Une consultation de cardiologie s’apparente souvent au travail au fond de la mine. Pas en terme de pénibilité, bien sûr, mais en terme d’extraction.
Extraire les informations du patient, les remonter à la surface et enfin les trier pour ne garder que les pertinentes est exactement sembable à ce qui se passe dans toutes les mines du monde.
Ne pas faire consciencieusement ce travail expose le patient au coup de grisou, enfin à l’infarctus.
Deux exemples récents.
Une dame, solide paysanne de 70 ans environ décrit des douleurs dans la poitrine au moindre effort, avec une irradiation dans la mâchoire, ces douleurs cédant sous trinitrine. Vous allez me dire, ben, c’est pas très compliqué comme tableau clinique. Oui, en effet, mais je vous ai fourni les informations raffinées. Pour les obtenir, j’ai du batailler 45 minutes. Entre les multiples digressions, l’histoire du petit poids qui monte et qui descend dans sa poitrine (sic), la description précise des crises d’angine de poitrine de sa mère, fort différentes de ses symptômes, les multiples interprétations (j’ai pas mal en chargeant le poêle à bois, mais quand je marche. Pas possible que ce soit le cœur, c’est mon reflux!), et finalement le déni (j’ai pas tant mal que ça!), j’ai donc mis 45 minutes avec un ECG et une ETT pour me faire un avis à peu près ferme pour l’envoyer en urgence au CHU. Réponse au problème aujourd’hui avec la coronarographie.
Je ne sais pas si j’ai raison. Mais si mon hypothèse de syndrome coronarien aigu ambulatoire se confirme, son généraliste et un cardiologue s’y seront cassés les dents.
Deuxième exemple, une dame maghrébine de 40-45 ans, tabagique et stressée. Douleur constrictive en barre dans la poitrine avec irradiation dans les bras et malaise vagal associé. Pareil, vous allez me dire que le diagnostic est simple. Voici son histoire, telle qu’elle me l’a racontée.
J’avais une douleur énorme dans la poitrine, mais je croyais que c’était parce que je gardais tout dans mon coeur, car j’ai beaucoup beaucoup de problèmes mais mes enfants vont bienhamdulillah, je suis allée au urgences de l’hôpital où ils m’ont fait des examens et m’ont dit makach’oualou et qu’il fallait rentrer à la maison, dans la soirée, ça a recommencé, mon voisin qui est vieux et malade, il a au moins 80 ans, m’a dit, ma fille tu peux pas rester comme ça, je vais appeler les pompiers, mais ils ont dit qu’ils ne viendraient pas car à l’hôpital ils avaient dit que je n’avais rien, grâce à Dieu, mon voisin qui est vieux et malade, il a pris un risque et sa voiture pour m’emmener à l’hôpital et là, il s’est mis à hurler jusqu’à ce qu’un médecin m’examine.
En fait, c’était un infarctus antérieur, et sa fraction d’éjection résiduelle est à 30%.
30%, 40 ans, c’est moyen moyen.
A t’elle seulement été écoutée sérieusement dans des urgences bondées ? Ou a t’elle été classée d’emblée dans la catégorie infamante et délaissée médicalement des « syndromes méditerranéens » ? Ou enfin, est ce une nouvelle victime des statistiques qui nous serinent depuis des décennies qu’une femme de 40 ans ne fait pas partie de la population à risque d’infarctus ?
El Mektoub, ça tient à peu de chose, ça tient au temps que vous accorde le médecin, et à son opiniâtreté à extraire des informations pourtant vitales, sans aucun préjugé.
Je ne juge pas, j’ai fait exactement pareil, et c’est pour cela que je suis devenu opiniâtre lorsque je descend dans la mine avec mon casque et ma pioche.

Très bonne Année minière, sans coup de grisou. Merci de nous ramener des pépites, sans trop vous inquiéter du reste!
Il n’y a pas besoin d’être de « type méditerranéen » pour étourdir ses interlocuteurs sous un déluge de faits non liés au problème à traiter.
Je suis sûr que les techniciens de support informatique ont des histoires semblables à raconter.
Je me bornerai à raconter cette anecdote: un membre de ma famille m’a appelé au sujet d’un problème avec son PC. Elle a commencé par me raconter qu’elle tapait des courriers pour machin, que c’était urgent, et que blabla, puis le lendemain en démarrant on n’avait plus l’écran normal. Après plusieurs minutes d’interrogatoire j’ai réussi à lui faire dire que l’écran était noir avec du texte (c’était l’écran de démarrage). J’ai eu alors une intuition: c’était la batterie de sauvegarde de la mémoire CMOS qui était fichue. Je lui ai demandé de lire le texte, notamment si ça parlait de batterie. Elle a commencé de lire tout depuis le début, des choses présentes à chaque fois.
J’en ai eu assez, je suis allé voir moi-même la bête, et au milieu de l’écran il y avait un message genre « CMOS BATTERY DEAD ».
Moralité: certaines personnes ont l’esprit trop confus pour distinguer l’ordinaire de l’exceptionnel, l’important de l’accessoire, l’annexe du principal.
Mercis de nous demontrer par ces exemples la complexite du diagnostic medical, un travail de detective, d ou beaucoup d ecoute, de patience et surtout de bon jugement, cela m a rappele une scenette du Docteur Knokc, avec Louis Jouvet, » ca vous chatouille ou ca vous gratouille », j ai regarde cela sur dailymotion, impossible de l inserer dans mon commentaire…j sais pas faire, pas geek pour un sou! Bonne journee, A Ny la neige , la neige, c est beau et reposant
L’écoute, toujours l’écoute…. Malheureusement certains médecins donnent de l’IRM, du scanner, etc… à foison, alors qu’une écoute soigneuse et attentive aurait peut être suffit pour le diagnostic…
Souvent on coupe le patient qui disgresse pour aller à l’essentiel, en pensant gagner du temps. Mais du coup, on rate peut être l’info essentielle pour nous, qui n’était pas essentielle pour lui, le patient.
Alors peut etre vaut il mieux perdre un peu de temps à écouter et en gagner ensuite en ayant les bonnes infos.
Votre deuxieme patiente me rappelle mon deuxieme stage d’externe à l’hopital cardiologique à Bron.
Une gentille mère algerienne de 60 ans.
A chacune de mes questions (recitées comme dans les cours de semiologie en 3e année, vous avez mal dans la poitrine? ca serre? vous etes essouflée?…)Elle me répondait : » des fois oui, des fois non »
Terriile pour l’externe de presenter le cas au patron..
poser les questions sans donner les réponses, c’est tout un art!!!
la médecine est tout simplement d’abord un art de l’interrogatoire ce qui nécessite la parfaite connaissance des détails de la sémiologie traditionnelle,une grande sensibilité ethno-culturalo-psycho-sociale et toutes les techniques de Maigret