Surfaces et pressions.

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Sténose aortique rhumatismale. Source.

Au commencement, il n’y avait que le mode TM.

Ainsi pourrait commencer l’histoire de l’échographie cardiaque qui a eu une évolution stupéfiante depuis une quinzaine d’années. Je vais essayer de vous faire voir ce que l’on peut faire avec cette technologie évoluant sans cesse, et pourquoi, parfois, il faut le faire.

Il y a finalement peu de temps, c’était le cas quand j’ai commencé cardio en 1998, le critère principal de quantification d’une sténose aortique était le gradient moyen de pression régnant en systole de part et d’autre de la valve aortique. Si cette dernière s’ouvre mal, ce gradient augmente. Et, on avait fixé à 50 mm Hg l’indication opératoire. En dessous de 50, on n’opère pas, en dessus, on opère.

En échographie-doppler, cette mesure est en théorie simple à réaliser: on fait un tir en doppler continu dans l’axe de la valve, et on dessine l’enveloppe du flux obtenu. L’appareil effectue tous les calculs. En pratique, cela dépend de la conformation du patient…

On obtient ce genre de chose:

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Dans cet exemple, l’opérateur a dessiné les contours du flux aortique et l’appareil a craché deux données intéressantes. La première, le gradient moyen de pression qui est ici à 56 mm Hg (donc en théorie, il faut opérer ce patient de sa sténose aortique) et l’ITV (Intégrale Temps Vitesse) qui est ici à 118.8 cm. on verra que ce paramètre a de l’importance un peu plus loin. L’ITV correspond en gros à la distance moyenne parcourue par les globules rouges traversant une surface donnée, durant un temps donné (ici la surface valvulaire aortique, durant une systole ventriculaire).

Au fil du temps, l’utilisation de l’échographie s’est affinée, et ses améliorations techniques ont permis des calculs plus sophistiqués, à partir de mesures plus précises.

En utilisant l’équation de continuité, on s’est mis à vouloir calculer la surface de l’orifice aortique sténosé. Je ne vais pas rentrer dans les détails (qui me dépassent largement mes compétences), mais pour ce faire, il faut obtenir 3 paramètres: l’aire de la chambre de chasse, (A1) juste en dessous du plan de la valve, V1, et V2, les vitesses moyennes du flux sanguin qui traversent ces surfaces au cours d’un intervalle de temps dt.

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L’équation de continuité dit:

A1*V1=A2*V2

C’est A2 que l’on cherche à connaitre.

Donc A2= (A1*V1)/V2

On estime que A1 est un disque, donc A1= π*(d²/4), ou d est le diamètre de la chambre de chasse.

On utilise l’ITV comme approximation du paramètre V.

Lorsque l’on fait une quantification de surface aortique au doppler, on s’appuie donc sur cette formule:


Aire aortique= ((π*(d²/4))*ITVsous aortique)/ITVaortique.

L’appareil effectue automatiquement tous ces calculs, mais il reste qu’il faut mesurer 3 paramètres au lieu d’un seul, avec donc autant de risque d’erreurs. Pour essayer de pondérer ce risque, il faut effectuer chaque mesure plusieurs fois, classiquement 5 fois.

Mais ce calcul permet de s’affranchir en partie d’un problème jusqu’alors inextricable: les sténoses aortiques à faible gradient de pression. En effet, si la pompe cardiaque est usée, la pression développée va être basse, et même en cas de sténose aortique très serrée, ce fameux gradient de pression de 50 mm Hg peut très bien ne jamais être atteint.

Exemple récent.

Un patient de 80 et quelques années a une prothèse mécanique aortique depuis environ 20 ans. Il se sent très essoufflé, et a des œdèmes des membres inférieurs. Sa fonction ventriculaire gauche est un peu altérée. Un bilan cardiologique récent conclut pourtant au bon fonctionnement de la prothèse.

Le généraliste (le même que celui dont j’ai parlé ici) n’a pas trouvé cette réponse satisfaisante, il me l’a donc adressé pour un deuxième avis.

En doppler continu, j’obtiens cela:

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Le gradient est plutôt bas, à 20.28 mm Hg. Par contre, on voit des stries verticales qui signent des turbulences, or le flux devrait être laminaire. Pourtant, le confrère s’est contenté de cette mesure, et il a été rassuré par ce faible gradient. Prudence, donc. Il n’est pas dit qu’il n’y ait pas de sténose là dessous. on va donc faire une surface aortique. Ce tir permet néanmoins d’obtenir l’ITVaortique qui est ici à 64.73 cm.

D’abord le diamètre de la chambre de chasse:

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Ensuite, l’ITVsous aortique:

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Ici, l’ITVsous aortique est à 17.60.

La surface aortique est donc égale à (2.31*17.60)/64.73= 0.63 cm².

0.32 cm²/m² si on l’indexe à la surface corporelle, soit une sténose aortique très serrée.

CQFD, les signes cliniques présenté par ce patient sont dus à une dysfonction sévère de sa prothèse aortique mécanique.

Du moins, c’est ma conclusion.

Et comme je n’ai pas encore de confirmation, vous allez devoir me faire confiance 😉

Ce qui est beau dans cette petite histoire n’est pas que je pense avoir trouvé d’où vient le problème, mais la façon d’y arriver.

Comme vous l’avez bien compris, sous des dehors scientifiques et rationnels, le calcul de l’aire aortique est issue d’un processus où tout, absolument tout n’est qu’approximation.

Si on opérait ce patient et que l’on faisait une planimétrie de sa prothèse, il est bien évident que la surface retrouvée « scientifiquement » serait très différente de 0.63 cm² ! Et même si j’étais le meilleur échographiste du système solaire, ce serait la même chose.

C’est pourquoi le dialogue avec de « vrais » scientifiques se résume souvent à un dialogue de sourds (n’est-ce pas, Xavier!). Sous des dehors précis (des cm²/m² !), nos données biomédicales ne correspondent le plus souvent à rien, car elles reposent sur des montagnes d’approximation. Au lieu de cm²/m² comme unité, on aurait tout aussi bien pu prendre des « gloubiboulgas ». 0.63 cm²/m² ou 0.63 gloubiboulgas, aucune différence! Une décimale après la virgule, ou deux, ou cinq, ou dix aucune différence non plus! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse!

Alors pourquoi ça marche? Pourquoi chaque jour on opère des patients sur des données abstraites à force d’être approximatives? Et pourquoi, au fil du temps les médecins ont amélioré radicalement le pronostic de leurs patients?

Tout simplement, car on pondère ces données par des études de mortalité. C’est pourquoi on a décrété qu’en dessous d’une « surface » de 0.6 cm²/m² (ESC 2007 et ACC/AHA 2008), il fallait opérer.

Bien sûr, ces études sont elles-mêmes d’autres montagnes d’approximation, pondérées par des statistiques, elles-même approximatives…

Et pourtant ça marche!

Car la vie c’est cela, une immense approximation.



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Pour en savoir plus, cette présentation power-point très bien illustrée , et un cours sur les sténoses aortiques et leur quantification.

7 Replies to “Surfaces et pressions.”

  1. Au regret de ne pas adherer, les donner biomédicales correspondent a quelques choses de très precis. La question n’est pas quel precision veut-on mais quelle precision fait sens (et donc de quelle précisions ai-je besoin pour mon application).

    Les études statistiques permetttent de calculer les valeurs qui font sens (en caricaturant) sur une population.

    Ce que Xavier dit est pourquoi donner une valeur du genre 41.7843, si du fait de la precision seul 41 fait sens.

    Il existe des modèles mathématiques du coeur ou une oreillette est modelisée par une ellipse et en faite on constate par le calcul que cette precision n’est pas importante pour avoir des estimations utiles en clinique.
    D’autre part dans le cas des tumeurs solides on les modelises souvent dans un premier temps par un cylindre o une sphere et c’est souvent suffisant pour obtenir comme on dit en anglais meaningful datas. Et je ne pense qu’un oncologue est jamais vu une tumeur solide parfaitement cylindrique.

    La course au décimal ne veux rien dire. La question est de quelle precision a-t-on besoin. Et dans la cas dont tu parle on n’as pas besoin de dix chiffres apres la virgule. Et je suis a peu pres sur que si on prend 100 BON echographiste certe ils n’auront pas les memes valeurs mais la plupart d’entre eux seront dans des fourchettes de valeurs qui ameneront a la meme conclusion.

    PS: En general un interval de temps va etre un dt plutot qu’un delat T 🙂

  2. J’ai fait sauter le delta, dommage, je l’aimais bien!

    Je suis bien d’accord avec Xavier et toi sur les décimales inutiles, c’était juste histoire de le taquiner.

    L’histoire de la tumeur cylindrique fera partie de ton article? Je commence à trouver ça fascinant.

  3. Merci pour ce long exposé très didactique (qui est plus qu’une réponse à mes petits commentaires).

    Je comprends très bien que les données en médecine sont très difficiles à obtenir et souvent peu précises.

    Ce que je critique, ce sont les articles qui se demandent s’il y a une différence en 40 et 42blougiblougas à l’aide d’un test statistique élaboré alors même qu’ils ne discutent nul part de la précision.
    Le test est alors basé sur une HO (hypothèse nulle) « 42 différent de 40 » qui n’a pas de sens si l’on n’y ajoute pas les barres erreurs.
    Ca ne change souvent rien au résultat du papier. En effet, même si le test dit « coucou c’est différent »; les auteurs concluent souvent « moui mais ce n’est pas très significatif pour ce qu’on veut faire ».

    La question est donc : Pourquoi écrire des stats complexes et fausses dans certaines papiers si c’est pour laisser le bon sens conclure??
    La réponse est simple : Si on ne fait pas ces stats, le papier n’apparait pas comme sérieux. C’est triste.

    Pour résumer, je pense que certains auteurs tentent de masquer l’imprécision des données sous des stats complexes.
    C’est ce qui me fait râler. Des stats car vos données sont difficiles oui!!!…mais les bonnes stats de grâce! 🙂

    Une petite question : Quand vous effectuer une mesure délicate comme celle présentée, est ce que vous mentionnez dans le contre rendu à quel point elle a été délicate (et donc imprécise) pour *ce* patient donné? Est ce que les praticiens osent dire « 42 mais bof bof vu l’image obtenue je peux me planter de 50% facilement? » ou est ce que ça ne fait pas sérieux devant les confères?

    J’ai par exemple vu un article qui disait prouver que X réduisait la durée d’un épisode gripal de qlqs heures…le tout basés sur des seuils précis sur des paramètres bio.
    Le bon sens fait dire que c’est idiot. On se fiche qu’une grippe dure 15jours ou 15jours – 2H non? Pire, les 2H sont totalement dans le bruit….et pourtant ce papier existe! Et ce n’est pas le seul de ce style 😦 (l’astuce étant qu’ils écrivent tout en jours. il parle de 14.42jours).

    Au fait, je ne suis pas un «  » »vrai » » » scientifique du tout (je suis ingé).

    Bonnes fêtes 🙂
    Xavier
    ps:Au passage, pour un physicien, c’est très beau cet façon de visualiser un écoulement turbulant.

  4. Pour répondre à ta question, tout le monde sait que l’échographie cardiaque est très « opérateur dépendant ». Je me souviens de quelqu’un qui m’avait dit que la première chose qu’il vérifiait en lisant un compte-rendu était le nom du signataire!
    Bien sûr, dans tous les cas (étude et vie réelle), personne ne va dire « j’ai un doute »! Et ce, notamment car c’est implicite. En vasculaire, c’est encore bien pire car la formation est beaucoup plus « hétérogène ».

  5. Pour le calcul de ta surface chez ce patient, tu aurais pu utiliser le diamètre de la valve mécanique (pour peu que le malade le sache ou que « miracle » il ait sur lui la carte d’identité de la prothèse)

    tu prends dans ton exemple moins de 1,8cm ce qui est une valeur très basse, il y a peu de chance qu’un tel; patient ait une valve de si petit diamètre.

    si ila une valve de 2 cm (assez courante) ta surface (non indexée) passe à 0,9 !

  6. Le miracle n’a pas eu lieu, pas de carte d’identité de la prothèse disponible!
    Pour le diamètre de la chambre de chasse, je suis en effet probablement un peu en dessous de la vérité.
    Ce diamètre au carré est toujours l’écueil principal de cette technique…
    Mais à 0.9 non indexée, on obtient encore 0.4 en indexé (surface corporelle de 1.97).

  7. beau cas classique,ma première réflexion sur la qualité de la démarche clinique du généraliste :si la valve marche pourquoi le patient est il en insuffisance cardiaque globale? donc valide une fois de plus la nécessité de la remise en question technique d’une réponse cliniquement inadéquate,la technique propre ensuite a été validée sur des bancs hydrauliques ce qui explique une meilleure corrélation des mesures que celle annoncée ici ( depuis le début de la planimètrie mitrale jusqu’à l’histoire de l’évaluation prothétique)

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