Trithérapie antithrombotique

La trithérapie antithrombotique associant 2 antiagrégants plaquettaires et un anticoagulant est une association qui terrifie jusqu’à la moelle tous nos confrères non cardiologues et fait même parfois se poser des questions à quelques uns parmi nous. C’est dire que c’est un problème.

Un article du Circulation de cette semaine donne quelques pistes pour tenter de le résoudre

L’association de deux antiagrégants (aspirine+clopidogrel) se justifie après l’implantation d’une endoprothèse coronaire. La durée optimale de traitement dépend du type d’endoprothèse:

  • 1 mois minimum, au mieux 12 pour une endoprothèse nue. En cas de risque hémorragique élevé, on peut descendre à une durée incompressible de 2 semaines.

  • 12 mois minimum pour les endoprothèses actives. Sinon, en cas de risque hémorragique élevé, 3 mois minimum pour une endoprothèse au sirolimus, 6 mois pour une endoprothèse au paclitaxel.

Évidement, si ces durées sont à respecter, cela implique aussi qu’il ne faut pas « laisser courir le clopidogrel » au delà, donc faire courir au patient un risque hémorragique indu. Après cette période, l’aspirine seule doit être poursuivie à vie.

Maintenant, imaginons que l’on doive instaurer un anticoagulant. Car là est la question puisqu’en général, après implantation d’une endoprothèse, un traitement par bithérapie ne se discute pas. Comme nous l’avons vu, seule la durée est éventuellement modulable.

Tout d’abord, faut-il en instaurer un?

Dans le cas d’une fibrillation auriculaire non valvulaire, qui reste une cause très fréquente d’instauration d’un anticoagulant, il faut estimer le risque thromboembolique avec le score CHADS2.

Ce score additionne les facteurs de risque auxquels sont attribués des points:

  • insuffisance cardiaque=1

  • diabète=1

  • âge>75 ans=1

  • HTA=1

  • Antécédent d’accident ischémique cérébral=2

Un traitement par aspirine 81-325 mg par jour est recommandé pour un score à 0

Un traitement par aspirine (mêmes doses) ou par AVK (INR cible entre 2 et 3) est recommandé pour un score à 1

Au delà, pas le choix, c’est l’AVK (INR cible entre 2 et 3) qui est recommandé.

Conclusion, pour un score à 0 ou 1, on peut parfaitement considérer que la bithérapie antiplaquettaire va  » couvrir  » le risque thromboembolique de la fibrillation auriculaire (sous réserve que la posologie de l’aspirine soit supérieure à 81 mg, mais là, c’est pour les pointilleux…).

Les auteurs proposent ensuite d’estimer le risque de saignement du patient, et de ne pas instaurer de traitement par AVK si celui-ci est rédhibitoire, même pour les scores CHADS2 >1.

Vous allez voir que c’est là que ça devient drôle.

Les facteurs de risque de saignement proposés sont les suivants:

  • âge>75 ans

  • insuffisance rénale sévère

  • antécédent récent de saignement gastro-intestinal

  • antécédent d’accident vasculaire cérébral

  • HTA incontrôlée

Hilarant, non?

Trois facteurs de risque qui feraient éviter l’ajout d’un traitement par AVK font aussi partie de ceux qui le feraient instaurer selon le score CHADs2.

J’aurais rajouté à cette liste le patient chuteur et celui dont on n’est pas certain de la prise correcte de médicaments.

Pour tous les autres cas où l’on se pose la question d’un traitement par AVK (thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire, prothèses valvulaires…), les recommandations pour chaque pathologie sont plus simples, et je vous suggère d’aller les consulter.

Les recommandations proposent toutefois de viser un INR cible entre 2 et 2.5 en cas de triple association, afin de diminuer le risque hémorragique. Je présume que cela s’applique à tous les cas (ACFA, thrombo-embolie veineuse…), sauf les prothèses valvulaires mécaniques, notamment mitrales qui exigent un INR cible plus élevé. En pratique, c’est un peu jésuitique…

Quel risque hémorragique fait donc courir une telle trithérapie?

Les études observationnelles estiment que le risque de saignement majeur à 30 jours est environ (à la louche) de 2.2% (0.7-3.7%). Sur 1 an, ce risque est estimé à 12%.

Ce qui est très loin d’être négligeable.

Les auteurs proposent pour finir 3 conseils afin de le diminuer:

  • réduire la posologie de l’aspirine à la dose minimale efficace (ça s’applique surtout aux EU où ils utilisent des doses plus élevées que chez nous)

  • protéger l’estomac par des IPP (avec un petit clin d’œil à la controverse actuelle IPP/clopidogrel)

  • optimiser l’INR entre 2 et 2.5 (en sachant que scientifiquement, cette fourchette n’a pas montré qu’elle était plus sûre que 2-3), et le surveiller étroitement.

Bilan de tout ça: l’article est bien écrit, bien documenté (30 références pour 3 pages d’article) et il a le mérite de poser les données de l’équation. Il vaut donc sa lecture.

Il n’a qu’un seul défaut duquel il n’est pas responsable, il ne résout pas le moins du monde le problème!


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Triple Antithrombotic Therapy in Patients With Atrial Fibrillation and Coronary Artery Stents. Jeremy S. Paikin, Douglas S. Wright, Mark A. Crowther, Shamir R. Mehta, and John W. Eikelboom. Circulation. 2010;121:2067-2070, doi:10.1161/CIRCULATIONAHA.109.924944.

13 Replies to “Trithérapie antithrombotique”

  1. C’est marrant le coup des 81mg.
    Comment ont-ils déterminé cette dose minimale efficace ?
    Et en pratique, quelle dose doit-on prescrire dans l’année post-stent ou au patient en FA CHADS2 0 ou 1 ?
    En tt cas, pr une fois, le prix ne peut pas rentrer en compte dans la décision : le kardegic, c’est 2€81 quelle que soit la dose ! Ca doit être le prix de l’emballage…

    1. Excellente question, merci de l’avoir posée!
      Pour le 81 mg, j’ai toujours eu la flemme d’aller chercher la réponse 😉

      Pour la posologie d’aspirine, pour la FA, on doit donc en théorie donner entre 81 et 325 mg. Évidemment, on raisonne en excluant le clopidogrel qui est pourtant associé.

      Pour les endoprothèses, je ne suis pas rentré dans les détails, mais ça dépend aussi de leur type:
      162 mg à 325 mg d’aspirine pendant 1 mois après une endoprothèse nue, puis 75 à 162 mg.
      162 à 325 mg pendant 3 mois après une endoprothèse au sirolimus puis 75 à 162 mg.
      162 à 325 mg pendant 6 mois après une endoprothèse au placlitaxel puis 75 à 162 mg.

      Donc ce n’est pas très simple…

      L’an dernier, une grosse étude est sortie dans le NEJM sur un sujet très proche: ACTIVE (http://content.nejm.org/cgi/content/full/NEJMoa0901301). En 2006, il y a eu celle-ci: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16765759?dopt=Abstract

  2. indiquer le traitement le plus lourd au malade le plus fragile
    est aussi une constante de la cardio-iatrogènie moderne,pour les avk le choix est simple :au minimum 2 obsessionnels dans la quadrette patient conjoint généraliste cardiologue (tout le monde qu’il n y a plus de mauvais labo !)

  3. Ma théorie sur ce dosage (pas commun pour le pharmacien que je suis) de 81 mg :

    Historiquement dans les systèmes de mesure anglo-saxons, le « grain » était une unité commune pour mesure les poids de divers biens, comme les céréales, la poudre à canon… et même certains composés pharmaceutiques comme l’aspirine.

    1 grain équivaut officiellement à environ 64,8 mg.

    Dans la Pharmacopée US l’aspirine était communément (et l’est encore) dosée à 5 grains (env. 325 mg) pour ses propriétés analgésiques et antipyrétiques, voir 10 grains (environ 650 mg).

    L’effet anti-agrégant apparaissant à faible dose (dès 30 mg/prise, de mémoire), une division arbitraire (même si je n’ai pas de référence sur ce point) par 4 de la dose standard de 5 grains, donnerait le « baby aspirin » à 325/4 = 81,25 mg, 81 mg en arrondissant (http://www.overstockdrugstore.com/product_images/h/312843061323.jpg).

    Bref, cela me semble lié à la différence des unités de mesures entre notre système métrique et système anglo-saxon historique, et à un fermier écossais qui a du se dire qu’il serait pas mal de créer un système de mesure des fruits de ses récoltes basé sur l’unité, le grain, il y a quelques siècles 😉

    1. J’ ai pas mal de médecins et de pharmaciens dans mes connaissances.
      Beaucoup ont un grain.
      La boucle est bouclée.
      Tout est dans tout et réciproquement.

  4. « Trois facteurs de risque qui feraient éviter l’ajout d’un traitement par AVK font aussi partie de ceux qui le feraient instaurer selon le score CHADs2. »

    Ca vaudrait quand meme le coup d’aller creuser dans les analyses statistiques pour comprendre ça…soit il y a une belle boulette, soit il y a comme qui dirait un biais 🙂
    La boulette n’est pas à exclure…est ce que les relecteurs (on dit comme ça en français??) demandent les données brutes et refont eux même les stats?? j’en doute.

    ps: moi aussi j’aime bien les fonds noir noir mais certains trouvent ça trop sobre (comment peut on trouve qqch « trop sobre »…c’est une bonne question)

  5. J’avais une autre notion moi, celle qu’on tenait comte s’il s’agissait d’un SCA ou d’une ATL a froid ( ischémie silencieuse, angor d’effort…).
    En gros on m’a toujours dis tout syndrome coronarien aigu c’est 1 an d’aspirine plavix et toute personne hospitalisée pour stent suite scinti positive c’est 1 mois en cas de stent nu et 6 mois a 1 an en cas de stent actif ( en fonction du type de stent )

  6. En cas de Chads2 ou 3, voire meme 4, le risque thrombotique annuel ramené sur 1-2 mois est vraiment faible, inferieur en tout cas au risque hemooragique sur le meme temps avec triple Tt; Je suis cardio interventionnel, les pts en FA, je leur mets un stent passif, ASA + Plavix 1 mois, puis arret Plavix au bout de 1 mois et reAVK; Si restenose dans le stent passif, j essaye le ballon actif qui necessite seulement 1 mois de Plavix

      1. C est cela; Pour une coro, je n arrete pas obligatoirement les AVK, INR autour de 2-2,5 et coro par voie radiale; si par contre il faut stenter, arret des AVK pdt 1-2 mois pdt que le pt prend plavix puis reprise AVK ensuite; tout depend de l indication des AVK

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