Stéthoscope

La semaine dernière, je me suis rendu compte que le tuyau de mon stéthoscope commençait à se fendre.

J’ai donc commandé la pièce détachée.

C’est un Littmann master cardiology que j’ai acheté il y a déjà pas mal d’années. Comme on ne peut pas commander le tuyau seul, mais qu’il faut acheter en bloc tuyau, lyre et embouts auriculaires, ça m’est quand même revenu à 109€ TTC.

Je me suis alors demandé si ce stéthoscope que je porte à longueur de journée autour du cou n’est pas devenu au fil du temps bien plus une décoration à fonction sociale qu’un véritable instrument de travail. Je le porte même tellement autour du cou que le tuyau, en prenant de l’âge a pris une forme cintrée du diamètre exact de mon cou .

Je l’ai beaucoup utilisé en étant interne, puis assistant, en salle, ou en réanimation.

Mais maintenant que je suis libéral et praticien attaché, c’est à dire un cardiologue à la Raminagrobis, je l’utilise de moins en moins.


Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
C’était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.


J’en suis malheureux, car je suis conscient que l’art délicat de l’auscultation se perd au fil des générations de cardiologues, mais c’est ainsi. Jeune interne, j’ai eu beaucoup de chance, car c’est un « vieux » cardiologue qui m’a un peu appris.

J’examine toujours mes patients, bien sûr, mais différemment.

Au cabinet, ou à une de mes consultations hospitalières, je me sers de l’appareil d’échographie comme d’un stéthoscope. L’appareil est juste à côté du lit d’examen, la facilité est trop tentante.

La tension artérielle? Appareil électronique, de plus en plus souvent. Le reste du temps, paradoxalement c’est presque un crève cœur que de prendre une tension avec un si excellent stéthoscope. Heureusement qu’il y a les poumons, bien plus rarement l’abdomen qui lui permettent de justifier encore un peu son emploi.

Donc je me demandais si j’allais réparer de façon couteuse ce qui est devenu un ornement, quand récemment, je vois en consultation une jeune femme adressée par le médecin du travail de l’hôpital pour « dédoublement du B2 ». A cette consultation particulière, je n’ai pas d’appareil d’échographie sous la main.

Petite précision, notre médecin du travail est très consciencieuse sur les bruits du cœur. Le reste, je ne sais pas, mais les bruits du cœur, elle est à fond dessus. Pourtant, elle n’est pas mariée à un cardiologue, mais à un hématologue. Depuis des années, elle m’adresse des patients pour toute la panoplie de bruits du cœur anormaux: souffles divers et variés, B2 claqué ou dédoublé, B3, B4, roulement, frottement, galop… Toutefois je n’entends jamais rien, et l’échographie cardiaque est invariablement normale. Elle est donc très sensible et peu spécifique. C’est son choix.

La jeune femme active n’a aucun symptôme, mais elle a une histoire de pneumonie récidivante dans l’enfance. Par ailleurs, elle est allergique. Sa mère a un antécédent d’anévrisme du septum inter-auriculaire. Je lève un sourcil. A l’examen, aucun signe d’insuffisance cardiaque droite ou gauche, et sa tension artérielle est normale. Je rétrograde dans mon esprit l’hypothèse d’une HTAP, et je fais remonter celle de la CIA. L’hypothèse numéro 1, basée sur la loi des probabilités restant « rien », mais bon, continuons…

Je termine par une auscultation cardiaque comme à la parade: aux 4 foyers, patiente penchée en avant, puis couchée sur le côté gauche, en analysant les temps respiratoires. Au début je n’entends rien de particulier, puis en la faisant coucher sur le côté gauche, j’entends le dédoublement de B2, qui, merveille des merveilles a un intervalle et une intensité variables en fonction du cycle respiratoire. J’étais tellement content, que je lui ai passé le stétho pour qu’elle écoute. Elle n’a malheureusement rien entendu. L’auscultation cardiaque est basée à 25% sur la foi que l’on va entendre quelque chose, et à 75% sur les conditions d’écoute qui doivent être optimales. Il faut croire pour entendre et apprécier la subtile symphonie des bruits du coeur.

B2 dédoublé variable en fonction de la position et du temps respiratoire, donc a priori bénin, dit « du sujet jeune ». J’élimine le « rien », la spécificité de ma collègue augmente donc avec l’âge (de nos jours, rien n’est plus certain). J’élimine aussi l’HTAP.

Restent deux vainqueurs potentiels à la course aux hypothèses: dédoublement bénin du sujet jeune et CIA (même si dans cette dernière, le dédoublement du  B2 est classiquement fixe).

Mais, en regardant son ECG, je retrouve en V1 un aspect RsR’ qui m’évoque quand même la possibilité d’une CIA.

Damned, doute, donc échographie cardiaque.

Je parie quand même sur le dédoublement bénin.

Mais bon, j’ai retrouvé pour un temps le plaisir de l’auscultation.

Quand elle reviendra me voir avec son échographie, je me permettrai la volupté d’une seconde auscultation.

Photobucket

A gauche, mon Littmann, à droite, le Pilling de mon père. Ce Sprague-Bowles des années 65-70, fabriqué à Philadelphie par G. P. Pilling & Son est une pure merveille américaine chromée avec son cornet en bakélite. L’auscultation est très différente de celle du Littmann, il faut littéralement habituer son oreille à un son plus ténu, mais aussi plus net. J’ai cessé de l’utiliser un peu par peur de le perdre, mais aussi car j’avais de plus en plus de mal à trouver des tuyaux de rechange (je ne parle pas des embouts auriculaires que je n’ai trouvés la première fois qu’à la boutique de la fac de médecine de McGill à Montréal). De temps à autre, je recherche un stétho comme celui là, en parfait état, mais « dans son jus », afin de récupérer des pièces détachées, au cas ou.

J’ai eu un moment un Rappaport Hewlett-Packard que j’avais acheté neuf à un prix véritablement astronomique. Ce type de stéthoscope avait un passé glorieux (j’en avais vu des exemplaires anciens nickels, malgré leur âge), mais HP, qui avait repris la licence, les faisait alors fabriquer en Chine, et c’était de fait une merde infâme que j’ai vite remisé au placard. Je crois que HP a d’ailleurs suspendu sa commercialisation. J’en ai eu un autre acheté aux EU sur internet, là aussi une merde infâme (je l’ai vite donné à un de mes internes). Finalement, je me suis rabattu sur ce Littmann qui est très bien.





11 Replies to “Stéthoscope”

  1. Yann, j’ai fait sauter par erreur ton commentaire!
    Le voici:
    « “doux, moelleux, humé, apiratif”..
    Une réminiscence traumatique de la sémiologie cardiologique…depuis j’ai choisi une spé sans sthétho!
    « 

  2. oh doux plaisir de l’auscultation de moins en moins partagé!
    je dirais, selon un papier pas si vieux que celà, 90%à 95%de bons diagnostics pour les souffles et un vrai challenge ensuite du démenbrement echo des souffles foireux du genre turbulences de la voie droite, fop…

  3. J’ai un prof de cardio qui imite les souffles cardiaques à merveille, un prof qui nous enseigne les signes cliniques et essaie de nous transmettre son expérience, un prof qui dit que l’on apprend bien que lorsque l’on y prend du plaisir, qu’il ne faut pas nous inquiéter parce que lui si près de la retraite a toujours l’impression de ne rien savoir… Il y a des gens qui marquent.

  4. ah ben dis donc, moi j’ai toujours adoré entendre un éclat du B2 ! c’était mon super CCA de cardio qui me l’avait fait entendre la première fois, je n’ai jamais oublié ce bruit… malheureusement je ne l’entendrais plus jamais… Je n’ai pas fini de faire mon deuil du stétho…
    et y’avait une autre CCA qui nous avait filé un CD des bruits du coeur qui ne nous a servi à rien, parce les bruits étaient totalement différents in vivo!

  5. Ce matin, pas grand chose a faire au bureau…En plus le vendredi, je peux travailler chez moi en pyjama …..Comme je suis curieuse de tout…Voila que je me suis interessee au stethoscope! Et bien j ai appris pas mal de choses:
    Ethymologie
    Stethos: Chest
    Skopos: Examination
    Et en plus et j en suis fiere : invention bien de chez nous, la France avec Rene Laennec qui inventa le stethoscope en 1816.J ignorais.
    http://www.antiquemed.com/invention.html
    Un lien ci dessus pour la petite histoire du stethoscope depuis l Antiquite…
    Par contre je ne suis pas interessee de savoir comment m en servir, je laisse cela aux vrais specialistes et aux passionnes comme Lawrence!

  6. J’apprécie la volupté que tu mets dans le choix de tes stéthoscopes
    Et je t’envie : moi, je ne peux pas choisir mes endoscopes comme ça !

  7. Ainsi ton stéthoscope a une fonction décorative non négligeable ? C’est normal, tu es cardiologue !
    C’est comme l’ortho avec le rapporteur dans la poche, l’ORL avec l’otoscope qui dépasse, le gynéco avec la roue de datation de grossesse… C’est le métier qui veut ça !

  8. Je vais acheter mon 1er stéthoscope , en surfant pour avoir des infos sur le littmann classic
    j’ai atteri ici , J’ai apprécié votre texte(, son humour aussi). Je ne suis pas médecin mais cardiophile .
    j’aime entendre « la subtile symphonie des bruits du coeur » et bientôt je partagerais le mien avec d’autres dont l’assuétude est la même . peut être trouvez vous ça puéril ? 😉

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