J’ai été confronté récemment à un problème qui me paraît classique, mais qui semble poser des soucis à pas mal de professionnels de santé: la résistance au traitement AVK.
On m’a demandé de voir un patient avec un INR qui fut très labile et qui maintenant ne décolle pas des 1-1,5, malgré une augmentation de la posologie du traitement AVK. Le médecin traitant a, en dernier recours, remplacé le sempiternel Préviscan® par du Sintrom® sans succès. La clinique qui gère ce patient en HDJ pour une réadaptation neurologique demande mon avis.
Le problème n’est pas compliqué, mais il faut être systématique et tatillon.
Première cause: la « résistance » aux AVK peut être génétique, mais c’est rarissime. Pourtant, c’est la première étiologie à laquelle tout le monde pense.
Seconde cause très souvent évoquée, mais finalement assez rare: le patient ne prend pas son traitement. À la maison, je ne sais pas trop, mais en clinique/hôpital, c’est pas banal. En général, les patients prennent deux fois plutôt qu’une leur AVK de peur d’un accident trombo-embolique.
Troisième cause: les interactions médicamenteuses. On doit donc analyser consciencieusement l’ordonnance avec un LAP, en pensant bien à demander au patient si il ne prend pas d’autres médicaments (en auto-prescription, ou sur d’autres ordonnances…). Voici une liste non exhaustive:aminogluthémide, carbamazépine, cholestyramine, inducteurs enzymatiques (phénobarbital, primidone, rifampicine, griséofulvine, rifabutine), phénytoïne, sucralfate, millepertuis alcoolisme chronique, efavirenz, névirapine… J’ai aussi été confronté au cas d’une nutrition entérale.
Quatrième cause, de mon petit bout de lorgnette, celle qui explique la grande majorité des « résistances » ou des déséquilibres de l’INR, les apports alimentaires en vitamine K. Cet apport devient significatif delà de 250 μg de vitamine K par jour. Et on y arrive rapidement en cumulant les sources, et/ou les quantités.
Après avoir vérifié la prise des comprimés, les interactions, j’ai demandé à l’infirmière de faire une enquête alimentaire tatillonne. Elle a interrogé le patient, et surtout sa mère qui cuisine pour lui.
Et, le coupable était… la tomate!
Le patient mange des tomates en salade absolument tous les jours, ce qui est bien évidemment très agréable et très normal en été. La tomate n’apporte pas beaucoup de vitamine K, entre 1-10 μg pour 100 g, mais on la trouve dans beaucoup de préparations (les sauces…) et les gens s’en font souvent de grosses assiettées en salade avec du persil et un filet d’huile d’olive, juste avant les spaghettis bolognaises. Ça tombe bien, l’huile d’olive et le persil sont riches voire très riches en vitamine K…
Depuis qu’il a arrêté, son INR augmente tranquillement, sans saute d’humeur…
En été et dans le sud de la France, c’est la tomate et les « légumes du sud » qui sont le plus souvent coupables. J’ai même eu l’effet inverse paradoxal. Un patient parfaitement équilibré à Marseille se retrouve avec un INR à 8 en congés en Suisse. Pourquoi? Car, durant ses congés, il n’a plus mangé de tomates, concombres, aubergines…, mais de la charcuterie et de la salade de pommes de terre. Il s’est privé de son apport habituel en vitamine K, et son traitement AVK s’est donc retrouvé subitement être beaucoup trop efficace…
Moralité, en cas de « résistance » aux AVK, ou de déséquilibre, pensez interactions et surtout apports alimentaires. J’ai trouvé sur la toile cette fiche très sympa qui devrait vous aider à mener votre enquête alimentaire, qui doit être, je me répète, tatillonne.
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Pour en savoir plus:
Fiche AVK (ANSM 2008).
Résistance acquise aux AVK, un excellent article des pharmacologues d’Amiens.
Une mise au point sur la résistance aux AVK dans La lettre du Cardiologue.
Et si vous avez été trop efficaces, prise en charge des surdosages aux AVK (HAS 2008).