Procès d’intention (2)

Les dernières recommandations ESC sur la prise en charge de la fibrillation auriculaire ont donné un bon coup de pouce à la dronédarone (Multaq®).

Je ne vais pas y revenir ici, j’en avais parlé .

Sanofi en est légitimement fier et le laboratoire y fait une discrète allusion sur ses plaquettes publicitaires:


« Une 1ère intention anti-arythmique ».

Bon, parfait, bravo les gars, cocorico!

L’histoire des 2 transplantations hépatiques a de quoi un peu refroidir, mais bon, une première intention dans une recommandation européenne, c’est quand même pas n’importe quoi.

Un commentaire de ce matin m’a fait lire les déclarations d’intérêts des experts qui ont participé à la rédaction de ces recommandations.

Ce document sépare ces experts en 3 groupes:

  • membres du groupe de travail (Task Force Members)
  • relecteurs du groupe de travail (Task Force Reviewers)
  • membres du Comité pour les recommandations pratiques (CPG Members)

Je me suis posé 3 questions:

  • combien d’experts se sont déclarés indépendants de l’industrie parmi ces 3 groupes (étiquette aucun)?
  • parmi ceux qui ont au moins un lien avec l’industrie, combien en ont un avec Sanofi (étiquette Sanofi)?
  • parmi ceux qui ont déclaré au moins un lien avec l’industrie, combien n’en ont pas avec Sanofi (étiquette autres)?

Et voilà ce que cela donne en graphiques:

 

 

Si l’on prend en compte l’ensemble des trois groupes, on obtient ceci:

La proportion des experts ayant un lien financier avec Sanofi oscille  entre 31 et 40% en fonction des groupes, 36% pour le total. Elle est la plus forte (40%) parmi les experts du groupe de travail, ceux qui sont directement responsables de la rédaction des recommandations. C’est dans ce groupe qu’il y a aussi la plus grosse proportion d’experts indépendants de l’industrie (32%).

Parmi le groupe des relecteurs, on retrouve la plus forte proportion d’experts indépendants (46%).

Parmi le groupe CPG qui chapeaute l’ensemble des recommandations pratiques publiées par l’ESC, 13% sont indépendants, 50% ont des liens financiers avec l’industrie hors Sanofi, 37% avec Sanofi.

Globalement, 2/3 des experts ayant participé de près ou de loin à l’élaboration de ces recommandations déclarent avoir un lien financier avec au moins un laboratoire, et parmi eux, la moitié a des liens avec Sanofi.

Impressionnant, n’est-ce pas?

(même un type de droite, pas du tout révolutionnaire comme moi, ça l’impressionne)

Ce n’est plus une infiltration, pour reprendre le mot de la Présidente de la SFC, mais une véritable inondation.

Quel crédit apporter à ces recommandations écrites, relues et validées par des experts dont les 2/3 ont des liens financiers avec l’industrie, et parmi ceux-là, la moitié avec Sanofi?

Quelles solutions pour minimiser ces interférences?


°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°

Par curiosité, j’ai fait la même analyse avec les experts qui ont endossé les recommandations américaines:

16 Replies to “Procès d’intention (2)”

  1. Je soumets à ta sagacité la question suivante:
    – expert rétribué par un labo = % de cerveau de l’expert vendu au labo ? => comment apprécier la marge de liberté de réflexion, mais surtout de décision pour ce genre de personne ?

  2. Quousque tandem abutere, Industria, patientia nostra. 😉

    Il ne s’agit pas, dans l’immense majorité des cas, d’être « vendu » mais plutôt « imbibé ».

    Je ne suis pas du tout persuadé qu’il faille être chef de service d’une grosse unité de cardiologie de CHU pour établir des recommandations sur la FA.
    Un cardiologue ou même (soyons révolutionnaires) un simple généraliste est en mesure de participer à ce travail pour peu qu’il s’y connaisse un minimum en matière de méthodologie des essais, de revue de la littérature et qu’il lise correctement l’anglais.
    La posture « quand on fait partie des meilleurs, on a forcément des liens avec l’industrie » est une escroquerie (sauf, peut-être, pour quelques rares domaines hyperspécialisés). Rien n’impose réellement de retrouver ce type de proportions « d’experts » liés à l’industrie dans ces groupes de travail.

    1. Mouhahahahaha, on a les mêmes références: https://grangeblanche.com/2010/04/17/les-catilinaires/
      Dans le même genre:

      Ne cesserez-vous pas, leur dit-il, quand nous avons le portefeuille au côté, de nous lire des textes de lois ?

      Librement adapté de Plutarque, La vie de Pompée: Ne cesserez-vous pas, leur dit-il, quand nous avons l’épée au côté, de nous lire des textes de lois ?
      Un retrait d’AMM de la dronédarone, après le fiasco du Mediator, serait une nouvelle confirmation de ta remarque.

  3. Peut etre que la solution serait la meme que le choix d un juré( jury) populaire; Tirage au sort parmi une liste( confidentielle) de cardiologues qui se seraient declarés volontaires;
    Mais quand on dit »retribué », quelles sont les sommes?; Je pense qu un tour de France est tres largement retribué vu ce que les labos proposent deja( entre 400 et 700€) au cardiologue liberal que je suis pour animer des réunions dt le titre est svt neutre, ronflant( l urgence coronaire, la thrombose coronaire, etc); On perd vite son indépendance; Et puis à la retraite, en remerciements des services rendus, un poste de consultant sera peut etre proposé à l expert; Trop humain tout cela!!!

  4. Marketing omnpresent; Qui se souvient des resultats de Caprie qui a permis au Plavix d avoir l AMM; 19000 Pts randomisés apres un evenements « atherothrombotiques » ASA ou Clopido, suivi 2 ans; Resultats avec un p significatif mais 5,8% vs 5,3% pour le critere primaire, pas de quoi en faire un blockbuster; et il etait aussi prevu d analyser les resultats en fction du mode d entree des Pts( soit apres IDM, soit apres AVC, soit apres arterite) et qui se souvient que ds le groupe post IDM, l aspirine faisait mieux que le Plavix (4,8 vs 5%); Oui, oui, c est vrai( Lancet 1996; 348:1329-1339)

    1. Je me souviens de Caprie…
      Tu te souviens des dernières semaines du rimonabant?
      C’étaient parce-que les patients étaient obèses qu’ils avaient des idées suicidaires….

  5. Je suis étonné qu’il reste 30% d’experts sans conflit. Si le chiffre est réel, c’est assez étonnant et plutôt rassurant. Je suis optimiste aujourd’hui. Comme j’ai mauvais esprit, je pense que certains ont oublié de déclarer des petites choses. Pour l’europe je ne pense pas qu’il soit possible de vérifier encore, pour les USA ce serait amusant de croiser la base propublica et les non de ceux sans conflits. Il faut juste vérifier si sanofi à balancer ces datas. Je suis sympa je t’ai trouvé une petite activité pour le WE prochain 😉

  6. Le fait de sous déclarer ou de ne pas déclarer est déjà en soi quelque chose qui doit attirer l’attention effectivement… C’est mon sentiment et mon expérience sur des cas précis que j’ai en tête.
    Il n’y a pas beaucoup de solutions à ce problème et voilà donc une lapalissade toute simple: pour couper l’effet des conflits d’intérêt, il ne faut pas en avoir!
    Personne ne sera jamais capable de mesurer comment et combien ces liens influencent même pas l’expert qui en est l’objet !!!!
    Mais il est évident qu’on ne peut pas être insensible à celui qui paye, normal, non????

  7. « Mais il est évident qu’on ne peut pas être insensible à celui qui paye, normal, non???? »

    C est pour cela que les payeurs payent, car nous sommes des êtres sensibles….

  8. J’aimerais votre avis sur le point suivant: si une demande d’AMM pour l’amiodarone était déposée maintenant, pensez vous qu’elle serait acceptée, vu son profil de tolérance? Dans tous les débats actuels, personne ne commente sur ce point.

    1. Bonne question.
      Elle aurait probablement été acceptée étant donné que ses effets secondaires les plus sévères se font sur le long terme.
      L’aurait-on retirée après les avoir constatés?
      Probablement pas étant donné son efficacité indiscutable et que c’est le seul anti-arythmique que l’on peut donner aux insuffisants cardiaques.

      Manque de chance pour la dronédarone, ses problèmes de sécurité surviennent dans un contexte sanitaire particulier, plutôt précocement après l’AMM, on ne peut pas la donner aux insuffisants cardiaques dont elle augmente sensiblement la mortalité et elle est moins efficace que la molécule de référence.
      Ça fait quand même plus de méchantes fées que de bonnes penchées sur le berceau du bébé, non?
      (je ne parle pas du contexte)

      1. Il n’y a pas de doutes que l’amiodarone est efficace, mais j’ai quand même l’expérience de patients avec une dysthyroidie liée à la prise de cordarone et je ne sais pas si au bout du compte nous rendons service à nos patients (par contre je n’ai heureusement pas vu de fibrose pulmonaire!). Avons nous des données de morbi mortalité sur l’amiodarone qui nous rassureraient sur le long terme? Ce n’est pas très clair pour moi.

        1. Bah, c’est certain que je fais tout ce que je peux pour ne pas prescrire de l’amiodarone au long cours…
          Maintenant, on n’était pas totalement démunis puisque nous avons la flécaine.
          En cas d’impossibilité, de cette dernière, ok pour la dronédarone (en tout cas avant ses soucis, et dommage que Sanofi n’ait pas financé une comparaison flécaine/dronédarone).
          Mais certainement pas en première ligne.

  9. Merci pour ces recommandations! Au fait, avez vous déclaré vos conflits d’intérêts? 😉

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