J’ai vu récemment un patient adressé par son médecin traitant pour une dyspnée et des précordialgies d’effort survenant depuis 48 heures.
Ce patient pléthorique de 76 ans est suivi par une consœur cardiologue pour une cardiopathie assez mal définie, mais n’ayant pas fait parler d’elle depuis quelques années. Comme le généraliste n’arrivait pas à la joindre, il me l’a envoyé assez rapidement.
Sur le coup, j’ai aussitôt pensé à une décompensation d’une insuffisance cardiaque, avec signes à l’effort.
Mais je ne retrouvais rien à l’examen : pas de sibilants, pas de crépitants, pas de souffle, des mollets souples et indolores, à peine des petits œdèmes des chevilles, prédominants à droite. L’ECG montrait toutefois des ondes Q en territoire inférieur, possible séquelle d’un épisode passé inaperçu depuis le dernier ECG de la consœur. A l’échographie cardiaque, pas d’anomalie majeure. Le patient ne ressentait plus rien, ni essoufflement, ni la barre épigastrique récidivante depuis 48h.
Bon, comme j’avais à portée de main un vélo et une console d’épreuve d’effort, je me suis dit, soyons joueurs, et essayons de provoquer la scène clinique à l’effort. J’ai eu une pensée fugace pour Saint Goscinny, que tous les cardios qui mettent un patient sur le vélo ne manquent pas d’invoquer surtout si ils font l’examen isolés, en fin de samedi matin. Bon, je ne prenais pas non plus de gros risque étant donné la présence d’infirmières à l’étage, à portée de téléphone. Mais enfin, quand même….
Le patient pédale quelques minutes, et des tas de vilaines extra-systoles ventriculaires isolées, puis pairées apparaissent sur le tracé qui ne s’est par ailleurs pas modifié. Puis le patient ressent « sa douleur » et est passablement essoufflé.
Je l’arrête immédiatement, le patient n’a pas fait 30 W, pas bon… L’absence de modification du segment ST pouvant être due à une maladie coronaire tellement diffuse et sévère, qu’elle les annule. Après quelques seconde, les extrasystoles disparaissent, puis les symptômes.
J’appelle le généraliste et on l’adresse immédiatement dans le service de cardio le plus proche, là ou travaille d’ailleurs son cardiologue traitant.
Le coronarographiste me rappelle environ 1 heure plus tard: le patient avait une sténose critique sur l’interventriculaire ostiale et une coronaire droite occluse. Peut-être qu’il faudra le ponter…
Merci Saint Goscinny et surtout merci à la recherche pointilleuse de l’anamnèse que mes vieux maîtres de cardio m’ont faite rentrer dans la tête à grands coups de stéthoscope. Écouter et interroger, c’est 90% du travail du cardiologue. Ne pas le faire, c’est 90% de cimetière pour les patients qui ont quelque chose.
Toujours se méfier de toute symptomatologie survenant à l’effort, toujours suspecter toute douleur/constriction/barre/brûlure/engourdissement/etc survenant dans cette circonstance au dessus du nombril! (en dessous, c’est plutôt une artériopathie)
la cardio est simple quand on est ordinairement rigoureux,je n’arrive pas à comprendre l’échec fréquent de la diffusion de cette culture ( quelques aigreurs urgentistes pendant les fetes..)
« Écouter et interroger, c’est 90% du travail du cardiologue. »
Amen. Selon moi, du médecin en général. Les meilleurs médecins que je connais savent écouter. Ca ne veut pas dire laisser les gens se lamenter non plus, ne confondons pas.