en théorie, les échographies cardiaques sont l’exclusivité du « laboratoire d’échographies cardiaques » situé plusieurs étages au-dessus. Mon ancien patron qui gère ce « labo » tolère déjà à grand peine l’activité d’échographie de la chirurgie cardiaque. Alors en vasculaire! Il va nous en faire une attaque….
Car bien sûr, comme tout est centralisé en un seul lieu, dans un seul service, ce dernier est totalement incapable de répondre aux demandes de plus en plus fréquentes, et les délais sont parfois délirants. Dans une de mes autres consultations au CHU, il est de 3 semaines. Ce qui est parfaitement délirant, surtout avec la T2A qui se profile….
Alors, on fait de la combinazione, on fait des micro vacations en cachette, par-çi, par-là. C’est à dire rigoureusement tout le contraire de la rigueur que voulait apporter le concept d’un regroupement contrôlé et encadré d’une activité technique.
L’anecdote de ce matin m’a fait repenser au commentaire de Bertrand (je peux t’appeler Bertrand?), au décours d’une note précédente, et qui résume parfaitement la situation:
« Ben oui… insidieusement on arrive à un système comme à l’armée, ou pire comme dans les dictatures : peu importe que le règlement soit respecté et que les actes soient efficaces, pourvu que les apparences soient là. Mon ancien patron nous enjoignait régulièrement de ne pas écrire “idées suicidaires” dans le dossier des patients vus aux Urgences, tant qu’on ne leur avait pas trouvé de lit, “pour éviter un problème médico-légal”. Mais nul conseil sur la prévention réelle du suicide chez le mélancolique quand on n’a pas de lit pour l’hospitaliser !
Paradoxe apparent, ce sont dans ces systèmes au vernis ultra-rigides que prolifèrent toutes les tricheries, les corruptions, les désordres les plus amoraux et l’incurie la plus crasse. Le plus étonnant est que cela plait aussi bien aux hiérarques de droite (libre-machin et tout ?) que de gauche (qui avaient promis d’en finir avec les totalitarismes).
Fichue époque… »
D’ailleurs, les autres commentaires de cette même note trahissent bien le désarroi actuel des soignants/futurs soignants.
L’enfer est bien pavé de bonnes intentions.
