Cramponné au bord de la fenêtre ouverte, je suffoque comme un poisson jeté sur le sable sec. J’envisage en désespoir de cause de consulter un médecin, malgré la répulsion que m’inspirent les hommes de cette épouvantable profession, laquelle consiste à dénuder et à toucher sans amour les corps qui en auraient le plus grand besoin. Et je ne parle pas des âmes! Comment songer sans horreur à ces asiles où l’on enferme les possédés du démon que les faux prêtres, enfantés à profusion par Rome, ne veulent ni ne peuvent exorciser, et que l’on qualifie de « malades mentaux » afin de pouvoir les livrer à la discrétion des médecins derrière des murailles capitonnées?
Si j’allais voir un médecin, il faudrait que ce fût le plus humble, le plus pauvre, le moins « savant ». Je prendrais place dans son antichambre parmi les foules des clochards et des putains, et c’est dans son regard que je trouverais en premier lieu le vulnéraire de mes plaies.
Mais j’ai une meilleure idée. Puisqu’un vétérinaire soigne aussi bien des colibris que des éléphants, pourquoi ne soignerait-il pas un homme? Je vais faire antichambre chez le plus proche vétérinaire entre une chatte brehaigne et un perroquet chassieux, et quand mon tour sera venu, je le supplierai, à genoux s’il le faut, de ne pas me refuser les soins qu’il prodigue à nos frères inférieurs. Je ferais tant, qu’il faudra bien qu’il me traite tout de même qu’un cochon d’Inde ou un loulou de Poméranie. A défaut de chaleur humaine, du moins trouverai-je chez lui de la chaleur animale, et lui au moins ne cherchera pas à me faire parler.
Le Roi des Aulnes (1970).
Gallimard.
Michel Tournier.