J’aime beaucoup ce texte écrit par l’ami Perruche en automne, car suscité par une de mes notes, il m’a rappelé en retour des tas de souvenirs.
Ma mère était, Dieu merci, elle « est » toujours, elle était donc sage-femme mais exerçait comme infirmière à domicile en milieu rural.
Elle faisait des journées folles, son record, 60 visites à domicile, parfois contre vents et congères. Je la voyais peu, je l’accompagnais donc le plus souvent possible.
Elle faisait l’objet d’un quasi culte du cargo parmi ses patients.
Ma mère est très « Madame Figaro », mais elle a toujours su s’adapter avec classe et gentillesse à tous les milieux sociaux. Encore maintenant, surtout maintenant, je suis admiratif devant une telle capacité, un tel pouvoir.
Elle m’a ouvert les portes des immigrés de la première génération à peine francophones, des cas sociaux vivant littéralement dans les ordures, des aristocrates hautains aux cols de chemise élimés, des riches industriels, des frustres fermiers dauphinois, de femmes qui vivaient « ensemble ».
Elle parlait toutes les langues, sans en parler une seule, Comment va te le monsù? Chouaïa-chouïa, Mme de Machin a une très belle propriété…
Elle en a bu, des thés à la menthe bouillants même quand elle n’en avait pas envie et qu’il faisait chaud à crever, des décoctions infectes en souriant, et mangé des trucs plus ou moins étranges….
Elle m’a montré que la vraie force est de s’adapter aux gens, et non pas les forcer à s’adapter à soi. Elle m’a fait découvrir l’homme malade bien avant la nosologie.
Tout ça pour dire que, comme Perruche l’a très bien écrit, il n’a pas peur des fous, et moi, comme lui, je n’ai pas peur de la différence. Tout ce qu’à vécu Perruche, je l’ai vécu (à l’exception des vacances avec les patients), et sa peinture est incroyablement vivante. C’est exactement ça. Par contre, parce que tout était différent, je me remémore ces moments comme une expérience positive et enrichissante.
Contrairement à lui, donc, parce que c’est lui, parce que c’est moi, j’emmène volontiers mes fils au travail. J’espère qu’ils ne cherchent pas à me faire plaisir en me le demandant. Bien entendu, quand je les emmène, je suis le plus fier des hommes, et les infirmières les chouchoutent comme de petits rois. Et je leur fais rencontrer des patients (j’emmerde le règlement intérieur et la cellule qualité), coller des électrodes pour faire un ECG ou une épreuve d’effort, appuyer sur les boutons, regarder une échographie cardiaque.
Et quand ils rentrent à la maison, ils disent à leur mère qu’ils m’ont aidé.
Je serais très heureux si ils devenaient médecins, étant donné la passion que j’éprouve pour mon métier.
Mais je ne fais pas ça pour les influencer, du moins consciemment (peut-être un peu quand même).
Ils ne sont pas moi, et ils feront ce qu’ils voudront et pourront.
Je voudrais simplement qu’ils retiennent une seule chose: mes enfants, n’ayez jamais peur de la différence.