Quarante-cinq ans, environ, elle arrive dans ma salle, s’assoit, regarde mon bureau vide, hormis ma petite fiche, et constate « Je vois que vous n’avez par reçu le dossier de ***« .
*** étant un grand CHU parisien.
Je m’inquiète car en fin de vacation, sans document, je n’avais pas envie de démêler l’écheveau probablement compliqué d’une cardiopathie complexe, rare et potentiellement inquiétante.
Une cardiaque suivie par ***, ça intimide aussi un peu le petit cardiologue de province que je suis.
Car la patiente est vue tous les 6 mois à ***, c’est dire comme c’est grave!
Comme indication, elle me tend son traitement: une bithérapie anti-hypertensive (une combinaison récente, amlodipine+valsartan ), une statine et du Levothyrox®.
Je suis quand même surpris, rien de bien fascinant.
Je m’attendais à un diurétique, un anticoagulant, un ou plusieurs antiarrhythmiques, enfin bref, un vrai traitement de cardiaque.
Elle me parle alors de ses adénomes de graisse aux carotides.
Uhmmm, une tumeur glomique suivie comme le lait sur le feu à ***?
En fait, non, ce sont plutôt des plaques d’athérome, a priori pas bien inquiétantes, puisqu’on les lui surveille tous les 2 ans. Par ailleurs, elle n’a même pas d’antiagrégant plaquettaire.
Ah oui, elle fume 1 paquet par jour.
Elle me tend alors un bilan que je regarde à peine, puis l’invite à se coucher sur la table d’examen.
« Mais, vous ne regardez pas le bilan!! » s’exclame-t-elle.
Ben non, je le regarderai après, pourquoi?
« Parce qu’à ***, ils me le font faire tous les 6 mois et me convoquent pour le lire ».
Le bilan est on ne peut plus simple: NFS, plaquettes, bilan lipidique, iono, urée, créatininémie et bilan thyroidien.
Je m’attendais à des marqueurs, des enzymes, des co-enzymes, au moins un BNP, bref un solide bilan de médecine interne pour patient grave.
Tout est normal
Mon examen clinique est normal, sa tension est à 110/80.
Je lui dis alors une chose qui l’a stupéfaite: « Il me reste à récupérer votre dernier doppler des carotides, mais je crois que vous n’avez rien ».
Depuis des années, on la convoque tous les 6 mois dans un service d’un grand CHU parisien pour une HTA parfaitement équilibrée par une bithérapie, et probablement quelques plaques d’athérome chez une patiente tabagique et peut-être dyslipidémique, mais avec un LDL inférieur à 1 g/L sous statine.
Depuis des années, elle attend sa consultation et son bilan avec angoisse.
Depuis des années, on l’a knockisée, on l’a rendue malade au sens propre et figuré.
Depuis des années, elle fait l’objet de bilans qui justifient l’existence d’un service du CHU, et donc l’activité de la floppée de praticiens qui y « travaillent » (18 d’après un agrégé que j’ai consulté pour savoir si il les connaissaient. ils les connait bien), et qui doivent être rendus nerveux par l’arrivée de la T2A.
Je lui ai dit que je ne ferai pas de nouveau bilan avant d’avoir vu les siens.
Elle paraissait déçue de ne plus être une malade asymptomatique mais néanmoins grave, objet de toutes les sollicitudes de l’équipe d’un très grand hôpital parisien.
Je pense que je ne la reverrai pas.
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