Il s’appelle Mouloud (en fait non, mais pour cette note, ce sera Mouloud) et il est arrivé en France en 1964, soit 8 ans avant moi.
Il sort d’une grande structure après un accident coronarien.
Avant d’aller le voir, je lis le courrier.
Le diagnostic d’accident coronarien a été difficile à cause d’un interrogatoire difficile et d’une symptomatologie atypique. Heureusement qu’une troponine à 11 a permis de vite trancher et de ne pas perdre de temps.
Dans les antécédents du patients, on note une gastrectomie sub-totale pour ulcère à la fin des années 70.
La suite du courrier est inquiétante: le patient décrit une dysphagie mixte solides/liquides depuis des mois ce qui motive une consultation gastro-entérologique.
J’imagine la suite, fibroscopie haute puis cancer gastrique sur l’anastomose puis, je vous laisse imaginer la suite.
Je vais voir le Monsieur.
Il n’a pas l’air cachectique.
Je lui demande de me décrire de nouveau cette dysphagie.
Ben ti vois, Misieu, dipuis l’accident, j’ai mal là quand ji mange. Et il me montre sa gorge.
Je repose la question différemment en appuyant mes questions avec des gestes de la main, langage assez universel et en simplifiant ma syntaxe au maximum.
Même réponse.
Ah?
Nouvelle formulation de la même question, même réponse. Il me dit alors qu’il a expliqué aux médecins qu’il ne pouvait pas beaucoup manger à chaque fois, ce qui est compréhensible étant donné ce qui lui reste d’estomac.
Il n’ont pas compris.
Ça en a tout l’air…
Bon, bah, il y a quand même une grande chance pour qu’au pire ce soit une petite irritation oro-pharyngée qui évolue depuis son admission pour son syndrome coronarien, il y a moins de 10 jours. Des pastilles au miel c’est mieux qu’une radiothérapie ou une gastrostomie palliatives, non?
Comme je suis un peu obsessionnel, je demande un coup de main à une aide-soignante d’origine tunisienne. Elle repose ma question en arabe. Il répond en truffant ses phrases de termes français (j’arrive presque à comprendre, c’est dire). L’aide-soignante sourit et on se dit qu’il doit plus souvent parler français qu’arabe.
Sa réponse est toujours la même.
Makach ouelou, tout va bien.
Je vais quand même garder la consultation gastro étant donné l’antécédent de gastrectomie et préciser dans le courrier cette histoire de douleur oro-pharyngée, histoire qu’il ne se prenne quand même pas une fibroscopie pour rien.
Bah, ti vois, ci pas bon di parler franci avec un p’ti accent, parci y a des toubibs, et ben y ti comprennent pas bien.
Ce qui est curieux dans cette histoire est que ce monsieur était parfaitement compréhensible.
Dans certain cas, l’interrogatoire est quasi impossible, même avec la meilleure volonté du monde.
On arrive toujours à trouver des bonnes âmes qui font la traduction parmi le personnel ou au pire parmi les autres patients (tant pis pour la confidentialité, on aura zéro à la certification, mais on saura de quoi souffre le patient!). Pas de souci pour le kabyle, c’est un peu plus difficile pour l’arabe (avec la difficulté supplémentaire d’une langue parlée qui n’est pas homogène).
Pour les autres, Arméniens d’Arménie (qui souvent ne parlent pas le même arménien que les nôtres), ressortissants d’Europe de l’est, Tchétchènes (il y en a beaucoup moins qu’à une certaine époque), Roms… les choses sont toujours beaucoup plus compliquées…
Comme ma consultation hospitalière est adossée à une consultation PASS, je transpire souvent.
Quand on sait qu’un interrogatoire bien conduit fait souvent 60% du diagnostic, on mesure l’ampleur de la difficulté pour essayer de faire son métier et rendre service.