C’est quand même pas facile de barrer le navire de la pharmacovigilance…
Surtout quand le pilote passe brutalement d’une longue somnolence cannabique à une frénésie cocaïnique et qu’il se met à donner des grands coup de barre à tribord et à bâbord.
Prenons l’exemple de la pioglitazone dont l’AMM date de 2002. La Revue Prescrire signale dès 2007 un sur-risque de néoplasies vésicales. Ce n’est pas le tocsin puisque l’entrefilet se termine par un prudent « à suivre ». Le terme « souligné » de la première phrase est peut-être un peu fort dans ce communiqué, « signalé » aurait suffit. Mais la tentation de pérorer une nouvelle fois a dû être trop forte.
Le scandale du Médiator est passé par là. Maintenant, dans toute évaluation/réévaluation de médicament, même sans aucune parenté chimique avec le benfluorex, il faudra dater les faits en fonction de sa postériorité ou de son antériorité par rapport à décembre 2010. Je propose les abréviations AM (Anno Mediatori) et BM (Before Mediator). Mais vous allez voir que cette notion de temporalité est aussi très dépendante de la géographie.
Quatre ans après le bref article de Precrire, des signaux liant pioglitazone et néoplasies de la vessie commencent à ressortir publiquement dans Diabetes Care en avril 2011. Theheart.org en parle ici le 18 mai 2011.
Comme en France nous sommes en AM, l’Afssaps donne un grand coup de barre en retirant du marché la pioglitazone le 9 juin 2011.
Dans le reste du monde, non illuminé comme nous durant des années par la torche du progrès thérapeutique portée haut par les laboratoires Servier, les mesures prises sont sensiblement différentes.
Le 15/06/2011, la FDA publie une mise à jour de sa réévaluation en cours de la pioglitazone mais renforce les restrictions de prescriptions et engage les prescripteurs à la vigilance:
Additional Information for Healthcare Professionals
- Do not use pioglitazone in patients with active bladder cancer.
- Use pioglitazone with caution in patients with a prior history of bladder cancer. The benefits of glycemic control versus unknown risks for cancer recurrence with pioglitazone should be considered in patients with a prior history of bladder cancer.
- Counsel patients to report any signs or symptoms of blood in the urine, urinary urgency, pain on urination, or back or abdominal pain, as these may be due to bladder cancer.
- Encourage patients to read the Medication Guide they get with their pioglitazone medicine.
- Report adverse events involving pioglitazone medicines to the FDA MedWatch program using the information in the « Contact Us » box at the bottom of this page.
Le communiqué cite aussi la décision française de façon très neutre:
FDA is also aware of a recent epidemiological study conducted in France which suggests an increased risk of bladder cancer with pioglitazone. Based on the results of this study, France has suspended the use of pioglitazone and Germany has recommended not to start pioglitazone in new patients.
Le 23/06/11, l’EMA réactualise à son tour sa position dans ce communiqué. Aucune recommandation pour les prescripteurs, la décision sera prise en juillet. Le texte est un rappel des données disponibles, notamment les fameux signaux déjà cités. Mais dans ce texte se cache aussi un petit croc-en-jambe pour les autorités sanitaires françaises:
The Committee considered that the French study strengthened the signal of a small increased risk of bladder cancer. However, the Committee found that the study had several methodological limitations, which limit the strength of evidence provided by these epidemiological data. These data will have to be evaluated in the context of the overall available data.
En langage moins diplomatique: Hé, les gars, relax, calmos sur la coke, il va falloir faire le deuil du Médiator et aller de l’avant. Si vous voulez on pourrait vous envoyer quelques bons psychiatres et surtout de bons statisticiens.
Si l’EMA décide en juillet de poursuivre la commercialisation de la pioglitazone, ce sera un énorme revers pour l’Afssaps. (ou pour l’EMA, à terme, si les craintes de l’Afssaps sont confirmées par le temps 😉 )
Pour le patient, je suis persuadé que nous avons pris la bonne décision. On ne pourra jamais assez remercier les laboratoires Servier de nous avoir permis de nous débarrasser de cette pioglitazone, entre autres.
Je crains néanmoins que nous nous ayons maintenant tendance à sur-réagir précipitamment en fonction des évènements et à raisonner plus guidés par le traumatisme lié à l’affaire du Médiator que par des preuves scientifiques tangibles et indiscutables.
Charybde, Scylla, chat échaudé craint l’eau froide, toujours la même histoire…
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