IPP et clopidogrel (9)

La mode en médecine, depuis déjà quelques années est d’élaborer et de suivre des référentiels. Il est de notre devoir d’être référentovigilant afin de mieux soigner nos patients. D’où l’émergence d’une nouvelle science, la référentologie. Pourquoi encore une autre science? Et bien tout d’abord pour permettre l’émergence de nouveaux experts, et aussi car tout n’est pas si transparent dans le monde du référentiel.

Je vais vous montrer un exemple en posant une simple question banale, qui se pose presque tous les jours notamment en service de cardiologie:

Quel Inhiteur de la Pompe à Protons (IPP) prescrire à un patient déjà sous clopidogrel ?

On part bien entendu du principe que le patient en question nécessite bien la prescription d’un IPP et de clopidogrel.

Le praticien lambda qui ne connaît pas particulièrement les subtilités ineffables de l’inhibition du CYP2C19 va donc regarder dans sa base de données préférée.

On va donc faire un petit tour d’horizon.

D’abord la BCB car c’est celle que j’utilise préférentiellement (de facto car le CHU et la clinique l’utilisent, et je l’ai sur iPhone). Voilà ce que dit la BCB Hôpital dans le paragraphe interactions du PLAVIX® (clopidogrel), au sujet des IPP:

Inhibiteurs de la pompe à protons :

Bien que la démonstration de l’inhibition du CYP2C19 varie au sein de la classe des inhibiteurs de la pompe à protons, les études cliniques suggèrent une interaction entre le clopidogrel et potentiellement tous les médicaments de cette classe. En conséquence, l’association avec un inhibiteur de la pompe à protons doit être évitée, sauf en cas de nécessité absolue. Il n’y a pas de preuve montrant que les autres médicaments réduisant l’acidité gastrique tels que les antihistaminiques H2 ou les antiacides interfèrent avec l’activité antiplaquettaire du clopidogrel.

En somme, on ne peut pas prescrire d’IPP, sauf nécessité absolue. Pas simple.

Que dit Vidal Online?

Inhibiteurs de la Pompe à Protons (IPP):

L’administration de 80 mg d’oméprazole en une prise par jour, soit en même temps que le clopidogrel, soit à 12 heures d’intervalle, a diminué l’exposition au métabolite actif de 45% (à la dose de charge) et de 40% (à la dose d’entretien). L’inhibition de l’agrégation plaquettaire a également diminué, de 39% (à la dose de charge) et de 21% (à la dose d’entretien). Une interaction similaire est attendue avec l’ésoméprazole.

Des données contradictoires sur les conséquences cliniques de cette interaction pharmacocinétique (PK) / pharmacodynamique (PD) en termes de survenue d’événements cardiovasculaires majeurs ont été rapportées dans des études observationnelles et cliniques. Par mesure de précaution, l’association d’oméprazole ou d’ésoméprazole doit être déconseillée (cf Mises en garde et Précautions d’emploi). Il n’existe pas de donnée concluante sur une interaction pharmacodynamique entre le clopidogrel et les autres IPP.

Une diminution moins prononcée de l’exposition au métabolite actif a été observée avec le pantoprazole ou le lansoprazole.

Les concentrations plasmatiques du métabolite actif ont diminué de 20% (à la dose de charge) et de 14% (à la dose d’entretien) lors de l’association de 80 mg de pantoprazole en une prise par jour. L’inhibition moyenne de l’agrégation plaquettaire a également diminué de 15% et 11%, respectivement. Ces résultats indiquent que le pantoprazole peut être associé au clopidogrel.

Il n’y a pas de preuve montrant que les autres médicaments réduisant l’acidité gastrique tels que les antihistaminiques H2 (à l’exception de la cimétidine qui est un inhibiteur du CYP2C19) ou les antiacides interfèrent avec l’activité antiplaquettaire du clopidogrel.

Bon, là, par contre on peut prescrire un IPP, tant que ce n’est ni de l’oméprazole ou de l’ésoméprazole. La notice dit qu’on ne sait pas trop pour les autres IPP (retenez la phrase en gras), mais est plutôt rassurante pour le pantoprazole.

Bon, on va prescrire du pantoprazole!

Que dit Thésorimed, la base de données mise en avant par le défunt site MedicFrance (le machin qui avait été 

lancé en grande pompe par Roselyne Bachelot, si vous voulez rigoler, relisez son discours)?

Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) : dans une étude clinique en cross-over, le clopidogrel (dose de charge de 300 mg suivie de 75 mg par jour) a été administré seul ou en association avec l’oméprazole (80 mg en prise simultanée avec le clopidogrel) pendant 5 jours. Lors de l’administration concomitante de clopidogrel et d’oméprazole, l’exposition au métabolite actif du clopidogrel a diminué de 45% à J1 et de 40% à J5 et l’inhibition moyenne de l’agrégation plaquettaire avec 5 µM d’ADP a diminué de 39% à J1 et de 21% à J5. Une autre étude a montré que la prise de clopidogrel et d’oméprazole à 12 heures d’intervalle n’évite pas cette interaction qui est probablement liée à l’effet inhibiteur de l’oméprazole sur le CYP2C19. Une interaction similaire est attendue avec l’ésoméprazole.

Des données contradictoires sur les conséquences cliniques de cette interaction pharmacocinétique (PK) / pharmacodynamique (PD) en termes de survenue d’événements cardiovasculaires majeurs ont été rapportées dans des études observationnelles et cliniques. Par mesure de précaution, l’association d’oméprazole ou d’ésoméprazole doit être déconseillée (voir rubrique « Mises en garde et précautions d’emploi »). Il n’existe pas de donnée concluante sur une interaction pharmacodynamique entre le clopidogrel et les autres IPP.

Il n’y a pas de preuve montrant que les autres médicaments réduisant l’acidité gastrique tels que les antihistaminiques H2 (à l’exception de la cimétidine qui est un inhibiteur du CYP2C19) ou les antiacides interfèrent avec l’activité antiplaquettaire du clopidogrel.

On se rapproche donc de la version du Vidal Online, mais aucune mention du lansoprazole ou du pantoprazole. 

Pas d’oméprazole ou d’ésoméprazole, pour les autres IPP, on sait pas. Bon qu’est-ce que je prescris?

Petite remarque qui n’a rien à voir, mais que l’on soit écolier, bachelier, étudiant en Médecine, ou que l’on fasse partie d’une autorité de régulation, ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et en général plus un texte est long et alambiqué, et moins on maîtrise le sujet. Ici, ce n’est pas un problème de compétence, simplement que le sujet est particulièrement complexe.

Que dit la base Thériaque?

Je vais vous éviter une quatrième lecture rébarbative d’une portion du paragraphe 4.5 du RCP, Thériaque dit exactement la même chose que Thésorimed.

Quatre bases de données, 3 versions différentes du RCP du Plavix®, avec des implications directes sur la prise en charge du patient. Il ne s’agit pas de simples variations stylistiques.

Quelle est la bonne version? Quelle est la référence?

Et bien, aucune des quatre.

Le seul texte faisant foi est le dernier RCP disponible ici, sur le site de l’EMA.

La dernière mise à jour est toute récente, puisqu’elle date du 15/06/2011.

Voici la partie qui nous intéresse dans le paragraphe 4.5, celui des interactions:

L’administration de 80 mg d’oméprazole en une prise par jour, soit en même temps que le clopidogrel, soit à 12 heures d’intervalle, a diminué l’exposition au métabolite actif de 45% (à la dose de charge) et de 40% (à la dose d’entretien). L’inhibition de l’agrégation plaquettaire a également diminué, de 39% (à la dose de charge) et de 21% (à la dose d’entretien). Une interaction similaire est attendue avec l’ésoméprazole.

Des données contradictoires sur les conséquences cliniques de cette interaction pharmacocinétique (PK) / pharmacodynamique (PD) en termes de survenue d’événements cardiovasculaires majeurs ont été rapportées dans des études observationnelles et cliniques. Par mesure de précaution, l’association d’oméprazole ou d’ésoméprazole doit être déconseillée (voir rubrique 4.4).

Une diminution moins prononcée de l’exposition au métabolite actif a été observée avec le pantoprazole ou le lansoprazole.

Les concentrations plasmatiques du métabolite actif ont diminué de 20% (à la dose de charge) et de 14% (à la dose d’entretien) lors de l’association de 80 mg de pantoprazole en une prise par jour. L’inhibition moyenne de l’agrégation plaquettaire a également diminué de 15% et 11%, respectivement. Ces résultats indiquent que le pantoprazole peut être associé au clopidogrel.

Il n’y a pas de preuve montrant que les autres médicaments réduisant l’acidité gastrique tels que les antihistaminiques H2 (à l’exception de la cimétidine qui est un inhibiteur du CYP2C19) ou les antiacides interfèrent avec l’activité antiplaquettaire du clopidogrel.

La version du Vidal Online est donc la plus conforme, à l’exception curieuse de la phrase en gras qui a été rajoutée au RCP officiel (cette phrase apparaît aussi dans les bases Thésorimed et Thériaque). La BCB n’est pas bonne sur le coup, alors qu’en général, elle ne s’en sort pas trop mal.

La conformité au texte de référence, le RCP est donc pour cet exemple précis un concept éminemment variable en fonction des bases de données.

D’où la nécessité d’être référentovigilant.

La boucle est bouclée.

(Mouhahahaha)

(Mouhahahaha bis)

Encore une preuve de l’utilité de la certification dans le domaine de la Santé…

°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°0°

Les recherches sur les 4 bases de données ont été effectuées entre hier et aujourd’hui. Par ailleurs, j’ai utilisé à dessein les 4 versions en ligne des bases pour être certain d’obtenir les dernières mises à jour.

Voici les copies d’écrans de chaque base:

  • BCB:


  • Vidal Online:


  • Thériaque:


  • Thésorimed:


Merci à celle qui se reconnaîtra pour la capture d’écran du Vidal Online <3.

Pour ceux que ça intéresse, un petit historique de l’histoire de l’interaction IPP/clopidogrel. J’avais un peu laissé la piste en mars 2010, mais j’ai dû la reprendre récemment.

7 Replies to “IPP et clopidogrel (9)”

  1. Bravo pour la précision ! Là aussi j’ai l’impression que la concurrence n’est pas ultra efficace… Surtout que pour le CLOPIDOGREL (spécialité Plavix°), je suis sûr que le RCP du médicament sur le site de l’EMEA comporte les modifications sur les IPP que tu indiques depuis au moins la précédente version du 01/04/2011 (texte strictement identique). La liberté prise par Vidalonline avec rajout d’une phrase est très étonnante et n’existe pas plus sur la version du 01/04/2011 du RCP de l’EMEA.

    Donc il y a un réel problème de mise à jour difficile à surmonter manifestement et les modifications du RCP faites par les BDM sont étonnantes…

    …comme si la main des actionnaires des IPP était passée par là pour essayer d’amortir les effets néfastes sur la croissance de leurs parts de marché de telles restrictions d’utilisation…. Empêcher le mésusage qui génère une part importante du chiffre d’affaires est embêtant, non ? Voilà pourquoi le contrôle de l’information est si vital… Il serait certainement utile que les professionnels travaillant pour les BDM puissent faire une DPI aussi surtout s’ils sont à l’origine des ces modifications, non ?…

    Se pose aussi la question de la fiabilité, de l’exhaustivité, de la réactivité des outils proposés en amont comme le Thesaurus des IAM.
    Si le Thesaurus est un outil intéressant pour homogénéiser l’analyse automatique des IAM et balayer les plus gros défauts d’une ordonnance… il s’avère incomplet et parfois très discutable… sans compter ses omissions comme le PRASUGREL toujours pas intégré alors que ce médicament en PGR est commercialisé depuis janvier 2010. Si on rajoutait à la page 15 à l’entrée ANTIAGREGANTS PLAQUETTAIRES, le PRASUGREL, on pourrait avoir cette évidente mais souhaitable réponse :
    + ANTICOAGULANTS ORAUX : Augmentation du risque hémorragique => à prendre en compte.
    Mais comme les mentions du RCP du PRASUGREL se limitent aux dérivés coumariniques et que le Thesaurus n’est pas à jour, la BCB (la plus à jour pour le PRASUGREL) ne va pas plus loin que le RCP. Donc les dérivés de l’indanedione n’interagissent pas avec le PRASUGREL !

    Sur le plan pratique si tu testes sur BCB :

    EFIENT + PREVISCAN: pas d’interaction

    EFIENT + COUMADIINE: => précaution d’emploi avec comme source le RCP

    Que dit le RCP ?

    « Warfarine : L’administration concomitante d’Efient avec les dérivés coumariniques autres que la warfarine n’a pas été étudiée. Compte tenu de la possibilité de risque accru de saignement, la warfarine (ou les autres dérivés coumariniques) et le prasugrel doivent être co-administrés avec précaution (voir rubrique 4.4).  »

    Au passage voilà une raison de plus d’abandonner la FLUINDIONE !

    Je n’ai aucun lien d’intérêt avec les entreprises produisant des produits de santé (article L4113-13 du CSP).

  2. Question bête..
    A-t-on idée de la conséquence clinique de cette diminution d’activité pharmacologique du Clopidogrel?

    1. Question annexe : quel bilan bénéfice/risque entre l’effet clinique attendu de l’IPP (pour quelle durée) et la conséquence clinique non évaluée de la diminution d’activité du CLOPIDOGREL ?

  3. bonjour,
    un édito d’une revue de gastro (gastroenterology 2011, 140, 769-72) fait le point sur l’association IPP Clopidogrel. En gros :
    1- l’association IPP Clopidogrel, chez les patients à risque (atcd d’ulcère, association à aspirine) diminue le risque d’ulcère (endoscopiquement diagnostiqué) et d’hémorragie digestive haute. Donc ils recommandent l’association IPP-Clopidogrel chez ces patients là.
    2- l’omeprazole diminue l’effet antiplaquettaire du clopidogrel quand on le mesure par les tests biologiques. Effet que l’on ne retrouve pas de façon aussi nette avec d’autres IPP. Donc ils recommandent de prendre un autre IPP que l’omeprasole si on doit associer IPP-Clopidogrel
    3- par contre l’effet clinique éventuellement délétère de cette association n’est pas claire. Comme JM Vailloud le signale, l’étude qui devait « plier » l’affaire, COGENT, a été arrêté pour cause de faillite du laboratoire, et donc l’étude est discutable dans ces conclusions (publiée dans le NEJM quand même …, mais c’est un autre débat). Et donc, les auteurs finissent par la phrase classique qui est sortie chaque fois que l’on ne sait pas : « la décision d’association des 2 molécules doit être personnalisée et doit tenir compte du rapport bénéfice-risque de chaque patient ».

  4. @tapas92
    Les données dont je me sers sont celle-là:
    Consensus ACCF/ACG/AHA 2010: http://circ.ahajournals.org/cgi/content/full/122/24/2619
    => la biantiagrégation plaquettaire n’est plus une raison de prescrire systématiquement un IPP

    contrairement à ce consensus antérieur qui classait la biantiagrégation plaquettaire comme un facteur de risque à part entière:
    ACCF/ACG/AHA 2008: http://circ.ahajournals.org/cgi/content/full/118/18/1894

    Pour ma pratique lorsque la biantiagrégation plaquettaire est indiquée, je prescris PANTOPRAZOLE si:
    ATCD d’hémorragie digestive haute, âge avancé, AVK associé (à éviter!), AINS (à éviter!), infection à Helicobacter pylori.
    S’il y a des petits symptômes et une absence de facteur de risque de saignement digestif ma tentation est de donner un antiH2.

    Dans tous les cas, éducation du patient sur le risque digestif: attention à sang dans les selles, selles noires et nauséabondes, pâleur, fatigue intense, épisgastralgies…

    Au niveau médical, l’IPP ne doit pas avoir pour but de se donner bonne conscience (dans le cas d’espèce l’exercice est devenu difficile…). Il faut surtout clairement poser la durée de la biantiagrégation plaquettaire surtout à l’heure où on commercialise l’association fixe de clopidogrel + ac. acétylsalicylique. L’inconvénient de cette association fixe qui n’apporte absssssssssssooooooooooooooluuuuuuuuuummmment rien est de risquer de faire oublier que l’association fixe (ou pas!!!!) doit avoir une durée limitée.

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