Germinal (2).

Je viens de recevoir le coup de téléphone d’un confrère qui vient de prendre en charge une de mes anciennes patientes (c’est son coup de fil qui m’a indiqué que c’était une « ancienne » patiente!). J’ai déjà parlé de cette jeune femme à trois reprises ici, ici et ici, c’est dire comme c’est MA croix.

Et bien maintenant, c’est aussi celle du confrère…

Depuis ma dernière note, je l’ai vue encore une fois. Elle était venue me voir en plein milieu d’une consultation pour exiger sur le champ un certificat médical pour faciliter le transfert de son mari dans la maison d’arrêt locale. Le jour de sa visite était la date limite d’envoi du certificat, date qu’elle connaissait depuis bien 3 semaines. Je lui avais fait son certificat en maugréant (beaucoup), et depuis, je ne l’avais plus revue (ce qui me convenait parfaitement).

Le confrère a vite compris sa douleur.  Je lui ai raconté l’histoire de cette patiente, sa possible cardiopathie du péri-partum, sa nouvelle grossesse malgré les conseils réitérés de l’entourage médical, son avortement, ses quatres petits dépenaillés, son mari en tôle…

Car elle est de nouveau enceinte.

Je suis passé par toutes les phases avec cette patiente, qui finalement, n’a pas de pathologie cardiaque sévère. Elle et sa famille m’ont d’abord fait de la peine, comme la Maheu. Mais contrairement à ce qui se passait à la fin du XIXème, la société a développé un incroyable réseau d’assistance, dont on ne voit que les défauts et les rognures, mais qui est néanmoins extraordinaire pour peu qu’on y pense 30 secondes et que l’on regarde ce qui se fait ailleurs. Ma patiente et sa famille sont totalement assistées, au point qu’ils sont tous incapables d’avoir la moindre pensée construite. A part baiser sans prendre de précautions, bien sûr, mais je ne considére pas cela comme « avoir une pensée construite ».

Maintenant je suis en colère, je n’ai plus aucune compassion.

On va encore faire un petit ange à cause de parents irrémédiablement débiles. Vivre, même dans une famille  telle que celle-là laisse une lueur d’espoir, en tout cas bien plus que d’être tué et happé dans un sac à aspiration.

17 Replies to “Germinal (2).”

  1. Dans cette histoire, ce sont les enfants que je plains….Je n ai pas ete comme vous impregne de religion et de messes en latin , d enseignement chez les Jesuites….cette derniere phrase revele votre position sur l avortement car elle exprime toute la brutaite de l acte selon vous, pas selon moi, plutot un avortement qu un enfant qui souffre , soit martyrise .

    Cette famille quart- monde a des droits et des personnes qui sont payees pour les renseigner au sujet de leurs droits, je ne suis meme pas sure qu ils demandent de la compassion, le probleme de l assistanat est que c est a sens unique, on ne leur demande rien, on leur donne ,il faudrait un systeme ou par ex avec le cas de cette femme , on fasse une sterelisation ( Oh la j en entends qui vont passer par la en hurlant…), mais cela ne reglera pas le probleme de procreation de l homme qui « baise sans conscience.’

    1. L’avortement en lui même ne me pose pas de problème, et dans ce cas, il ne se discute pas.
      Mais un deuxième gamin qui risque de passer au baquet à cause de l’inconséquence de ses parents, ça me dépasse totalement.

      1. Je n’avais pas relevé l’histoire de la stérilisation, principalement car cette notion m’est totalement étrangère, jusqu’à ce que Kyste fasse une note dessus.

        Trois questions: de quel droit? Pourquoi? Pour qui?

  2. Cela me fait penser à nos « cas jardin ». Une petite fille (5 ans) nous a dit qu’elle ne pouvait pas aller au jardin d’enfants, parce que ses parents séparés entre temps, et lui plus de 50 ans) n’ont pas l’argent pour l’inscrire.

  3. Je suis nee le 19 juillet 1968, neuvieme enfant d une mere maniaco depressive, internee episodiquement depuis l age de 13 ans dans les hopitaux psychiatriques, elle a connu la camisole de l hopital psy des annees 50 et ensuite la camisole chimique …Ma mere a subi 9 grossesses entre l age de 18 ans et l age de 35 ans, grossesses entrecoupees d internement long ou la famille resistait tant que mieux: le carnage affectif a ete profond du reste.A l age de 35 ans , un medecin lui a propose la sterelisation….Une ame charitable.Apres ,elle s est sentie lberee.Je vous parle d un temps avant la pilule et avant la loi sur l avortement…
    Oui c est vrai Lawrence, j ai failli avoir ete happee par un sac a aspiration…J ai eu de la chance, pas de faiseuse d anges au village et pas d argent pour faire le voyage en Suisse
    Cote genes dans ma famille: deux enfans maniaco depressfs qui se sont suicides, sans compter le suicide de ma mere, les autres qui sont toujours la bien vivants , a resister en tirant la langue a la Fatalite…De la VIe on en connait un rayon!
    Ceci c est mon histoire qui donne un coup d eclairage sur ce que j ai OSE ecrire hier, oui il est criminel de laisser procrerer des femmes qui ne sont pas equipees psychologiquement pour s occuper de leurs enfants, certes la societe peut prendre le relais, mais les familles d accueil ou les enfants sont places ne remplaceront jamais la chaleur d une famille.
    Je ne prone pas la culture de la mort, je ne suis pas croyante, j ai des convictions forgees par des experiences tres douloureuses.
    Stephane a fait un tres beau billet sur son blog Kystes hier, je l ai lu , et relu, pour revenir a cette femme, patiente de Lawrence, a 29 ans, deja 5 enfants….Quel avenir pour les gamins?Le droit de procreer est un droit fondamental certes, mais jusqu a combien d enfants par famille….Pauvrete et surnatalite se tiennent la main.
    De plus je n ai pas parle de sterelisation forcee, il y a des lois qui encadrent la sterelisation, justement pour empecher les abus, consentement eclaire, delai de reflexion de 4 mois, confirmation de la decision par ecrit, on pourrait meme y ajouter, prelevement d ovaires et relais par mere porteuse.
    Rien d autre a ajouter!

  4. Simone Veil, revenue tatouee, vivante, des camps de la mort, s est battue pour l avortement legal en France en 1975.

  5. A chaque époque, à chaque individu, son histoire qui façonne notre sensibilité, et les endroits qui font mal quand on appuie dessus.
    Je pense que l’éthique clinique donne un cadre qui permet de réfléchir au cas par cas. Ce que je retiens est l’importance de laisser le sujet choisir, de lui laisser son autonomie. Je me méfie de la tendance normative de la société. Rien n’est noir, rien n’est blanc, il n’y a pas d’un coté les méchants et les gentils. Il y a juste des sujets, des individus qui souffrent et nous devons trouver la solution la plus adéquat pour toutes les parties, individu, société. Il y a une tension permanente entre l’individuel et le collectif, il faut trouver un équilibre et cet équilibre ne peut se trouver qu’en prenant le temps en réfléchissant en multipliant les points de vue, en discutant sans jeter d’anathèmes.
    La défense par simone Veil (j’avais lu Weil au début et je ne comprenais plus rien, un lapsus de lecture) du droit à l’avortement se place dans cette ligne de laisser à la femme la possibilité de choisir, de lui laisser son autonomie et son libre arbitre. Même si je ne suis pas un fan de l’IVG, c’est un droit à défendre pour les femmes en tant que sujet. C’est typiquement le sujet où un équilibre puis un consensus sont trouvés entre individu et société.

  6. Mercis pour et la comprehension et l invitation. Malgre tout, je me sens tellement privilegiee , je suis nee du bon cote de la barricade , en France pays de la liberte d expression, ma famille etait certes pauvre, mais ma mere avait un gout sans limites de la lecture, a 6 ans, alors qu elle frottait a la main la lessive avec brosse a chiendent sur planche en bois, assise sur un banc, je lui faisais la lecture, on n a pas conu la misere intellecuelle et le pere revenant de l aasomoir a la sortie de l usine. je suis nee avec les  » bons  » genes et j ai eu la chance comme Albert Camus d etre reconnue par des instituteurs et professeurs qui m ont soutenue, mais c est aux USa ou j ai pu renaitre et  » m epanouir ». Mon appetit de vivre est reel, je suis curieuse de tout et tout m interesse, je vois cependant les choses et les evenements avec beaucoup de cynisme , l humour noir me sied , le voyage sur cette terre est un aller simple, je ne crois pas a un retour, autant essayer de faire le voyage en profitant de tout et si possible en premiere classe….La France j y reviens tous les ans, j y ai toute ma famille. Je n ai pas coupe le cordon ombilical, mais je suis la seule de ma famille a avoir fait le voyage transatlantique.
    J ai hesite avant de m epancher dans le confessional,mais comme je me suis sentie mise sur la selette , j ai sorti mon histoire….
    L etre humain est tres resistant psychologiquement , j en suis une preuve.
    Allez faut pas que cette histoire fasse pleurer dans les chaumieres!!!!
    Bon week end et comme dirait Stephane,  » surtout ne lachez rien! »

  7. Désolé pour le déterrage de post mais je découvre seulement aujourd’hui ce bel échange.
    Juste un grain de sel donc pour pointer un autre aspect de la question c’est que la « technique » évolue, parfois en zig-zag certes, mais cela change des choses : la médecine, la prise en charge sociale, etc.
    Même des maladies hier monstrueusement incurables (génétiques ou non) ou socialement inacceptables sont aujourd’hui bien améliorées… alors on fait quoi ? Surtout : on aurait « dû » faire quoi ?
    Pour ce qui est des troubles bipolaires, 50 ans après avec le même « terrain » on évite une bonne partie des drames que décrit Thérèse. Pour légitime que soit son cri, il nous conforte dans l’idée que l’émotion ne doit pas être seule conseillère dans ce genre de débats, et qu’il ne fait pas bon rester seul avec ce type de questions. Quelles que soient notre statut, notre expérience, nos diplômes…

    BG

    1. Je suis bien d’accord et c’est le rôle du professionnel de dépassionner le débat. Dans les maladies génétiques ou à forte composante héréditaire, les personnes ont l’expérience de la famille qui emporte tout. Le rôle du professionnel est de rétablir un équilibre entre une histoire individuelle et familiale, qui n’est qu’un angle de vision et la généralité de la maladie. C’est ça qui est passionnant en médecine cet aller retour permanent entre le général l’individuel, l’intime et le collectif. Trouver un chemin pour que les gens aillent mieux souffrent moins.
      Et puis le progrès permet une meilleure prise en charge et fait changer notre vision d’une pathologie. C’est passionnant comme aventure.
      C’est pas mal l’archéologie…

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