Le marché de l’occasion se porte bien

Hier, en faisant mes recherches sur clopidogrel et IPP, je suis tombé sur un article du Quotidien du Médecin du 17/01/2008, citant Christian Lajoux, le président du LEEM.

Attention, ça va vite, j’ouvre les guillemets:

« Enfin, Christian Lajoux, président du Leem (Les Entreprises du médicament), interrogé par notre confrère « le Quotidien du Pharmacien », estime que l’attitude de « Que choisir » constitue «un rejet de l’innovation thérapeutique qui revient à considérer qu’il faut traiter les patients avec des médicaments d’occasion». »

Pour replacer cette citation dans le contexte, la revue « Que choisir » avait pointé que les médecins, sous influence de l’industrie préféraient prescrire du clopidogrel dans des indications où de l’aspirine aurait suffit.

Qu’est donc un « médicament d’occasion »?

Le Larousse en ligne est clair: « Objet, meuble, véhicule, etc., qui n’est pas neuf et que l’on achète de seconde, de troisième main« .

A partir de quand un médicament devient « d’occasion »?

  • A l’expiration de son brevet ?
  • A la date de l’acceptation de l’AMM d’un nouveau médicament dont les indications recoupent les siennes?

Dans cette dernière hypothèse, est-ce que Christian Lajoux prend en compte l’ASMR?

Parce que dans ce cas, sur les 3 dernières années (2006, 2007, 2008), le moins que l’on puisse dire est que les molécules innovantes n’ont globalement pas fait bien mieux que les molécules d’occasion.

J’ai pris une source indiscutable, le LEEM lui même (mouaouarrff).

Les trois documents suivants: 2006, 2007, 2008 font la liste des innovations thérapeutiques pour chaque année.

Il s’agit, je pense des nouvelles AMM, c’est à dire qu’on y trouve aussi des « médicaments d’occasion » qui ont obtenu une extension de leurs indications, par exemple le glucophage®, le Tahor®…

Drôle de placer dans les « avancées thérapeutiques » des « médicaments d’occasion » que l’on méprise tant, n’est-ce pas?

J’ai supprimé en 2006 trois médicaments qui étaient initialement dans la liste: une des deux formes commerciales du névibolol (drôle, aussi, de compter en innovation un doublon) ainsi que le Tysabri® et l’Exubera® qui sont en fait passés devant la commission de transparence de l’HAS en janvier 2007. J’avoue que je n’ai pas cherché systématiquement tous les doublons/erreurs dans les dates. Si vous en trouvez d’autres…

En 2006, 5 ASMR n’étaient pas indiquées, je les ai recherchées sur le site de la HAS.

J’ai ensuite tiré quelques statistiques amusantes des données fournies par le LEEM.

Malgré l’avancée du temps, et en théorie, du progrès, l’innovation n’avance pas, elle a même tendance à reculer:


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Le nombre de molécules « innovantes » (classées comme telles par le LEEM) par an passe en effet de 60 en 2006, à 53 en 2007 et 31 en 2008.

Si l’on s’intéresse à l’ASMR de ces molécules, le constat est encore plus sévère:

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Rapporté sur 100%, le graphique est encore plus impressionnant:


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Le recul de l’innovation est non seulement quantitatif, mais bien plus grave, qualitatif. En effet, la part des médicaments innovants n’apportant qu’une amélioration mineure ou carrément pas d’amélioration par rapport aux « molécules d’occasion » augmente avec le temps.

En 2006, les ASMR III et IV représentaient 63% des avis de la commission de transparence. En 2008, elles atteignent 77%.

En 2008, plus des 3/4 des molécules « innovantes » n’avaient donc qu’un intérêt minime ou nul pour la commission de transparence de la HAS, par rapport aux « molécules d’occasion » (classées comme telles par le président du LEEM).

Sur l’ensemble des trois années 2006, 2007, 2008, près de 69% des molécules innovantes apportaient une amélioration minime ou nulle par rapport aux molécules de référence (pardon, d’occasion), 25% une amélioration importante, 6% une amélioration majeure:


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Je ne vais pas faire d’exégèse sur les causes de ce manque d’innovation qui va croissant, le LEEM a tout un tas d’explications que je vous laisse aller chercher sur leur site. Je vais aussi passer pudiquement sur le rimonabant, le ximégalatran et les coxibs qui étaient eux aussi des médicaments innovants.

Mais la confrontation des données apportées par le LEEM lui même et des paroles de son président est tout à fait éclairante et drôle.

D’ailleurs, je me pose une question.

Que dit Christian Lajoux, président de Sanofi-Aventis en France à ses collaborateurs/collègues/salariés qui travaillent dans la branche générique de Sanofi. Branche en plein développement, d’ailleurs (ici, ici ici ici ici et ici).

« Je vous ai compris! » ou « Vous êtes des fabricants de médicaments d’occasion! » ?

Fabriquer des médicaments d’occasion, ce n’est donc pas pire que d’en vendre, d’en prescrire, d’en prendre?

Toutefois, il faut bien se garde de tomber dans l’excès inverse qui consiste à cracher sur toute nouvelle molécule.

Ces deux positions me semblent aussi condamnables l’une que l’autre.

Comme toujours, la vérité est au milieu. Et comme toujours, se maintenir au milieu est bien plus difficile que de se coller à un coin.

8 Replies to “Le marché de l’occasion se porte bien”

  1. En hématologie on est globalement « gâté » puisqu’après une lecture rapide, il me semble que les rares ASMR I sont en hématologie et quasiment toutes les molécules ASMR II ce qui d’ailleurs se retrouvent en clinique où nous avons vu des améliorations de survie de plus de 20 % dans les lymphomes à grandes cellules B avec le rituximab, ou encore la transformation de la prise en charge de la LMC avec le glivec, sans compter le myélome dont le traitement a complètement évolué depuis 5 ans.
    L’impression qu’on a en hématologie (où en gros quand un traitement ne marche pas, ça se voit assez vite : décès du patient à moyenne ou courte échéance)que pour l’ASMR I, la prise en charge de la pathologie est complètement transformée, l’ASMR II apporte une avancée majeure, en revanche pour les ASMR III et IV (surtout IV), peu de différences sur le pronostic…

  2. L’avenir est certainement à l’utilisation d’anciennes molécules dans de nouvelles indications ou dosages dans des maladies où leur utilisation n’étaient pas évidentes.
    Si vous voulez un bon exemple je vous conseille de vous intéresser à l’utilisation de la vitamine C dans le CMT. C’est un bel exemple de recherche académique qui semble fournir une vraie réponse aux patients. Ca démarre avec la création d’un modèle animal pertinent dans les annés 90 ( http://hmg.oxfordjournals.org/cgi/content/full/5/5/563 ), son utilisation pour montrer l’efficacité de la vitamine C en 2004 ( http://www.nature.com/nm/journal/v10/n4/abs/nm1023.html ) et enfin les premiers essais chez l’homme publiés en 2009 ( http://www.thelancet.com/journals/laneur/article/PIIS1474-4422%2809%2970260-1/fulltext et http://www.thelancet.com/journals/laneur/article/PIIS1474-4422%2809%2970108-5/fulltext )
    Les deux essais améliorent cliniquement les patients mais pas les VCN. Il va bientôt y avoir les résultats d’un essai américain qui va trancher.
    En hémato, l’utilisation de la thalidomide est un bon exemple de recyclage de vieille drogue. Le velcade lui de l’intérêt de la recherche fondamentale sur des domaines non médicaux (penser que l’inhibition du protéasome allez fournir une réponse thérapeutique au myélome c’était pas gagné d’avance).
    Le modèle dominant des laboratoires montrent ses limites, malheureusement, ils sont engagés dans des logiques qui sont plus marketing qu’autres choses. Leur puissance de feu leur permet de bloquer l’innovation qui ne va pas dans le bon sens, celui du profit maximum et du système le plus fermé possible.
    Je ne crois pas que les crédits se concentrent sur les maladies orphelines malheureusement pour les patients atteints. Les laboratoires quand ils s’intéressent aux maladies orphelines c’est souvent qu’ils ont autres choses dans le pipeline. D’un coté regardez je fais dans le rare et de l’autre comme je suis gentil ma Xé molécule qui fait pas grand chose il va falloir la rembourser au bon prix de la recherche.
    Les labo sont des partenaires indispensables mais la philosophie actuelle est clairement trop mercantile. On approche de la fin d’un cycle, mais en attendant on presse le citron au maximum.

    1. Oui, je me suis mal exprimé, j’imagine que les maladies orphelines ne sont en effet pas leur principale priorité.
      Pour Pfizer: « Alzheimer’s Disease, Diabetes, Inflammation/Immunology, Oncology, Pain and Psychoses (Schizophrenia) »

    1. C’est mon copain depuis quelques mois!
      Au cours de l’émission de France Inter, il avait dit que mon exposé sur la presse subventionnée et le disease mongering était caricatural.
      😉

  3. Ah ce même LEEM qui d’un côté incite les gens à « faire le tour des pharmacies pour trouver la moins chère » (je cite M.Lajoux de mémoire) et de l’autre se gargarise sur le médicament qui « n’est pas un produit comme les autres ». Ah ah. Une vraie auto-caricature c’est pas si fréquent…

    BG

  4. il est très clair que l’envolée actuelle des papiers et réunions sur la Fa est induite par l’arrivée dudit mèdoc!
    pb pb les stratègies de controle du rythme semblent validées donc si vous voulez etre un martien en cardiologie affirmez haut et fort que vous choississez très souvent de ne pas essayer de régulariser vos patients…

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