Déontovigilance

« Un Falconeri doit être avec nous, pour le Roi ». Les yeux recommencèrent à sourire. « Pour le Roi, certes, mais pour quel Roi ? ». Le jeune homme eut une de ses crises de sérieux qui le rendaient impénétrable et si cher. « Si nous ne sommes pas là nous non plus, ils vont nous arranger la république. Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change. Est-ce clair ? ». Il embrassa son oncle un peu ému. « Au revoir, à bientôt. Je reviendrai avec le tricolore. ».

Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Le Guépard. Traduction Jean-Paul Manganaro

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Le LEEM va se doter d’un comité de « déontovigilance ».

C’est l’information majeure de la journée dans le domaine de la santé, car, sachez-le, rien ne sera plus comme avant.

J’applaudis des deux mains (pas facile de faire autrement, vous me direz), c’est tellement beau que j’ai encore un peu de mal à y croire, un peu comme le possible retrait du Vastarel® que je ne pensais jamais voir de mon vivant.

Le terme déontovigilance n’existait pas jusqu’à présent. On ne le trouve nulle part ailleurs que sur les pages de Google qui référencent les pages parlant de la création de ce comité. Rien dans le Larousse ou dans le Robert. (Pour le coup, il va apparaître aussi dans Grange Blanche, mais qui est loin d’être une référence)

Pourquoi l’homme éprouve le besoin de créer un nouveau mot?

Et bien, je présume, le plus souvent, pour nommer quelque chose, un objet, un concept qui n’existait pas encore, et qu’il faut bien nommer.

Est-ce à dire que le LEEM ignore le terme déontologie? Je ne le pense pas, ils ont bien dû le rencontrer dans des livres, sur la toile, l’entendre prononcer au cours de discussions à la table de restaurant d’à côté, à la télévision…

Le terme déontovigilance implique un sens supplémentaire mais parfaitement superfétatoire au mot déontologie. Il tend à faire croire à l’auditeur ou au lecteur que celui qui le prononce ou l’écrit est vigilant sur la déontologie. C’est bien, très bien, même, mais est-ce si nécessaire de rajouter ce sens qui va sans dire à une attitude bien définie et qui devrait être parfaitement naturelle? Imaginez-vous quelqu’un qui vous dit qu’il est honnête. Si il vous disait qu’il est honnêtovigilant, est-ce que ça n’éveillerait pas un peu votre suspicion, en plus d’être parfaitement ridicule?

Si on est déontologique, et que l’on se comporte comme tel, nul besoin d’être en plus vigilant sur ce point. Un comité de déontologie chargé de surveiller et si besoin de sanctionner les manquements est par définition vigilant. Une Cour de Justice est par définition justiciovigilante.

Je suis déontologique. Et attention, je suis vi-gi-lant!

En général, ces termes emphatiques de la novlangue technocratique montrent plutôt que ceux qui en usent maîtrisent mal le concept ou pensent qu’il est tellement dévalué qu’il faut le mettre en exergue en inventant de nouveaux mots. Vous vous rappelez de la lessive qui lave plus blanc que blanc?

Donnons au LEEM le bénéfice du doute. Le syndicat a probablement confié le vaste chantier de restaurer la confiance des patients et des médecins dans les entreprises du médicaments à une boite de communication n’ayant qu’une vague idée de ce qu’est la déontologie en santé et qui a donc créé ce nouveau mot. Pendant qu’ils y étaient, ils auraient pu former un nouveau mot encore plus dans l’air du temps et au cœur de l’évolution sociétale (on retrouvera ce mot un peu plus loin), par exemple déontovigilantotrisélectif.

Cette instance sera inscrite dans les statuts du Leem, et constituée majoritairement de personnalités n’appartenant pas à l’industrie.

Première réaction d’une mauvaise langue comme la mienne: ah bon, ils ont trouvé personne en interne? Mais ce ne doit pas être cela. Toujours dans l’idée de restaurer la confiance, il ne leur paraît décemment pas praticable de confier un tel comité au sérail. Il faut donc demander à des intervenants extérieurs indépendants d’apporter une caution morale au machin (au sens gaullien du terme).

Investie d’une mission de veille déontologique et d’un véritable pouvoir de sanction, elle aura pour objectif de promouvoir et de faire respecter les règles et les comportements éthiques de la profession.

J’adore le mot véritable.

J’te jure, M’sieur, c’est la vraie vérité véritable! Ça fait rédacteur qui sait que le lecteur sera dubitatif.

Nous exerçons dans un environnement de plus en plus complexe, avec une évolution constante des connaissances, des règles, mais aussi des attentes de la société, explique Christian Lajoux, Président du Leem. Notre responsabilité, en tant qu’organisation professionnelle, consiste à permettre à notre industrie de répondre à cette évolution par des comportements responsables. En nous dotant d’une instance interne qui sera force de proposition et d’alerte, avec des moyens et une capacité de sanction, nous contribuons au lien de confiance entre les Français et les entreprises du médicament. En réaffirmant notre mission de santé avec le souci de répondre aux interrogations de la société, le Codeem participe de la volonté d’ouverture du secteur et de son souci de transparence ».

Ronron non informatif qui incite peu aux commentaires. Le Président du LEEM aurait quand même pu dire qu’il est positif que la société aspire à plus de déontologie de la part de l’industrie pharmaceutique. Il a dû oublier.

Ses recommandations et avis se fonderont sur les « Dispositions déontologiques professionnelles », principes adoptés par le Conseil d’Administration du Leem, qui seront soumis à l’Assemblée Générale du 8 juin prochain.

D’accord, en fait, c’est le LEEM qui va définir les règles de déontologie… Ouf, j’ai presque eu peur pour l’industrie!

Le Codeem aura, de plus, un rôle de médiation en cas de litige portant sur des questions de déontologie et un pouvoir de sanction en cas de non-respect des règles déontologiques, allant de la simple mise en garde à la proposition de radiation du Leem.

J’imagine assez mal un syndicat mettre à la porte un de ses adhérent qui assure son financement, encore moins le Président du LEEM exclure Sanofi-France dont il est aussi le président. Au bout de 3 mises en garde, 1 blâme, au bout de 3 blâmes, les Gros Yeux!

Une nouvelle avancée en phase avec la politique de responsabilité sociétale du Leem

Le Codeem comprendra deux instances, composées majoritairement de personnalités extérieures au secteur : une « Commission de déontologie » et une « Commission des litiges et sanctions ».

La Commission de déontologie veillera à la mise en œuvre, à l’évolution et au respect des règles relatives aux pratiques déontologiques de la profession. Elle comptera neuf membres :

  • Trois personnalités qualifiées dans les domaines scientifique, juridique ou déontologique ;

  • Trois représentants des parties prenantes (associations de patients, professions de santé) ;

  • Trois représentants des industriels.

Sociétal, mot qui compte triple dans le jargon technocratique.

J’ai hâte de voir la déclaration d’intérêt des 6 membres ne représentant pas les industriels. Je subodore qu’ils ne feront ni partie de la rédaction de La Revue Prescrire, ni du Formindep ni de l’Assurance Maladie, ni des agences de régulation… Je vois plutôt un membre d’une quelconque société savante d’hypertensiologie ( exemple pris totalement au hasard)

Les futurs membres du Codeem seront nommés par le Conseil d’Administration du Leem pour un mandat de trois ans, renouvelable. Ils ne pourront être révoqués. Afin d’assurer l’impartialité de ses décisions, le Codeem fera obligation à ses membres de produire une déclaration d’intérêts.

Ah, ils en ont parlé, très bien. J’espère aussi que les représentants des associations de patients penseront à rendre publics les comptes de leurs associations respectives. Cela va sans dire, mais c’est mieux en le disant.

Le Codeem pourra être saisi par les instances du Leem, par une entreprise adhérente, ainsi que par des personnes morales (ordres professionnels, autorités sanitaires ou de régulation, organisations professionnelles…). Il pourra également s’autosaisir.

C’est à dire ni par un patient, ni par un médecin, ni par Prescrire, ni par une association comme le Formindep. Ouf, là aussi, j’ai failli avoir peur pour l’industrie pharmaceutique… On me glisse dans l’oreillette que Cardiologie Pratique et Impact Médecine auraient un droit de saisine. Mouhahahahaha, je plaisante! Ceux qui pourront saisir ce machin ne seront pas les fameux lanceurs d’alerte. Brillante idée de mettre en haut de la tour un guetteur aveugle et presbyacousique.

Envisagée dès le début de l’année 2010 dans le cadre du projet stratégique du Leem, la création du Codeem sera soumise à l’approbation de l’Assemblée Générale de l’organisation professionnelle, le 8 juin prochain. Son installation effective, une fois ses membres désignés, devrait intervenir à la rentrée de septembre

Cette information qui n’apporte rien sert simplement à dire que ce n’est pas le scandale du Médiator® qui a poussé le LEEM à créer un tel machin, mais un désir éperdu et longtemps refoulé de déontologie et de transparence.

A propos de transparence, je présume que chaque réunion de ce comité donnera lieu à un verbatim.

J’ai vraiment hâte de voir ce formidable instrument de déontovigilance en action!

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Modifications 31/05/11: ajout de la référence tirée du Guépard, quelques modifications stylistiques, correction des fautes…

9 Replies to “Déontovigilance”

  1. Super note. Si je comprends bien les passages en italiques, beaucoup de bla bla pour ne rien dire et surtout ne rien changer. Autrement dit, créer un nuage de fumer pour cacher la vérité.

    Merci pour votre blog hyper intéressante et varié.

    Bonne journée

  2. Le retrait du Vastarel ? on croit rêver…
    ça va faire un drame chez les ORL et les oftalmo…!!!
    quand ça a été prescrit par un oftalmo, pas question de l’arrêter sous peine de se faire accuser par le patient de lui faire risquer la cécité à long terme (j’ai essayé la lettre au dit oftalmo… jamais eu de réponse)
    quand c’est une prescription ORLesque c’est dur mais ça se négocie .
    La déontoviglilance c’est parcequ’ils veulent éviter de faire de la pharmacovigilance???

    1. @ kyra
      nos comm se sont croisés semble t’il
      le vastarel soigne surtout l’angoisse de l’oph et de son patient
      pas de pb pour l’arrêter j’ai comparé les dires du Vidal 2010 et 2011(j’ai joué au jeu des 7 erreurs » en 2010 le vastarel avait 3 lignes d’effects indésirables en 2011 une trentaine de lignes .

  3. me suis pris un peu de temps pour lire et relire ce billet .
    ces textes en italique sont drôles mais consternants.
    Pour ce qui est du vastarel je ne sais pas si c’est à vous que j’ai laissé un comm là dessus : il se trouve que nous l’utilision en oph pour les glaucomes agoniques ou pour les glaucomes à pression normale, sans trop y croire je l’avoue.
    j’ai donc eu plusieurs appels angoissés de patients à ce sujet : par quoi le remplacer ?
    (sans y croire plus, dans certains cas, nous remplaçons par tanakan, souvent sous la pression conjuguée de notre angoisse et de celle du malade )
    il semble que seul le vastarel 35 ait disparu des pharmacies je viens de voir une dame qui continuait son vastarel 20. je ne vous raconte pas le temps passé à expliquer !

  4. J’en connais un qui a l’air de s’être bien amusé en écrivant ce billet… 🙂
    Même si, comme le dit Zigmund, le fond est assez consternant.

    En tout cas, merci ! J’ai beaucoup ri en lisant cette analyse incisive de « l’information essentielle de la journée ». Ça m’a bien détendu au sortir de cette journée d’épreuves (en dehors de l’ACR du jour, peu de cardio dans le cru 2011… demain peut-être…)

    Déontovigilamment vôtre.

  5. Oui je vois bien un hypertensiologue à la tête de la déontovigilance pour se plaindre auprès des ministres successifs que la trithérapie antihypertensive révolutionnaire n’est pas remboursée !!! Ce n’est vraiment pas éthique de refuser cette exxxxxxxtraaaaaaaaaaaaordinaire innovation thérapeutique ! Les actionnaires font de grosses montées de tension, ha non ce n’est vraiment pas éthique! Vive la déontovigilance!
    Pour la VASTAREL la commission d’AMM s’était posée la question du report de prescription… sur quoi?
    Par quoi peut-on remplacer un produit qui n’a aucune efficacité et des effets secondaires? Rien pour commencer, ça peut être pas mal… ensuite peut-être un verre d’eau si on a peur de la page blanche…
    Un produit qui n’a aucun efficacité et des effets secondaires, n’est-ce par un poison?

    1. je me sépare sans pb du vastarel et tant pis pour mes angoisses perso
      la différence avec le médiatot est que le vastarel était jusque là supposé plus inefficace que nocif
      c’est le vidal 2011 qui m’a alerté apres le retrait du marché
      mm angoissé par des glaucomes agoniques qui évoluent vers la cécité avec une pio normalisée, je l’ai assez peu prescrit (une dizaine de patients )
      ça va juste être « chaud » d’expliquer au malade qu’un verre d’eau est aussi efficace mais çà doit pouvoir se gérer
      bon je suppose que le tanakan j’oublie aussi 🙂
      aucun conflit d’intéret of course

  6. Un concept tellement révolutionnaire qu’il serait dommage qu’il reste confiné au seul domaine de l’industrie pharmaceutique. Il nous faut vraiment une déontolovigilance pour tout le monde médical, ainsi que pour la politique, le journalisme, les avocats, les scientifiques, les fonctionnaires…

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