Parfois, il est difficile de faire la distinction entre l’information délivrée par la presse médicale française et du contenu purement promotionnel. Pour le lecteur lambda, la limite est floue, et personne n’a intérêt à clarifier les choses.
J’ai découvert grâce au numéro de Prescrire reçu hier une interdiction de publicité parue au JO du 25 mars 2010. Elle concerne un supplément publi-rédactionnel d’Impact Médecine sur le valsartan.
Je vous conseille de lire le compte rendu de la réunion du 28/09/09 de la commission de contrôle de la publicité de l’Afssaps qui a conduit à cette interdiction.
Les dialogues retranscrits permettent d’apprendre pas mal de choses sur ce qui définit une publicité d’un contenu éditorial, et ce qui doit donc être visé par l’Afssaps et ce qui ne doit pas l’être.
Impact Médecine a estimé initialement que ce supplément n’était pas de la publicité, et qu’il ne devait donc pas être visé. Novartis a fait de même, et n’a donc pas soumis son contenu à l’approbation de son pharmacien responsable.
En l’absence de ces deux garde-fous, le supplément est généreux en allégations non validées par les autorités sanitaires, avec de savoureux morceaux de leaders d’opinion dedans:
Les propos du Pr Gay mentionnent notamment « plusieurs études illustrent les propriétés complémentaires des ARAII, en particulier le valsartan : réduction de la morbi-mortalité cardiovasculaire chez les patients hypertendus à haut risque (JIKEI) ; […] ; diminution des nouveaux cas de diabète (VALUE) » correspondant à des propriétés du valsartan non validées par l’AMM de ce médicament, ce qui ne constitue pas une présentation objective.
Les propos du Pr Galinier tendent, de même, à étendre le champ des indications validées par l’AMM de ce médicament et ne présente pas le médicament de manière objective :
– « le valsartan est le seul des ARA2 à posséder l’ensemble des indications permettant de lutter efficacement contre les différentes étapes de ce continuum [cardiovasculaire] »,« Les ARA2 sont la classe thérapeutique la plus puissante pour obtenir une régression de l’hypertrophie ventriculaire gauche »,
– « Le diabète de type II est efficacement prévenu par les ARA2 tant au cours de l’HTA que de l’insuffisance cardiaque »,
– « L’obtention par le valsartan de ces différentes AMM permet ainsi aux praticiens de pouvoir suivre les recommandations ».
L’étude VALUE fait état d’un bénéfice du valsartan sur la morbimortalité cardiovasculaire équivalent à celui de l’amlodipine (critère principal composite délai d’apparition du premier évènement cardiaque non significatif) et d’une diminution de l’incidence des nouveaux cas de diabète chez les patients à haut risque cardiovasculaire (critère subsidiaire).
La présentation des résultats de cette étude, le titre « pour bien traiter, mieux vaut traiter tôt et fort » et l’encart « à retenir » qui mentionne notamment : « Il ne reste pas moins que le traitement agressif de l’HTA chez le patient à risque cardiovasculaire élevé doit être précoce. De ce fait, pour que le patient bénéficie de tous les avantages, tensionnel, anti-ischémique et métabolique, une association valsartan-amlodipine semble optimale » mettent en exergue ces résultats favorables au valsartan en terme de réduction de la morbidité cardiovasculaire.
Or, l’AMM du valsartan (TAREG) n’a validé aucune indication dans la réduction du risque de morbimortalité. De plus, EXFORGE (valsartan – amlodipine) n’est indiqué qu’en seconde intention après échec d’une monothérapie (par valsartan ou amlodipine). Cette communication n’est donc pas conforme à l’autorisation de mise sur le marché des spécialités à base de valsartan, seul ou en association, commercialisées dans l’HTA par le laboratoire Novartis.
…
L’ensemble du document exploite des résultats d’études cliniques non conformes aux données validées par l’AMM du valsartan et les présente de manière non objective en cautionnant ces résultats par des interviews de Professionnels de santé. Ce document est donc contraire aux dispositions de l’article L5122-2 du code de la santé publique qui disposent notamment que la publicité doit respecter l’autorisation de mise sur le marché et présenter le médicament objectivement.
Le problème est que l’Afssaps a estimé que ce supplément était effectivement de la publicité, d’où son interdiction.
Parmi les pages un peu austères du compte-rendu de la commission, on retrouve quand même cette perle énoncée par la représentante du LEEM:
En outre, cette pratique de partenariat financier est tout à fait courante dans ce secteur. Par ailleurs, elle tient à appeler l’attention de la Commission sur la firme Novartis, dont l’éthique est notoire.
Éthique notoire? Cela sous-entend qu’elle ne le serait pas pour d’autres laboratoires?
Un peu plus loin, celle-là est énorme:
Un représentant de la presse médicale fait état d’un courrier du SNPM adressé à la présidente de la Commission et à l’Afssaps, au sujet de la mise en place d’un système d’autorégulation sur la base de la charte « information sur le médicament et publicité rédactionnelle ». Une commission d’autodiscipline dite du « suivi de l’application de la charte » a pour objet d’améliorer les pratiques de publicité rédactionnelle et tout particulièrement les éditions spéciales congrès et de formation médicale continue (FMC). Ce travail est en cours. Une sanction prise à l’encontre d’un supplément de presse et sanctionnant le laboratoire Novartis ne paraît pas de nature à développer une autodiscipline qui commence à porter ses fruits.
Attention, attention, si on sanctionne un écart, on risque de discréditer le travail de la commission d’autodiscipline qui de toute évidence est incapable d’empêcher de tels écarts. On devrait appliquer ce système de pensée au domaine pénal.
Encore un peu plus loin:
Un membre de la Commission demande si les visiteurs médicaux ont été destinataires de ce numéro. Si oui, la firme les a-t-elle informés qu’il n’était pas utilisable en visite médicale (VM), si non, la firme a-t-elle fait des démarches pour préciser qu’elle n’était pas solidaire de ce document hors AMM ?
Le pharmacien responsable confirme que les visiteurs médicaux n’ont pas exploité ce document, qu’ils sont formés sur tous les aspects du produit, en accord avec la charte de la VM, y compris sur les données hors AMM disponibles parce qu’ils peuvent être amenés à répondre aux médecins qui poseraient des questions et qu’ils sont mis en situation pour vérifier leur discours et l’adéquation du discours restitué avec la formation. Le visiteur connaît parfaitement les limites de la communication en accord avec la charte de la VM. En ce qui concerne ce document en particulier, les visiteurs médicaux n’ont pas été destinataires de ce supplément mais n’ont pas reçu d’information spécifique à ce sujet, comme pour tout ce qui concerne la presse.
Mais en fin de document, un petit encart précise:
Mise à disposition par l’Afssaps d’informations complémentaires disponibles au moment de la publication de ce compte-rendu :
Le pharmacien responsable du laboratoire Novartis a informé l’Afssaps qu’à la suite de l’audition devant la commission, il a fait diligenter un audit interne dont les résultats l’amènent à modifier certains propos tenus lors de cette séance. Ainsi, il a souhaité préciser que les visiteurs médicaux avaient été destinataires de ce supplément, mais n’avaient pas reçu d’information spécifique à ce sujet, comme pour tout ce qui concerne la presse.
Donc, contrairement à ce que le pharmacien responsable du laboratoire avait d’abord confirmé, ce supplément qui a été interdit par la suite a bien été mis à disposition des visiteurs médicaux.
Bon, maintenant, une interdiction publiée au JO, ça doit quand même faire peur et devrait avoir un effet dissuasif.
Cependant, je ne suis pas trop inquiet pour les ventes du valsartan et d’Impact Médecine, car la chronologie des faits est la suivante:
- Publication du supplément « Valsartan – Une efficacité prouvée tout au long du continuum cardiovasculaire » le 18/06/2009
- Réunion de la Commission du contrôle de la publicité demandant l’interdiction: 28/09/2009
- Publication de la décision au JO: 25/03/2010
Je ne sais pas si une interdiction de publicité s’accompagne de sanctions pour l’éditeur/publicitaire/labo, mais dans le cas contraire, je ne pense pas qu’en septembre 2009, il restait beaucoup d’exemplaires du supplément du mois de juin à écouler…
Impressionnant, non?
Et encore, heureusement qu’il s’agit d’un laboratoire dont l’éthique est notoire…
La solution pour ne pas se retrouver devant ce problème cornélien, information ou publicité, me semble simple, ne plus sortir de leurs emballages les journaux médicaux que nous recevons chaque jour gratuitement et de les glisser directement dans la poubelle.
Et s’abonner à Prescrire.
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05/09/10: Ajout de quelques lignes (encore une perle) et quelques modifications stylistiques.