Lectures en cours…

Armstrong, tu es un… un trou du cul. « Mmmmmmm, fais-je, hochant la tête. Eh bien… » Cravates imprimées cashmere, costumes écossais, cours d’aérobic, j’ai des cassettes vidéo à rapporter, des épices à acheter chez Zabar, clochards, truffes au chocolat blanc… Les effluves écœurants de Drakkar Noir, le parfum que porte Christopher, flottent devant mon visage, mêlés à ceux de la confiture et du cilantro, des oignons et des piments. « Mmmm-mmm », fais-je de nouveau.

— Et pour ceux qui veulent des vacances actives, il y a l’escalade, les randonnées souterraines, la voile, le cheval, le rafting. Pour les joueurs, de nombreuses îles ont un casino…

L’espace d’une seconde, je me vois tirer un couteau et couper un poignet, un de mes poignets, pour présenter la veine jaillissante au visage d’Armstrong, ou mieux encore la diriger vers son costume, et je me demande s’il continuerait de parler. J’envisage la possibilité de me lever et de partir sans m’excuser, de prendre un taxi et de me rendre dans un autre restaurant, quelque part vers SoHo, ou peut-être encore plus loin, pour prendre un verre, faire un tour aux toilettes, même passer un coup de fil à Evelyn, éventuellement, avant de revenir au DuPlex, et chacune des molécules qui compose mon organisme me dit qu’Armstrong serait toujours en train de parler, non seulement de ses vacances, mais de ce qui semble être le lieu de vacances du monde entier : ses Bahamas à la con. Entre-temps, le serveur emporte nos hors-d’œuvre à demi terminés, apporte deux autres Coronas, du poulet d’élevage au vinaigre de framboise et à la sauce verte, du foie de veau aux poireaux et à la laitance d’alose, et je ne sais plus qui a commandé quoi, mais cela n’a pas une grande importance, car les deux plats sont parfaitement identiques. Je me retrouve avec le poulet d’élevage garni en plus d’un coulis de tomates naines, je crois.

American Psycho. Bret Easton Ellis.

Le docteur Talc alluma une Benson & Hedges tout en regardant par la fenêtre de son bureau du bâtiment des sciences sociales. De l’autre côté du campus baigné d’ombre il apercevait quelques lumières, celles des cours du soir qui avaient lieu dans d’autres bâtiments. Depuis le début de la soirée il avait mis son bureau sens dessus dessous dans l’espoir de retrouver ses notes sur les monarques légendaires de l’histoire d’Angleterre. Il les avait prises jadis à la hâte, pendant sa lecture d’une brève histoire de Grande-Bretagne en édition de poche. Il était censé donner une conférence le lendemain et il était déjà huit heures trente. Comme conférencier, le docteur Talc s’était taillé une réputation d’humoriste sarcastique dont les généralisations aisément assimilables faisaient, en particulier, le bonheur des étudiantes et aidaient à dissimuler son ignorance dans tous les domaines et, plus particulièrement, dans celui de l’histoire d’Angleterre.

Mais Talc lui-même se rendait bien compte qu’aucune pirouette, aucun mot d’esprit, ne pourrait pas le sauver cette fois, car du roi Arthur et du roi Lear il ne savait strictement rien, sinon que ce dernier avait eu des enfants. Posant sa cigarette dans le cendrier, il reprit ses recherches à partir du tiroir du bas. Tout au fond du tiroir, il y avait une pile de vieux papiers qu’il n’avait pas examinés de fond en comble lors de sa première fouille méthodique du bureau. Posant la pile sur ses genoux, il la feuilleta soigneusement et constata qu’elle était principalement constituée, comme il se l’était figuré tout à l’heure, de vieux devoirs qu’il n’avait jamais rendus aux élèves et qui s’étaient accumulés pendant plus de cinq ans. En retournant l’un des devoirs, il aperçut une feuille grossièrement arrachée à un cahier Big Chief qui commençait à jaunir et sur laquelle on avait tracé au crayon rouge, en caractères d’imprimerie, le message suivant :

Votre totale ignorance de ce que vous faites profession d’enseigner mérite la peine de mort. Vous ignorez probablement que Saint Cassian d’Imola mourut sous les coups de stylet de ses élèves. Sa mort, martyre parfaitement honorable, en a fait le saint patron des enseignants.

Implorez-le, stupide engeance, minable joueur de golf, snobinard des courts, lampeur de conquetèles, pseudo-cuistre, car vous avez effectivement grand besoin d’un patronage céleste. Vos jours sont comptés mais vous ne mourrez pas en martyr, car vous ne défendez nulle sainte cause – vous mourrez comme le fieffé imbécile, l’âne bâté que vous êtes.

ZORRO

On avait dessiné une épée sur la dernière ligne de la page.

– Je me demande ce qu’il a bien pu devenir, dit Talc à haute voix.

La conjuration des imbéciles. John Kennedy Toole

%d blogueurs aiment cette page :