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Ma première e-patiente
Je suis allé la voir presque par politesse, elle n’avait pas particulièrement besoin de mes services.
C’est une gentille petite dame, environ 65 ans, une « vieille mitrale ». La dénomination n’est pas très jolie mais je ne connais aucun cardiologue qui ne porte pas en son cœur ces patient(e)s dont la vie a été hachée, au sens propre comme au sens figuré, par le RAA.
Nous papotons donc, et en venons rapidement à parler de l’anticoagulation, des anti-vitamines K et de leur surveillance régulière par INR.
Elle est calée dur le sujet, il faut dire qu’elle doit se faire faire 1 INR par semaine depuis 20-30 ans…
Avec les yeux pétillants, elle me raconte aussi l’infidélité faite à son cardiologue traitant.
Depuis quelques mois, elle s’est acheté un appareil d’automesure d’INR. Elle se fait ses INR, 1 fois par semaine, ou plus quand elle a « un doute ». Bien sûr, pour que son cardiologue ne se rende pas compte de sa double vie, elle continue à se faire faire son INR mensuel au laboratoire d’analyses médicales (malins, les patients…). Ceux-ci et les siens sont parfaitement concordants. Tout est à sa charge, la sécu ne rembourse ni les bandelettes, ni les lancettes, ni bien sûr l’appareil.
Bon, je trouve l’utilisation qu’elle fait de cette automesure assez irrationnelle. Ses « doutes » ne correspondent en effet à rien de bien objectif. En définitive, elle a fait cette démarche pour se rassurer, par crainte des accidents hémorragiques.
Cette utilisation peu optimale est due au fait qu’elle n’a jamais parlé de sa démarche à quiconque, ni à son généraliste, ni à son cardio. Je lui ai demandé en souriant si elle n’avait pas peur que je la dénonce à ce dernier. Elle a fait un joli mot/lapsus en disant que le secret de la confession était sacré.
Je viens de vous exposer la limite de sa démarche qui n’a jamais été optimisée, sans même parler d’être visée, par un professionnel de santé. Ce sera ma seule critique.
Car j’ai admiré l’ensemble de sa démarche et sa quête de l’appareil idéal sur internet.
Elle m’a cité son point de départ, la métaanalyse du Lancet en donnant même correctement les OR pour la diminution des hémorragies majeures (!!). Elle a vite trouvé que la technique est surtout développée en Allemagne. Elle a donc ciblé son appareil sur un site marchand germanique en se faisant traduire les textes par l’ami prof d’allemand d’un membre de sa famille. Elle a comparé les prix, lu les critiques et commandé son appareil.
Je lui ai donné quelques conseils, et une excellente référence sur le sujet, le site d’Agnès Pelladeau, AVK Control (j’en avais déjà parlé ici). La HAS a par ailleurs publié en 2009 une très bonne synthèse sur le sujet.
Il ne faudrait pas que les patients aient peur de nous parler de leur quête d’indépendance. Car c’est finalement de cela qu’il s’agit. Certains patients veulent chercher des informations, voire des prises en charge, par eux-même, sans passer par leurs professionnels de santé. Parfois, nous nous conduisons a contrario en parents sur-protecteurs en interdisant à nos patients d’aller explorer le vaste monde par eux-mêmes, ou, ce qui revient au même, en leur faisant peur. Et eux se conduisent en gamins qui ont fait l’école buissonnière ou une connerie et n’osent pas le dire. J’emploie cette analogie parents/médecins et enfants/patients à dessein car bien que je m’y sois toujours opposé, c’est exactement ça. Et chacun joue parfaitement son rôle, même à son corps défendant…
Finalement, la santé 2.0, le e-patient et toutes ces nouveautés qui font les choux gras des organisateurs de congrès et des administrateurs de sites santé ne sont que la transposition d’un schéma ultra-classique.
Reste que le problème est quotidien et d’autant plus insoluble qu’il est atavique.
Nous devons conseiller nos patients, pas leur ordonner, leur montrer les pièges, pas les faire disparaître, leur donner des outils, pas les produits finis, voire, niveau supérieur, les responsabiliser en stimulant leur désir d’indépendance.