Le succès de ma note (2000 lectures) et les commentaires élogieux reçus par messagerie, ou sur ce blog m’ont surpris.
Je l’ai écrite, comme ça, sans essayer de faire d’effet de style, et ce que j’y raconte est très banal.
Pourtant, ce texte si banal, si simple si bête, a touché un point sensible à la fois chez les professionnels de santé et les patients.
L’impact de mes quelques lignes (soyons relatifs, cela reste de l’ordre de quelques ronds dans l’eau d’une mare) montre, avec les incessantes tempêtes dans un verre d’eau twitterales qu’il y a en effet quelque chose qui grippe dans la relation médecin-malade.
Je vois se développer sur Twitter une agressivité qui, il y a encore 4-5 ans, ne concernait qu’un ou deux d’individus (soignants ou patients) qui recherchaient dans la confrontation une dérivation à leurs problèmes personnels et dont l’ego est flatté par la lutte pour une cause. Maintenant, même une simple question sur une destination de vacances met le feux aux poudres.
Les médecins, sont des nantis issus de la classe bourgeoise, dont la communauté paye les études, qui fuient les déserts médicaux, ont oublié le sens du mot sacerdoce, n’écoutent pas les patients, les brutalisent, ne pensent qu’à faire de l’argent…
La société a changé, le médecin n’est plus tout puissant comme avant. Les patients n’hésitent plus à s’informer auprès du professionnel de santé, de plus en plus soumis à un devoir d’information par les autorités sanitaires, et ailleurs, notamment sur la toile. Les patients, armés du sentiment qu’ils savent et qu’on leur doit quelque chose, n’hésitent plus à remettre en question les décisions de leurs praticiens. Cette « désacralisation » induit aussi des reproches inimaginables avant: pourquoi vous ne m’écoutez pas? Pourquoi ne pas me prescrire cela? Pourquoi vous n’êtes pas disponible?
De l’autre côté, le médecin, assis au pied de son piédestal, est probablement nettement moins enclin à travailler comme un forcené pour des patients qui l’ont descendu. (petit aparté, je suis persuadé que ce sont les médecins eux-même qui se sont descendus tous seuls). L’évolution de la société est aussi passée par là: aucun médecin ne pouvait deviner l’apparition des autoroutes de l’information et la sur-valorisation de l’individu pour mieux le tondre. Le médecin aspire à avoir des loisirs comme tout le monde, et de toute façon, les services d’urgence sont ouverts 24h/24, allez les voir. J’ai aussi l’impression que le médecin suit à la lettre près la foultitude de contrats qu’on lui a imposé de passer avec ses patients: chartes, consentements, recommandations, directives… Finalement, l’application bête et disciplinée de textes opposables est nettement plus confortable que de chercher une solution humaine à des problèmes éthiques et médicaux-légaux parfois difficiles. L’artisanat qu’était la médecine disparait au profit d’une industrialisation du soin qui certes semble être plus rationnelle, plus efficiente, mais qui rend de plus en plus difficile la personnalisation du soin (et de la relation qui va avec). Médecins, n’espèrerons plus exercer notre art sans contrainte, patients n’espérez plus une relation individuelle « unique » avec votre médecin. Nous sommes à l’heure des process, des services-clients et des médecins/patients premiums sans engagements dans le soin.
Je crois qu’il n’y a rien que les médecins ou les patients puissent faire pour inverser la tendance. Nous n’avons malheureusement pas su négocier l’évolution de notre relation, un peu comme dans un couple qui vieillit mal ensemble: les qualités s’estompent pour ne laisser place qu’aux défauts. Un couple qui évolue mal est toujours entouré par des proches parfois lourds mais bienveillants. Dans la relation médecin-patient, ces « amis » n’ont pas forcément en tête l’intérêt du couple en premier, ni même la moindre idée de ce qu’est un couple.
Maintenant, Twitter, les médias, ou les individus qui profitent de la zizanie entre médecins et patients pour vendre du papier, des services ou mettre en avant leur ego ne représentent pas la vraie vie.
qffwffq a bien résumé cela dans cette série de tweets sur les marchands de peur:
Les recommandations, écrites en toute indépendance, permettent de limiter ce que j’appellerai pudiquement les atypies de soin (le charlatanisme). Les procédures qualité sont pénibles, mais elles sauvent des vies (par exemple, la check-list avant un bloc). La volonté des patients de prendre en main leur santé en faisant des recherches ou en demandant à participer au processus de soin ne peut que conduire à un meilleur soin. Et il y aura toujours de l’humanité dans le colloque singulier médecin-patient.
Dans l’immense majorité des cas, le soin se fait en parfaite intelligence. Nous sommes obligés de vivre ensemble, pour le meilleur et le pire. De mon tout petit bout de lorgnette, à de rares exceptions, sur internet je ne vois que le pire, dans ma vie professionnelle que le meilleur.
Il nous appartient, soignant ou soigné, à notre petit niveau, de nous concentrer sur ce qui est important: le soin et le respect de l’autre.
J’ai certes été traversé par l’envie de commenter la publication de « notes », mais j’aurais eu l’impression d’enfoncer une porte ouverte. Les habitués du site n’ont pas été surpris de reconnaitre le profil du Dr Vailloud, pourquoi se risquer à écrire des lignes qui de plus auraient pu furieusement ressembler à un jugement, une notation du praticien ?
Si pratiquement chaque phrase de l’apostille mériterait un commentaire à elle seule j’ai été particulièrement marqué par celles-ci :
«Il y a en effet quelque chose qui grippe dans la relation médecin-malade … Je crois qu’il n’y a rien que les médecins ou les patients puissent faire pour inverser la tendance ».
On peut difficilement demander au médecin de montrer de l’empathie et d’être à l’écoute d’un patient qui a tout lu sur Google et en sait plus que lui. Nous nous trouvons face à un élément clé, l’ordinateur, à la fois votre meilleur ami qui stocke et met à votre disposition une masse d’information et votre pire ennemi qui peut vous enfermer dans des protocoles stricts qui vous isolent du patient.
Un médecin interniste américain, alarmé par les nombreux cas de burn-out chez ses confrères les met en garde contre les risques suivants :
1 – Ne gardez pas les yeux fixé sur votre écran pendant que le patient essaie de vous parler.
2 – Ne montrez pas ostensiblement que vous êtes pressé.
3 – Évitez de poser uniquement des questions fermées.
4 – Ne dites pas au patient que son cas ne présente aucun intérêt.
5 – Permettez au patient de poser des questions.
Ici c’est moi qui enfonce des portes ouvertes, ces cinq commandements sont respectés par tous les praticiens qui suivent ce forum !
Bonjour.
Certes, certes, certes.
Je suis un emmerdeur et ne peut pas dire amen.
Deux réflexions.
Un : tu écris « sur internet je ne vois que le pire, dans ma vie professionnelle que le meilleur. » Pas moi. Les exemples que je donnerais désespéreraient les patients. Je signalerais deux attitudes médicales actuelles : le sur diagnostic et le parcours de soins des patients en oncologie. Ces deux choses me rendent fou.
Deux : au risque de choquer, la détérioration apparente du soin est liée à mon avis au système économique qui nous régit (néo libéralisme consumériste) et aux représentations collectives de la santé (scientisme – tu as développé le sujet : le corps humain n’est pas un avion, refus de souffrir, droit à ne pas être malade).
Bonne journée.
« On peut difficilement demander au médecin de montrer de l’empathie et d’être à l’écoute d’un patient qui a tout lu sur Google et en sait plus que lui. »
Pas mal… j’en ai une autre :
On peut difficilement demander au patient de montrer de l’empathie et d’être à l’écoute d’un médecin alors que lors des 10 crises sanitaires récentes majeures, AUCUN syndicat de médecin ne s’est levé pour dénoncer et prendre la défense des patients contre les autorités de tutelles.
De fait le médecin à perdu la confiance de ses patients. Lorsque l’on sait que 40% des malades sont iatrogènes et que 20 000 morts également, cela fat un peu relativiser la compétence du corps médical. Et je passe sous silence l’incapacité de plus en plus répandue à faire une véritable auscultation en lieu de place d’analyses en tout genre, pour être sûr.
Oui c’est dur de regagner une confiance perdue, mais ce n’est pas en prenant un patient de haut que vous lui apprendrez à vous respecter, il vous respectera lorsqu’il aura vu votre compétence à l’œuvre (qui n’est pas la prescription d’examen très très souvent inutiles.
Vous en prescriviez du médiator et de la dépakine ?