Novlangue et développement durable du néant sociétal transversal et subsidiaire

Le titre de l’article m’avait pourtant alléché: « Lancement de médicaments : un nouveau modèle s’impose pour l’industrie pharmaceutique« .

Et aussi le prestige de son éditeur: lemonde.fr!

Je me suis dit, voilà un sujet passionnant, qui doit être traité avec brio par un journaliste, vieux briscard expérimenté, 30 ans de boite au journal Le Monde, dans le département « santé ».

Ça va être du lourd!

Et bien non, j’avais juste oublié que lemonde.fr est en grande partie écrit par ses abonnés, pigistes qui ne sont payés que par la fierté d’avoir un texte publié sur leur site.

En fait le texte est une jolie page de publicité pour une agence de communication dont le créneau est la « communication santé durable ». L’auteur, un confrère, est son directeur.

Je vous laisse lire cet article et le savourer.

Presque chaque phrase est soit vide de sens, soit un truisme, soit un non sens.

Je ne vais prendre qu’un seul exemple, la phrase d’entame: « Les enjeux de développement durable qui menacent la pérennité de notre système de santé offrent à l’industrie pharmaceutique l’opportunité de faire évoluer ses pratiques de promotion vers un modèle plus vertueux et ainsi d’améliorer son image en démontrant qu’il est possible d’être à la fois profitable et louable dans ce marché si sensible.« 

Bon d’accord, il a réussi à caser « développement durable » et « vertueux » dans la même phrase, mots qui comptent triple dans le Scrabble® des mots à sortir pour avoir l’air d’être dans le Zeitgeist (j’adore ce mot).

Qu’est ce qu’un enjeu?

Selon les définitions trouvées dans le wiktionnaire: « Ce que l’on risque de gagner ou de perdre dans une entreprise, une compétition. » ou « Objet d’une compétition« .

Un enjeu est donc quelque chose de positif, qui vaut la peine que l’on se batte pour l’obtenir.

Personne n’ira se battre pour un truc tout pourri et/ou toxique.

Qu’est-ce qu’un « enjeu de développement durable »?

Assez facile là-aussi.

C’est quelque chose de positif qui pourra donc être obtenu grâce au développement durable.

Par exemple permettre à nos petits enfants de continuer à pouvoir se baigner dans la mer ou l’océan sans avoir à enfiler un maillot de bain NBC…

Que sais-je encore?

Bon, là où il faut m’expliquer, c’est en quoi un enjeu, a priori donc positif, but à obtenir via le développement durable peut menacer la pérennité de quoi que ce soit?

Un truc pourri et/ou toxique, oui.

Mais un truc tout mimi et/ou qui vaut le coup que l’on se batte pour lui, non.

Et notamment la pérennité du « système de santé »?

Ne serait-ce pas une phrase qui a l’air de vouloir dire quelque chose, mais qui en fait ne veut rien dire?

Ne serait-ce pas une phrase tellement vide de sens qu’elle en devient  non-sens?

J’aurais plutôt écrit quelque chose du genre: « Les conséquences de l’absence de développement durable, qui menacent la pérennité de notre système de santé offrent …« 

Je vous conseille aussi d’aller sur leur site et de lire les résultats et surtout les questions posées au cours du baromètre ETIK 2008.

Vous n’allez pas le croire, les résultats de ce sondage sont proprement incroyables et révolutionnaires.

Près de 79% des répondeurs (parmi les médecins généralistes) considèrent que la « gestion responsable du risque médicamenteux: information transparente et réactualisée sur les effets secondaires des médicaments (pharmacovigilance) » est une action considérée comme « très intéressante ou intéressante de la part d’un laboratoire pharmaceutique ».

Incroyable, je vous avais prévenu.

Je reste étonné que 21% des confrères se fichent totalement des informations de sécurité que doivent réglementairement fournir les firmes pharmaceutiques aux autorités de régulation. A mon avis, ils ont du faire comme un copain confrère qui fait répondre à ce genre de sondages sur internet par son fils de 7 ans (véridique).

46.5% des mêmes répondeurs trouvent que le niveau de l’industrie est bon pour ce point particulier.

L’agence y voit une marge de progression de 32.5% (79-46.5), qu’elle se propose bien entendu d’aider à combler tout laboratoire qui aura le bon goût de faire appel à ses services, afin que « Pour le laboratoire, une partie de ses dépenses promotionnelles se transforme ainsi en investissement sociétal, valorisable en toute transparence.« 

« Sociétal » et « transparence », encore deux mots qui comptent triple dans la même phrase.

Chapeau bas, l’artiste.

Je vous propose un petit jeu pour essayer de lui arriver à la cheville.

Essayez de caser dans un même texte, consacré à la santé, le maximum de mots appartenant à la liste suivante:

  • développement durable
  • enjeu sociétal
  • transparence
  • modèle vertueux
  • pérennité
  • Grenelle de l’environnement
  • transversal et subsidiaire (ou vice versa)
  • respectueux de l’environnement
  • éducation thérapeutique
  • santé 2.0
  • exemplarité
  • concept novateur/idée novatrice
  • dynamiser la communication santé
  • médias sociaux
  • ressources limitées
  • formaliser/formalisation
  • identifier les besoins/le processus
  • investissement socialement responsable
  • démarche qualité
  • Zeitgeist ou Schadenfreude (aucun rapport, mais faire de la com’, ça se mérite un peu, quand même)
  • mettre le patient au centre de nos préoccupations (ou sa variante « au centre de son projet thérapeutique »)
  • benchmarking

Si vous en voyez d’autres, n’hésitez pas, on pourrait en faire un wiktionnaire.

Comme l’original, pas besoin qu’il y ait un sens, simplement une impression globale et lointaine que le texte a une signification.


14 Replies to “Novlangue et développement durable du néant sociétal transversal et subsidiaire”

    1. J’adore la citation en bas de page:

      « Lorsque l’on découvre le pipotron pour la première fois, on réalise que d’autres l’ont découvert avant nous. »

      Effectivement il est massivement utilisé.

  1. Article très drôle mais c’est vrai ce que vous dîtes sur les articles du Monde.fr??? ….C’est sans doute vrai : je ne lis plus que les titres, très peu d’articles m’intéressent…
    Quant à la liste de mots, bien que ne travaillant pas en médecine, j’y reconnais bien le vocabulaire/jargon qui est la nov-langue (dont vous parlez dans d’autres articles) de nos entreprises et administrations.
    J’aime beaucoup votre attachement au sens des mots : c’est par là que ça commence.

    1. Votre question sur lemonde.fr m’a montré que je me suis avancé sans données bien précises (c’est pas bien!)
      Mea culpa…

      A 15h30 aujourd’hui, j’ai recensé sur la page d’accueil tous les articles disponibles.
      J’ai éliminé les doublons, les publicités et tous les services en bas de page.

      J’ai compté en tout 118 articles.
      64 étaient rédigés par des journalistes de la rédaction dans le cadre défini du journal:
      28 articles
      4 opinions
      23 rubriques
      9 dans les sections « planète reporter », « à ne pas manquer » et « bilan 2009 ».
      soit 54%

      54 étaient rédigés par des non journalistes, ou des journalistes sur leurs blogs respectifs:
      3 chroniques d’abonnés
      50 notes de blogs (dont des journalistes)
      1 réaction d’abonné
      soit 46%

      Donc, pas une majorité, mais quand même pas mal…
      C’est donc une page internet éminemment participative.

  2. J’avais vu le titre, j’avais cliqué pour lire, quand j’ai vu la tête du monsieur et ensuite ses titres, j’ai lu un chapitre et j’ai vite arrêté.
    Tu as plus de courage que moi.
    Chapeau.
    Il y a des truc pas mal sur le monde.fr. C’est les limites du participatif. Parfois les opinions sont pas mal et il y a quelques très bons blogs.

    1. Oui, il y a des tas de blogs très biens, mais ce n’est pas ce que je recherche en lisant un journal.
      Pour les articles santé, par exemple, la comparaison avec ceux du NYT est incroyablement cruelle.
      Ce qui n’empêche pas d’ailleurs le NYT de se débattre dans des problèmes financiers importants…

      1. La comparaison avec le NYT sur la santé, il n’y a pas photo. Je pense que ça tient à plusieurs choses. Les articles santés du monde sont toujours signés par les deux ou trois même journalistes dont un à un autre métier. Je n’ai jamais lu un article santé du monde qui soit une réelle investigation au sens journalistique. C’est plus du passe plat pour professeur et en disant ça je suis très gentil. Les journalistes médicaux français sont très gentils avec les médecins trop certainement et pas assez indépendants vis à vis des professionnels.
        Ce qui me manque le plus dans le Monde en tous cas pour la santé c’est de longs articles vraiment fouillés avec un vrai travail d’investigations sur plusieurs mois. Bien souvent ils se contentent d’une reprise de dépéche ou d’un article sans le recul nécessaire à une transmission objective du savoir. L’autre type d’article c’est la vulgarisation sur un problème de santé.
        Il manque des articles sur la santé des sans papiers, les limites du systèmes, les conflits d’intérêts etc.
        Enfin si dans le NYT, la santé est un vrai sujet, je n’ai pas cette impression pour la santé et la science dans le monde. Il n’y a pas de page quotidienne sur la santé, ni sur la science. Dans le NYT il y une vraie couverture éditoriale médicale.

  3. Sacrement glauque comme histoire et très américain. On dirait effectivement un polar, drogue, sexe et mort, tout ça dans la consanguinité d’une petite ville, d’un petit comté. Le journaliste avait manifestement ça en tête. Pour ceux qui aiment ces ambiances, james crumley est un maitre du genre et pour l’ambiance vraiment proche « 1275 ames » de jim Thompson.

  4. Merci pour la recherche sur le site du Monde.fr, et les stats du même coup précises : votre petit côté obsessionnel m’amuse et fiat du bien, tellement de gens sont imprécis, alors qu’être précis, c’est s’approcher de la vérité !
    Bonne année 2010

  5. Ca y est il change d’identité et il me casse mon rêve !!! j’étais super fier d’avoir passé un « papier » (enfin, des pixels quoi) sur lemonde.fr et là hop il me dit que j’ai fait leur boulot gratos en fait ?
    Blague à part c’est certain que le quotidien papier a un niveau plus distancié que le site web. Notamment depuis 1 à 2 ans ils ont retrouvé une épaisseur éditoriale qui avait été trop oubliée, le journal était quasi réduit à une compile de dépêches à peine développées… désormais il faut plus d’un expresso pour le lire !

    BG

  6. … Morte de rire. C’est grave, Docteur ? …

    En voici une de mon cru, concoctée – comme une bouffée d’oxygène – entre deux textes pompeusement technocratiques que j’ai le plaisir de traduire plusieurs fois par jour… Je vous aurai prévenus… :-))

    **********************************************************
    Offre d’emploi

    Collaborateur technocratique « et vice et versa »

    Résistant au stress, faisant preuve d’un mix d’adaptabilité et de flexibilité, proactif et répondant de manière adéquate à un profil d’exigences significatif et optimal, au bénéfice d’un know-how conséquent resp. consolidé sur mesure dans le cadre de séances de consultation, controlling et workshops agendés, et en accord avec les besoins opérationnels listés dans un catalogue référentiel standard et présentant un degré d’énumération élevé, et dans une check-list en interaction permanente et opérante avec la matrice des valeurs, la problématique de l’exigence qualité et de la culture d’une entreprise au portfolio de prestations de services stratégique subséquent et assorti de processus d’entreprise finalisés (cf. Code of Conduct, Gouvernance, Protocole de Pilotage, Instruments de conduite de personnel, Déroulement de Processus et Mesures de Correction), et dans une liste constamment actualisée sur le change board de la séance de debriefing de review effectuée pour le comité de pilotage en amont du change meeting imputé au centre de frais change and problem management orienté client, le/la collaborateur/trice mobilisera toutes ses ressources/compétences/potentiels et remplira son cahier des charges dans son secteur d’activité ciblé, durablement et sans dysfonctionnement, en garantissant la productivité attendue, appliquant les mesures et processus implémentés, optimalisés et libérés par les propriétaires des processus, réalisera une atteinte des objectifs pertinente, à des coûts flexibles et conviviaux pour la budgétisation des conventions sur le bonus et l’implémentation d’un pay roll remanié, et, au terme d’un exercice couronné de succès, ainsi que sur la base du suivi du taux d’accomplissement de ses objectifs, d’un audit finalisé, et malgré la communication de ses performances de cash flow ad hoc, pourra aborder de manière bilatérale avec son référent en charge resp. son responsable pilotant ou son cadre cadrant, au cours de l’entretien personnel pondéré avec le collaborateur visant à sa qualification et plan de carrière, les différents aspects, indices et composantes de ses ressources, performances, déficits respectivement management du temps, gestion accidentogène du stress, statuera sur ses spécifica-tions propres, potentiels et limites, freins et forces, chances et risques, potentiel d’amélioration, pers-pectives, no fun no future, l’inflation de ses demandes, puis remettra son reporting décisif en lettre capitulation signature tout en procédant suite à cette task force préférentielle à l’introduction d’un plan de carrière libéré en outsourcing et en implémentant un guichet de prospection du marché stratégique et générateur d’emplois en vue de tester sa réactivité aux events résultant d’une exploitation focalisée existante.

    « Et vice et versa [et vice versa] {Instrumental violons}
    Dis toi qu’il est tellement plus mieux d’éradiquer les tentacules de la déréliction. Et tout deviendra clair »

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