La Disparition

Ça faisait longtemps que je voulais emmener mes deux ados à Auschwitz. Personne dans les deux familles n’a été déporté, mais ce qui s’y est passé fait partie de nous tous. J’avais finalement une notion de devoir de mémoire, mais, avant d’y être allé, cela restait assez théorique pour moi.

Et puis, j’ai croisé des oeuvres comme l’immense Shoah, La mort est mon métier, La liste de Schindler, dans une moindre mesure Le roi des Aulnes, et surtout Maus. Nous avions aussi regardé tout un tas de documentaires.

L’extermination en masse dans les camps de la mort ne m’était donc pas inconnue, ni d’un point de vue théorique, ni d’un point du vue viscéral, surtout après Shoah et Maus

Avant de partir à Cracovie, j’étais un peu inquiet de ce que la visite des camps de Auschwitz allaient nous faire, aux ados et moi. À ce jour, je ne sais toujours pas, nous ne l’avons pas encore évoqué.

En fait, j’ai été surpris de notre visite. Je ne m’attendais pas à cela. Je m’attendais à une visite émotionnellement difficile à supporter. Des moments ont en effet été difficiles, mais le côté un peu parc d’attraction de la visite a permis de prendre un peu de distance et de ne pas se retrouver seul devant l’horreur. Même avec les écouteurs, entourés de touristes et de guides, certains moments sont difficiles à supporter. La salle des cheveux de femmes, qui montre derrière une grande vitrine les 2 tonnes de cheveux retrouvés par les libérateurs soviétiques est terrible. Le guide nous a demandé de ne pas prendre de photos, par respect, mais je pense que cette consigne était inutile. Les monceaux d’objets personnels, lunettes, chaussures, brosses, blaireaux, ustensiles en émail, les photos anthropométriques des déportés, les cellules du sous-sol du bloc 11, et tant d’autres choses sont poignants, mais les cheveux, c’est au-delà de tout.

Visiter Auschwitz I et Auschwitz-Birkenau (Auschwitz II) nous a permis de toucher du doigt un moment terrible de l’histoire humaine commune et de nous rendre compte. Par exemple, je connaissais la rampe et le processus de sélection à l’entrée des convois pour l’avoir lu et vu dans des films des dizaines de fois. Mais je n’arrivais pas à me rendre compte de ce que c’était, et finalement, je ne connaissais rien. La visite m’a permis de toucher la rampe, et c’est poignant. Certains visiteurs touchaient les chambranles des portes des blocs, je l’ai fait aussi.

Je vous conseille de regarder ce web documentaire qui explique la solution finale par le prisme des deux extraordinaires albums de clichés (l’album d’un officier nazi et celui de Madame Lili Jacob) qui sont de rares témoignages photographiques de ce qui s’est passé. Il faut avoir Firefox pour accéder au site, que j’ai trouvé un peu fouillis, mais j’y ai retrouvé ce que j’avais vu. Je vous conseille aussi ce site qui se concentre sur l’album de Madame Lili Jacob.

Pour finir, le guide était vraiment remarquable de précision et de justesse. En nous quittant, ils nous a dit quelques mots: Il est important de venir voir les camps d’Auschwitz, car il y a de moins en moins de déportés qui peuvent encore témoigner. Dorénavant, nous pouvions le faire et ainsi prendre leur relais afin d’assurer le rôle de passeurs.

La charge est trop lourde, et je ne m’en sens pas digne. Voici quelques clichés qui reflètent ma visite. Allez-y, la visite est difficile, mais elle me paraît indispensable pour comprendre et ne pas oublier.

Je commence volontairement par cette image prise à Cracovie d’un panneau « Auschwitz Tours » (avec le pack mine de sel) qui m’a choqué et qui fait peur pour l’avenir du site. 

Le vieux quartier juif de Kazimierz. Bâtiments laissés en l’état et cafés branchouilles s’y côtoient.

Le parking du site de Auschwitz I, des milliers de touristes (dont nous).

L’entrée de Auschwitz I et l’alignement des blocks.

J’ai recherché ce qu’était devenu Monsieur Daniel Pinette. Il est arrivé à Auschwitz par le convoi 62 du 20/11/43 et il est décédé à Dachau le… 11/04/45. C’était un être humain.

 Une copie des minutes de la conférence de Wannsee, avec le tableau des objectifs. Un coin de ciel bleu au dessus.

Le couloir qui montre quelques centaines de photos anthropométriques (parmi des dizaines de milliers) de déportés est éprouvant. Regardez les dates d’arrivée et de décès.

Ce cliché, pris dans le fameux couloir montre parfaitement ce qu’est parfois une visite à Auschwitz.

Une chambrée avec les lits d’origine, et les fantômes qui nous entourent.

La chaussure rouge qui m’a fait penser à la robe rouge de la petite fille dans le film La liste de Schindler. Les valises sur lesquelles les déportés marquaient consciencieusement leurs noms pour pouvoir les récupérer après la douche. Monsieur Karel van Gelderen était musicien. Ce site regroupe quelques informations sur sa vie. L’histoire de sa famille s’est arrêtée à la Shoah. Monsieur Hermann Wetzler , né le 26/10/1881 est décédé fin octobre 1944.

Des boites de Zyclon B.

Le block 10, dans lequel s’est déroulé une partie des expériences réalisées par des médecins de Auschwitz sur des déportés. C’est à la suite de ces horreurs que le Code de Nuremberg a été rédigé en 1947.

Le block 11, autre enfer dans l’enfer. C’est ici, dans une cellule disciplinaire , qu’est mort le Père Maximilien Kolbe. C’est aussi dans ces sous-sols qu’a été testé pour la première fois le Zyclon B le 03/09/41.

Le lieu d’exécution de commandant du camp.

Le corps de garde de l’entrée de Auschwitz II (Auschwitz-Birkenau). L’image, connue entre toutes est tellement écrasante que j’ai été très surpris de voir le bâtiment, si petit, écrasé lui même par la taille du camp.

L’intérieur du Block de la mort, qui est un enfer dans l’enfer de Auschwitz-Birkenau. Pas par son emménagement qui est identique aux autre blocks, mais car les femmes, jugées initialement aptes pour le travail lors de la sélection initiale, qui y étaient conduites étaient vouées à la chambre à gaz ou à y mourrir de faim. 

Les rangées de baraques en pierre. Des baraques en bois, il ne reste que les cheminées.

Au bout de la voie ferrée, juste à côté des chambres à gaz/crématoires II et III.

Encore un autre enfer dans l’enfer, mais il y en a tant…

Pour finir, la rampe de sélection, simple espace de terre battue, mais c’est exactement ici que tout se jouait dans l’espoir et le soulagement des déportés d’être enfin arrivés quelque part après un terrible voyage dans les wagons à bestiaux. Derrière moi l’entrée des trains sous l’arche du corps de garde. À ma gauche, la « vie », l’entrée dans le camp après être passé à l’épouillage. Tout droit les chambres à gaz/crématorium II et III. À ma droite, les chambres à gaz/crématoriums IV et V.

Messieurs et Mesdames,
Nous savons que vous êtes très fatigués, que vous avez eu un voyage
très long et épuisant.
Aucune nourriture ni eau n’abondait.
Nous sommes désolés, mais ce n’est pas notre faute.
Maintenant, c’est du passé.
Nous allons vous mettre dans un camp.
Tous vivront dans des conditions normales.
Nous sommes désolés de devoir vous donner quelques mauvaises nouvelles. Vers le camp, où vous allez vivre et travailler, il y a environ 3 km et il se trouve qu’aujourd’hui nous n’avons pas de transport. Aussi nous vous demandons maintenant que :
Toutes les femmes, mères avec leurs enfants en dessous de 14 ans, tous les hommes malades ou handicapés se placent à gauche.
Le reste, capable de travailler, et donc capable de marcher jusqu’au camp, restera placé sur la droite du quai.


Source.

9 Replies to “La Disparition”

  1. Bonjour,
    Je te remercie d’avoir écrit ce billet.
    Je suis allé à Auschwitz à Pâques l’an passé. Je m’étais promis d’écrire un billet mais je n’ai pas pu. J’ai lu le billet de Martine Bronner qui m’a convaicu que je n’y arriverai pas.
    J’ai lu le livre d’Annette Wievorka (http://livre.fnac.com/a1594032/Annette-Wieviorka-Auschwitz) avant d’y aller et j’étais fou de rage. Je ne me suis pas calmé là-bas. Les staliniens français (certains étaient juifs) ont été dans les commentaires d’après guerre d’un négationnisme terrible à l’égard de l’extermination ne parlant que de la résistance communiste.
    Nous avions une guide formidable. Qui n’a rien éludé sur la responsabilité des Polonais.
    A Cracovie nous avons eu un guide pour le quartier juif (free tours) qui lui aussi a été fantastique.
    Il n’y a plus que quelques centaines de Juifs à Craco et ils étaient, je crois, 300 000 avant guerre.
    Je suis incapable de revoir Shoah. Je suis incapable de relire Le choix de Sophie. Pas plus que Si j’étais un homme. Et pourtant je suis allé à Auschwitz avec ma compagne et notre fils de 14 ans.
    Le pire de tout cela : cela a déjà eu lieu. Cela s’est repassé. Et cela recommencera.
    Amitiés.

    1. Oui, cela recommencera. A 68 balais, je reste toujours sans voix devant la cruauté et la barbarie dont l’ homme peut faire preuve. Oui, cela recommencera ; j’ ai beau mobiliser toutes mes ressources mentales pour me dire que non, l’ observation du quotidien m’ incline à penser que tu as raison. Hélas.
      Homo homini lupus.
      Merci à JMV pour ce très beau billet.

  2. merci de votre article, et surtout de la compassion qu’il montre envers les deportés
    je suis petite fille de deporte (pas revenue, bien sur) et surprise de voir à quel point et à quelle vitesse la memoire se dilue avec le temps….
    alors votre article me reconforte

  3. Surtout ne le prenez pas mal, c’est un partage d’expérience.
    Ma femme, mon petit dernier qui vit à Cracovie, et moi sommes allés à Auschwitz fin mars. Des films que vous citez je n’en n’ai vu aucun, je ne peux pas, « Nuit et Brouillard » m’a suffit.Quelle émotion après avoir vu la Pharmacie de l’Aigle, la fabrique Schindler et le pauvre petit pan de mur, vestige du ghetto de Cracovie, de ce retrouver devant cet espace immense où la mort a laissé son souvenir.

    Pour mes enfants, pour mes amis, lors de mon moindre voyage, j’essaie de faire de bonnes photos comme témoignage mais là mon appareil est resté au fond du sac. Il y a des livres qui montrent les lieux et faire de l’esthétisme dans un tel lieu d’horreur, je n’ai pas pu. Mais je n’ai rien dit à ces touristes qui faisaient des selfies devant le four crématoire ou posaient devant le wagon souvenir de l’époque.

    Vos photos sont dignes et respectueuses et je vous en remercie car j’ai envoyé cet article à mon entourage en leur disant voilà ce que j’ai vu.

  4. Bonjour Jean-Marie et merci de cet article. Une très grande partie de ma famille paternelle a disparu dans la shoah, et la plupart à Auschwitz. Plus jeune, je disais que je n’y irais jamais. Mais le temps a passé, j’ai moi-même des enfants, et la question de la transmisison me taraude. N’ayant reçu que le silence en transmission, et tous els acteurs directs ayant disparu, depuis 2 ans je me suis lancée dans un vaste projet de reconstitution de la composition et de l’histoire familiale, au sens large. Retrouver le parcorus individuel de tous ces disparus dont je ne soupçonnais même pas l’existence, qui ont été enfouis sous une chappe d’oubli. Figurez-vous que Damnielle Pinette fait partie de ma famille, même si c’est indirect. J’ai été surpruse de voir qu’il ets présent au musée d’Auschwitz! En tout cas, j’ai reconstitué au moins une partie de son histoire et celle de sa famille proche, surtout sa mère-courage qui a eu un parcours absolument incroyable! Je peux le partager si cela vous intéresse. Un jour, il va donc bien falloir que je finisse par aller à Auschwitz; je m’y résouds, ce sera le seul moyen de boucler la boucle… Peut-être avec mes enfants quand ils seront un peu plus grands…

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