L’engouement des « médecines douces » et notamment d’une pharmacopée dite naturelle peut parfois poser des problèmes lorsque cette dernière vient se heurter à la pharmacopée plus traditionnelle, ou qu’elle a par elle-même des effets secondaires, parfois graves.
Car naturel ne veut pas dire bénéfique et exempt de risque tout comme chimique n’est pas synonyme de néfaste.
Mais l’être humain, encouragé par une volonté de retour à une vie plus saine, quelques messages publicitaires bien pensés, et une paresse intellectuelle constitutionnelle aime bien les raccourcis simplistes, rassurants.
Donc la pharmacopée naturelle se développe.
Tant mieux pour ceux qui la commercialisent.
Tant pis pour les autorités sanitaires qui se retrouvent parfois à expertiser une soupe de plantes, chaque plante étant composée de centaines, de milliers de substances différentes.
Bien entendu, pour corser le tout, aucune posologie n’est vraiment précise et le mode fabrication est parfois très artisanal, exotique, voire franchement frauduleux.
Tant pis pour les médecins qui sont le plus souvent parfaitement ignorants en matière de plantes.
Trigonella foenum-graecum, ça pose problème avec les AVK? avec une statine? Si oui, au bout de combien de graines/grammes?
Et la trigonelle, le sénégré, le Hu Lu Ba, le sénégrain, le fénugrec?
Cinq autres plantes? Non, cinq dénominations différentes de la même plante.
De quoi encore compliquer les choses, non?
Un abstract du très récent congrès HRS 2010 s’intéresse aux interactions entre les AVK et certaines médecines naturelles et constate qu’elles sont très loin d’être négligeables:
Of the 40 most commonly used herbal and nonherbal supplements, more than 50% have a direct or indirect interaction with warfarin. Among the 10 most popular supplements, 80% are known to interact with warfarin. Of the 40 herbal and nonherbals, 35% can significantly change the INR, with nine supplements known to increase the risk of bleeding and five known to decrease the effectiveness of warfarin. Glucosamine, essential fatty acids, multiherb products, and primrose oil can increase prothrombin times, while coenzyme Q10, soy, melatonin, ginseng, and St John’s wort can decrease prothrombin times.
J’ai aussi repensé à cette histoire en parcourant le blog de Stéphane et aussi le mien puisque nous avons déjà évoqué chacun de notre côté différentes histoires plus ou moins croquignolesques:
En pratique, que faire ?
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S’enquérir assez facilement si le patient prend des médecines naturelles, notamment en cas d’effet secondaire/interaction inattendu.
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Ne pas hésiter à contacter son centre de pharmacovigilance, en ayant à la main le paquet d’herbes. En général ils aiment bien ce genre de demandes saugrenues (si si).
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Consulter différentes ressources qui sont malheureusement souvent assez rapidement payantes. Napralert, tenue par l’Université de l’Illinois est d’excellente qualité. Herbal Medicine éditée par la NLM est pas mal non plus.
- Si vous êtes un patient, n’hésitez pas à apporter votre sac d’herbes à votre généraliste, ou votre néphrologue (surtout pas au cardiologue). J’estime que dans 37% des cas il vous le balancera à la figure en vous demandant ce que c’est que cette connerie, mais rien que pour les autres cas, ça vaut le coup de lui emmener. Adhérer à la médecine douce part d’un excellent sentiment, celui de prendre sa santé en main afin de l’améliorer. Mais, prendre des herbes pour faire baisser sa tension artérielle n’a aucun sens si par ailleurs vous léchez du sel comme une chèvre du Larzac. L’image est caricaturale, remplacez sel et chèvre par petits fromages de chèvre. Ça fait moins rire, non? Enfin, deux points fondamentaux: soyez très très très paranoïaques en cas de grossesse et n’achetez pas vos plantes n’importe où et à n’importe qui!
Dans tous les cas, pour le patient ou le médecin, il ne faut pas prendre à la légère la pharmacopée naturelle. Il est nécessaire de la considérer et l’analyser avec autant de rigueur que n’importe quel médicament, même si, vous le devinez, c’est bien plus difficile.