Catch Me If You Can
Le blog d'un cardiologue.
Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?
C’est le père avec son enfant.
Il porte l’enfant dans ses bras,
Il le tient ferme, il le réchauffe.
« Mon fils, pourquoi cette peur, pourquoi te cacher ainsi le visage ?
Père, ne vois-tu pas le roi des Aulnes,
Le roi des Aulnes, avec sa couronne et ses longs cheveux ?
— Mon fils, c’est un brouillard qui traîne.
— Viens, cher enfant, viens avec moi !
Nous jouerons ensemble à de si jolis jeux !
Maintes fleurs émaillées brillent sur la rive ;
Ma mère a maintes robes d’or.
— Mon père, mon père, et tu n’entends pas
Ce que le roi des Aulnes doucement me promet ?
— Sois tranquille, reste tranquille, mon enfant :
C’est le vent qui murmure dans les feuilles sèches.
— Gentil enfant, veux-tu me suivre ?
Mes filles auront grand soin de toi ;
Mes filles mènent la danse nocturne.
Elles te berceront, elles t’endormiront, à leur danse, à leur chant.
— Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là-bas
Les filles du roi des aulnes à cette place sombre ?
— Mon fils, mon fils, je le vois bien :
Ce sont les vieux saules qui paraissent grisâtres.
— Je t’aime, ta beauté me charme,
Et, si tu ne veux pas céder, j’userai de violence.
— Mon père, mon père, voilà qu’il me saisit !
Le roi des aulnes m’a fait mal ! »
Le père frémit, il presse son cheval,
Il tient dans ses bras l’enfant qui gémit ;
Il arrive à sa maison avec peine, avec angoisse :
L’enfant dans ses bras était mort.
…
Chaque fois que je lis ce poème, je pense urgences pédiatriques. Souvenirs d’un papa qui a emmené dans ses bras un soir au pavillon S un bonhomme avec un purpura fulminans. Heureusement le petit s’en est sorti. J’étais externe et je m’en souviens encore.
J’ai failli tomber de très haut, tout mon système de référence aurait pu s’écrouler à cause de cette lettre aux professionnels de santé envoyée récemment par l’Afssaps à la suite des résultats intermédiaires de ALTITUDE.
Tenez-vous bien, l’aliskiren (Rasilez®) pourrait être dangereux chez certains patients, les diabétiques qui reçoivent déjà un IEC ou un ARA2 en majorant par rapport au placebo les risques suivants:
Bon, je n’en ai jamais prescrit à mes patients, je n’ai donc pas eu à contacter l’un d’eux.
Pourtant j’aurais pu y croire.
Les prescripteurs ne pouvaient en effet qu’y croire:
Vous allez me dire que c’est facile d’être ironique a posteriori, alors que de nouvelles données sont disponibles. C’est très vrai. Mais n’est-ce pas le rôle des experts d’être prudents dans leurs jugements, voire d’essayer de prévoir l’avenir d’un nouveau médicament, afin d’éclairer leurs confrères moins clairvoyants? Sinon à quoi bon être expert si on se contente de recopier texto les conclusions des études sans les critiquer? N’importe qui peut le faire.
Par ailleurs, ça fait pas mal de temps que je m’amuse à tailler les oreilles en pointe de l’aliskiren.
Sur le papier, l’aliskiren a pourtant des propriétés pharmacologiques époustouflantes. Vous nous rendez compte, c’est le premier inhibiteur de la rénine, ce n’est pas rien! C’est une vraie innovation thérapeutique, comme le LEEM les aime tant.
Et ça agit de façon quasi miraculeuse sur des tas de paramètres intermédiaires, par exemple sur le ratio albuminurie/créatinine qu’il diminue de 20% (p<0.001) dans AVOID.
Impressionnant, non? 20%!
Heureusement, j’ai bêtement appris à un DU qu’il fallait se méfier des critères intermédiaires et privilégier des critères cliniques pertinents:
Tout d’abord, il est nécessaire de réinsister sur le fait qu’un critère intermédiaire, même fortement lié avec les mécanismes physiopathologiques de la maladie et les mécanismes d’action du traitement n’est pas forcément un critère de substitution. La notion de facteur de substitution reste assez conceptuelle, car, en particulier un critère de substitution ne prendra jamais en compte les effets délétères spécifiques des molécules à venir (cf. exemple du fluorure de sodium). Seul un essai sur critère clinique vérifie que les éventuels effets délétères d’un nouveau traitement ne contrebalancent pas le bénéfice découlant du résultat obtenu sur le critère de substitution.
Mais c’est un petit DU de province.
A Paris, dans un centre d’excellence, dans les trois dernières diapos de cette Lecture critique des grands essais sur l’HTA, on nous dit même un peu l’inverse:
Les résultats des essais de morbi-mortalité ne devraient pas être le seul critère permettant de différencier les médicaments antihypertenseurs.
Déstabilisant, non?
En fait non.
Il suffit de se rappeler de deux ou trois choses pour ne pas être déstabilisé et essayer de prescrire ce qu’il y a de mieux à ses patients:
Primum, non nocere. Donc rester prudent sur les effets secondaires possibles des innovations thérapeutiques, qui par définition ne sont pas tous connus au lancement de ces dernières. Ne prescrire « rapidement » après l’obtention de l’AMM qu’en cas de vraie avancée pour le patient (aucun intérêt de se jeter comme un mort de faim sur le 317ième traitement anti HTA). En général, ne pas prescrire de médicaments qui n’ont pas démontré leur intérêt sur des critères cliniques pertinents.
Toujours de faire sa propre opinion à partir de sources indépendantes. Il y en a peu, mais il y en a (par exemple la Revue Prescrire)
Ceux qui suivent ce blog doivent penser que je radote, ça fait en effet des années que je raconte toujours les mêmes choses.
Mais très régulièrement, une nouvelle innovation thérapeutique et surtout les sirènes commerciales qui l’entourent, montrent que l’industrie utilise inlassablement les mêmes ficelles pour nous faire prescrire des molécules qui au final sont susceptibles d’être inefficaces, voire nocives.
Peut-être que l’aliskiren n’est nocif que sur une population de patients, celle de ALTITUDE, mais cela ne me donne pas du tout envie de le prescrire au reste des hypertendus alors qu’il existe des alternatives, qui elles, ont montré une diminution de la morbi-mortalité.
Attention, d’un point de vue plus général, toutes les nouveautés ne sont pas à jeter à la poubelle, loin de là. Il faut se garder de tomber d’un excès à l’autre. Par définition, toutes les molécules que nous utilisons, j’espère à raison, ont été des nouveautés!
Mais il est de la responsabilité de chaque médecin d’essayer de trier le bon grain de l’ivraie afin de prescrire en conscience le traitement le plus adapté à ses patients.