De l’autre côté du miroir

L’excellent Daniel Carlat m’a fait découvrir une petite pépite, le blog Policy and Medicine.

C’est un blog qui défend une collaboration sans restriction entre industrie et médecins et qui place l’innovation au pinacle. Sa devise résume bien son engagement: « Supportive Innovation Through Collaboration ».

Les articles pas trop américano-centrés (par exemple sur la réforme de leur système de santé), ceux qui ont une portée un peu plus générale et sont donc accessibles aux lecteurs européens sont bien écrits et sont engagés. C’est à dire qu’ils ne sont pas pleins de phrases creuses qui ont l’air de vouloir dire quelque chose mais qui en fait ne veulent rien dire.

Autrement dit, ce blog a l’air tout, sauf institutionnel.

Évidemment, les idées véhiculées sont l’inverse exact des miennes. Pas grave, ce blog me plait bien. Je vous conseille par exemple la lecture de cette note qui revisite avec brio un papier des Archives of Internal Medicine.

Auteur: Christophe Moustier

Il faudrait que nous ayons un blog comme ça en France…

(Peut-être qu’il y en a un?)

Quelqu’un s’y colle?

Innovation et progrès

L’innovation en médecine n’est pas toujours synonyme de progrès thérapeutique.

Ce n’est pas une pensée révolutionnaire, mais j’ai trouvé un article intéressant dans le NYT. Le sujet en est une prothèse de hanche présentée comme révolutionnaire à sa sortie, mais qui s’avère poser des problèmes à l’usage.

J’ai noté les quelques passages suivants qui ont une portée bien plus générale:

IT is an American impulse to covet the new and improved — whether it’s a faster computer, a smarter cellphone or a more fuel-efficient car. And in medicine, too, new drugs, devices and procedures have advanced patient care. But the promise of innovation can also prove a trap, a situation now playing out with dire consequences for possibly tens of thousands of people who received artificial hips intended to let them remain active.

Je dirais plutôt que c’est un concept global et qu’à force de nous le répéter comme un mantra, les firmes ont fini par nous faire croire que l’équation innovation=progrès était une vérité universelle, que toute étude était une étude-pivot, que toute innovation était forcément décisive. C’est notre équivalent du Landmark study breakthrough des anglo-saxons.

Je l’ai déjà cité dix fois, mais ce passage du Quotidien du Médecin du 17/01/2008 me fait toujours autant rire, et illustre très bien le problème:

“Enfin, Christian Lajoux, président du Leem (Les Entreprises du médicament), interrogé par notre confrère « le Quotidien du Pharmacien », estime que l’attitude de « Que choisir » constitue «un rejet de l’innovation thérapeutique qui revient à considérer qu’il faut traiter les patients avec des médicaments d’occasion».”

Reprenons la lecture du NYT:

A review of the medical world’s embrace of the metal-on-metal hips over the past decade — including interviews with doctors, industry consultants, regulators, medical experts and patients — shows how innovation’s lure led almost everyone to seize on a product promoted as a breakthrough without convincing evidence that it was better or even as good as existing options.

“As a non-American, I don’t completely understand it, but there is a phenomenon in the U.S., the latest and the greatest,” said Dr. Henrik Malchau, who practiced as an orthopedic surgeon in Sweden before going to Massachusetts General Hospital in Boston. “There was a patient demand to get these implants on the misconception that the latest was the best.”

Several heavily promoted artificial spinal disks, claimed by their makers to be major innovations, proved no better than previous ones. After the blockbuster diabetes drug Avandia was linked to heart attacks, a federal study concluded that older drugs were safer and worked better for most patients. And a new heart device component from Medtronic started fracturing after it was implanted in more than 200,000 patients; at least 12 people died in connection with that product.

L’innovation est une condition nécessaire au progrès thérapeutique, pas une fin en soi. Toute innovation n’est pas un progrès.

Enfin, dans cet exemple, encore une fois, on retrouve un défaut d’évaluation initial de la balance risque/bénéfice.

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On s’associe?

Le marché de l’occasion se porte bien

Le marché de l’occasion se porte bien (2)

Les critères du progrès thérapeutique (Jean-Louis Montastruc)

Salade niçoise

Terrible l’histoire de cette pauvre jeune femme, désemparée, selon ses propres termes, qui pensait que l’enfant (garçon ou fille ?) qu’elle n’a pas encore avait déjà des difficultés scolaires.

Notre époque est tellement difficile que même ceux qui ne sont pas encore parents peuvent être persuadés que leurs enfants ont des difficultés scolaires.

Cette histoire est éclairante pour notre société.

Je suis très inquiet pour ma fille, une ado, qui a des difficultés en maths, matière qu’elle sèche régulièrement car elle ne supporte pas le prof.

Enfin, je suis impressionné par le matos de TF1 et de Nice Matin, le reportage s’est tourné et monté tout seul, comme un grand, sans intervention humaine.

On n’arrête pas le progrès…

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Ce qu’en disent les médias:

France Info

France 2

Le Point

LCI

Y a-t-il un pilote dans le bateau?

C’est quand même pas facile de barrer le navire de la pharmacovigilance…

Surtout quand le pilote passe brutalement d’une longue somnolence cannabique à une frénésie cocaïnique et qu’il se met à donner des grands coup de barre à tribord et à bâbord.

Prenons l’exemple de la pioglitazone dont l’AMM date de 2002. La Revue Prescrire signale dès 2007 un sur-risque de néoplasies vésicales. Ce n’est pas le tocsin puisque l’entrefilet se termine par un prudent « à suivre ». Le terme « souligné » de la première phrase est peut-être un peu fort dans ce communiqué, « signalé » aurait suffit. Mais la tentation de pérorer une nouvelle fois a dû être trop forte.

Le scandale du Médiator est passé par là. Maintenant, dans toute évaluation/réévaluation de médicament, même sans aucune parenté chimique avec le benfluorex, il faudra dater les faits en fonction de sa postériorité ou de son antériorité par rapport à décembre 2010. Je propose les abréviations AM (Anno Mediatori) et BM (Before Mediator). Mais vous allez voir que cette notion de temporalité est aussi très dépendante de la géographie.

Quatre ans après le bref article de Precrire, des signaux liant pioglitazone et néoplasies de la vessie commencent à ressortir publiquement dans Diabetes Care en avril 2011. Theheart.org en parle ici le 18 mai 2011.

Comme en France nous sommes en AM, l’Afssaps donne un grand coup de barre en retirant du marché la pioglitazone le 9 juin 2011.

Dans le reste du monde, non illuminé comme nous durant des années par la torche du progrès thérapeutique portée haut par les laboratoires Servier, les mesures prises sont sensiblement différentes.

Le 15/06/2011, la FDA publie une mise à jour de sa réévaluation en cours de la pioglitazone mais renforce les restrictions de prescriptions et engage les prescripteurs à la vigilance:

Additional Information for Healthcare Professionals

  • Do not use pioglitazone in patients with active bladder cancer.
  • Use pioglitazone with caution in patients with a prior history of bladder cancer. The benefits of glycemic control versus unknown risks for cancer recurrence with pioglitazone should be considered in patients with a prior history of bladder cancer.
  • Counsel patients to report any signs or symptoms of blood in the urine, urinary urgency, pain on urination, or back or abdominal pain, as these may be due to bladder cancer.
  • Encourage patients to read the Medication Guide they get with their pioglitazone medicine.
  • Report adverse events involving pioglitazone medicines to the FDA MedWatch program using the information in the « Contact Us » box at the bottom of this page.

Le communiqué cite aussi la décision française de façon très neutre:

FDA is also aware of a recent epidemiological study conducted in France which suggests an increased risk of bladder cancer with pioglitazone. Based on the results of this study, France has suspended the use of pioglitazone and Germany has recommended not to start pioglitazone in new patients.

Le 23/06/11, l’EMA réactualise à son tour sa position dans ce communiqué. Aucune recommandation pour les prescripteurs, la décision sera prise en juillet. Le texte est un rappel des données disponibles, notamment les fameux signaux déjà cités. Mais dans ce texte se cache aussi un petit croc-en-jambe pour les autorités sanitaires françaises:

The Committee considered that the French study strengthened the signal of a small increased risk of bladder cancer. However, the Committee found that the study had several methodological limitations, which limit the strength of evidence provided by these epidemiological data. These data will have to be evaluated in the context of the overall available data.

En langage moins diplomatique: Hé, les gars, relax, calmos sur la coke, il va falloir faire le deuil du Médiator et aller de l’avant. Si vous voulez on pourrait vous envoyer quelques bons psychiatres et surtout de bons statisticiens.

Si l’EMA décide en juillet de poursuivre la commercialisation de la pioglitazone, ce sera un énorme revers pour l’Afssaps. (ou pour l’EMA, à terme, si les craintes de l’Afssaps sont confirmées par le temps 😉 )

Pour le patient, je suis persuadé que nous avons pris la bonne décision. On ne pourra jamais assez remercier les laboratoires Servier de nous avoir permis de nous débarrasser de cette pioglitazone, entre autres.

Je crains néanmoins que nous nous ayons maintenant tendance à sur-réagir précipitamment en fonction des évènements et à raisonner plus guidés par le traumatisme lié à l’affaire du Médiator que par des preuves scientifiques tangibles et indiscutables.

Charybde, Scylla, chat échaudé craint l’eau froide, toujours la même histoire…

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