En faisant un doppler au CHU à un ancien agrégé de médecine interne âgé de 83 ans, j’ai appris un nouveau mot: le décanat.
« Et, qui brigue le décanat? »
C’est quand même plus classe que « C’est qui le prochain Doyen? ».
Cette question m’a permis en outre de constater une fois de plus que, même à la retraite, même sur son lit de mort, la seule chose qui a de l’importance pour un agrégé de médecine est de savoir qui sera le prochain doyen.
Peut-être pour savoir si il est lui-même sur la liste des pressentis.
Il m’a aussi fait part de la recommandation de son patron lorsqu’il était jeune agrégé (ou aspirant à l’agrégation, je ne sais plus): « Ne te lève jamais de ta chaise, quelqu’un te prendrait immédiatement la place ».
Recommandation vraie dans tous ses sens, j’ai pu m’en rendre compte au fil du temps.
Évidemment, cette rencontre tout à fait agréable m’a aussi permis de m’interroger une fois de plus sur la paupérisation linguistique mais aussi culturelle des médecins au fil du temps.
Plus de science, moins d’humanisme est une tendance qui me semble inéluctable, et en partie regrettable.
Je ne veux pas faire mon Caton, et je ne regrette absolument pas la rationalisation de la pensée médicale de l’Evidence-Based Medicine, mais est-ce que connaître le théorème de Bayes ou les principes et les pièges de la non-infériorité signifie nécessairement la mort du fond d’humanisme qui a toujours été indissociable de la médecine depuis la nuit des temps?
En réfléchissant, peut-être s’agit-il tout simplement d’un glissement de culture, mais je crains plutôt un effacement. A la Renaissance, on ne pouvait envisager qu’un médecin ne parle pas latin et ne connaisse pas ses classiques. Au XIXème, le grand Trousseau était professeur de lettres classiques avant d’être médecin. Au fil du temps, il me semble que le fond documentaire « classique » du médecin a été remplacé par une culture de plus en plus récente, voire simultanée.
Thierry Henry sera forfait contre les Féroé, mais Domenech est raisonnablement confiant car un match n’est jamais perdu ou gagné avant le coup de sifflet initial.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.
Sur cette belle pensée, je l’ai « dopplerisé » de haut en bas, sans l’examiner, comme tout bon cardiologue moderne qui se respecte.
Je ne regrette pas cette évolution.
La médecine a été impuissante pendant des siècles.
Non pas que les médecins étaient inclutes! Leur culture était seulement impuissante à soigner (en gros…en gros).
Il y aura toujours des patients qui péféreront qu’on leur profère : « vous avez un truc latin en »us ou en « ae » » et qui fuireront les médecines ouvrant un livre ou le web pour chercher la bonne info. Je n’en suis pas.
Seuls les jursites ont gardés la robe et l’apparat.
La raison en est probablement qu’il n’y a rien à comprendre au « raisonnement juridique ». Il n’y pas à de logique à appliquer des lois. « Dura lex sed lex ». Point. La justice pousse le vice jusu’à pretendre que « nul n’est censé ignorer la loi ». Ha Ha Ha…même les juristes on du mal à avoir en tête tout les textes nécessaire pendant une audiance. Un jour peut être verra t on des procès pendant lesquels les juges et les avocats auront accès aux textes…
mais la justice y perdrait son coté impressionnant qui fait qu’elle fonctionne (un avocat vous dira que la robe impressionne le petit truand. Quand on y pense, c’est bien léger…on préfèrerait que ce soit le système et/ou éloquance des juristes…et même l’éloquance…c’est léger).
Joli mot, « décanat » ! Je vois bien mon doyen en train de l’employer ; il est de l’école de la médecine à la française, cultivé, toujours très chic et racé.
Je trouve dommage cet appauvrissement de la culture de la population médicale en général. Cela tient peut-être au recrutement massif dans des filières scientifiques où les Lettres tiennent la portion congrue (je le sais pour y être passée). Être cultivé, cela n’aide probablement pas à « mieux soigner » en termes de techniques. Mieux vaut connaître les recommandations de bonne pratique et leurs limites d’applications que réciter des sonnets de Ronsard !
Toutefois, une culture plus vaste, quels que soient les domaines qu’elle couvre, apporte indéniablement une certaine ouverture d’esprit, qui permet peut-être de se trouver plus ouvert aux évolutions de la médecine, ainsi qu’à la manière de s’entretenir avec ses patients. La culture, ce n’est pas expliquer en long et en large quelque chose dans un langage cryptomédical incompréhensible au non-médecin. C’est savoir s’intéresser et s’adapter à tous types d’idées et de situations, et donc savoir utiliser les bons mots avec chaque type de patients.
J’ai eu l’occasion de suivre, aux visites et parfois en consultation, un praticien se targuant d’une certaine « culture », académique, fort respectable en soi, mais qu’il avait ingéré comme un livre de médecine. Il parlait aux patients un langage saupoudré de termes cryptiques, et n’avait au final pas de si bonnes relations que ça avec ses patients.
Un autre, au contraire, assez grande gueule d’ailleurs, avait une relation exceptionnelle avec ses patients, qu’ils soient de passage occasionnellement dans le service ou qu’il les suive en consultation depuis vingt ans. J’avais été impressionnée par sa capacité à utiliser des mots capables de toucher les patients. Pas un terme obscur qui ne soit expliqué de manière intelligible, un vrai respect des volontés du patient, mais aussi des explications sur la maladie, ses implications, les conséquences des choix, sans tomber ni dans l’infantilisme ni dans l’érudition inopportune. Au fur et à mesure des trois mois de stage, j’ai découvert par ailleurs un homme capable de papoter sans s’arrêter sur la Bourse, le jardinage, Malraux et le reste.
La culture, ce n’est sans doute pas essentiel à la pratique médicale, mais c’est le petit plus qui va, dans certains cas, faire la différence. Les deux exemples que j’ai pris sont sans doute extrêmes, et peut-être pas représentatifs, mais c’est la différence entre un « gentleman » au sens originel et quelqu’un qui n’a pas assimilé un certain humanisme, qu’il soit culturel ou médical.
Le fait d’employer ou non un langage cryptique quand on parle au grand public est sans doute sans rapport avec le fait d’avoir une vaste culture « littéraire ». De nombreux professeurs d’université de disciplines « littéraires » ont un parler obscur, truffé de références hellénistes, et de mots compliqués au sens mystérieux.
Chez certains, c’est sans doute une certaine inconscience du niveau du public; chez d’autre; un désir de paraître savant. La capacité à se mettre à la place des autres, l’absence de vanité mal placée, tout cela sont des qualités humaines dont le rapport avec la « culture » n’est pas évident.
Ben c’est étrange (et c’est un prof d’anglais qui me l’a fait remarquer il y a 10ans):
Les prix Nobel de physique ou de chimie, ou les matheux médaillés sont rarement des incultes en Lettres.
Par contre, on connait peu de prix Nobel de Lettres ayant une culture de base en science (culture nécessaire (mais pas suffisante) pour comprendre ce qui se passe dans le monde actuelle).
C’est un constat qui vaut ce qui vaut…
C’est amusant, on dirait que les disciplines munies de l’agrégation du supérieur sont aussi celles qui usent encore du terme de « doyen » au lieu de « directeur d’UFR ».
Ceci dit, cela a plus de classe. La prochaine fois que je croise monsieur le directeur de l’UFR informatique maths-appli de Grenoble-1, je lui donnerai du « monsieur le doyen ».