Il faisait de son mieux pour dissimuler son anxiété – son envie folle de toucher, le désir poignant que lui inspirait un corps comme celui-là, la vanité de toute l’affaire, et sa propre insignifiance – et il faut croire qu’il y parvint car, lorsqu’il sortit un papier de son portefeuille pour lui écrire son numéro de téléphone, au lieu de faire la moue et de s’enfuir en se moquant de lui, elle le prit avec un mignon sourire de chat, qu’on aurait bien vu s’accompagner d’un ronronnement. «Vous savez où je vis », dit-il tout en se sentant bander dans son pantalon, à une vitesse magique, incroyable, comme s’il avait quinze ans. Tout en ressentant aussi cette impression aiguë d’individualisation, de singularité sublime, qu’offre une nouvelle aventure sexuelle, ou une histoire d’amour, contrairement à la maladie grave, qui vous dépersonnalise en vous neutralisant. Elle le dévisageait de ses grands yeux bleus expressifs. « Vous avez quelque chose d’original, lui dit-elle, pensive. – Eh oui, lui répondit-il en riant, je suis né en 1933. – Vous m’avez l’air en pleine forme. – Et vous aussi, vous m’avez l’air en pleine forme. Vous savez où me trouver », répéta-t-il. En un geste charmant, elle agita le papier comme une clochette, et il la vit avec délices le fourrer dans son débardeur trempé de sueur, avant de reprendre sa course le long de la jetée.
Un homme (p 115)
Philip Roth
Traduction Josée Kamoun.
Eds. Gallimard