Allez chercher du pop-corn.
Un de mes lecteurs m’a fait connaître une histoire d’essai clinique assez étonnante.
Tout commence dans un site mystérieux en Chine, le site 1200…
Bon, vous n’allez pas me lire sans rien faire, comme on écoute un conteur, je vais vous faire travailler un peu. Vous devez (re)lire l’étude ARISTOTLE publiée le 15/11/11 dans le NEJM. À l’époque où j’avais le temps, j’en avais fait cette analyse.
J’avais conclu ainsi:
ARISTOTLE me paraît être la plus convaincante des grandes études sur les NAC chez les patients porteurs d’une fibrillation auriculaire. La qualité de sa réalisation et la supériorité avec une diminution moyenne du risque relatif de 21% pour le critère primaire me plaisent bien. La diminution de mortalité me fait moins rêver, mais bon, je ne vais pas faire la fine bouche. Le risque relatif des hémorragies majeures est diminué de 31% en moyenne dans le groupe apixaban par rapport au groupe warfarine. Il s’agit néanmoins d’un critère secondaire. Bref, si je devais choisir un NAC, ce serait plutôt l’apixaban.
Si l’on regarde cette fameuse mortalité, j’avais écrit un peu plus haut:
Je note aussi un critère secondaire d’efficacité intéressant: la mortalité toute cause qui est significativement moindre, d’un-dernier-souffle, dans le groupe apixaban: risque relatif à 0.89 (0.8-0.998), p=0.047.
Cette petite diminution de mortalité toute cause, qui représente LE critère dur, le graal de tout traitement, a quand même favorablement influencé les commentateurs, dont moi (objectivement).
(source)
(source)
Revenons à notre site 1200, quelque part en Chine…
Ce n’est pas l’équivalent chinois du site 51, mais un des 1034 centres dans 39 pays qui ont randomisé les 18201 (écrivez ce nombre sur un papier) patient inclus dans ARISTOTLE.
Le nombre des patients inclus dans ce site 1200, a été de 35 (notez aussi ce nombre).
Malheureusement, des violations de protocoles, qualifiées de « frauduleuses » par la FDA ont eu lieu dans ce site, jetant le doute sur la qualité des données.
Un évaluateur de la FDA a donc recalculé tous les résultats de ARISTOTLE en excluant ce site (35 patients sur 18201, si vous ne m’avez pas écouté quelques lignes plus haut).
Je ménage mon effet en insistant: 35 patients exclus sur 18201…
Et bien, sans ces 35 patients, ARISTOTLE devient négatif sur le critère mortalité toutes causes:
(Source: page 58 du doc FDA cité en bas de note)
Le fameux p passe de 0,0465 à 0,0565.
Détail fascinant: 35 est encore un chiffre bien trop impressionnant, vous remarquerez en regardant le tableau qu’il a fallu uniquement 3 morts en moins dans le bras warfarine pour faire pencher la balance sur la mortalité toutes causes (3 morts sur… les 18201 patients de l’essai)
Pffff, exit l’intérêt sur la mortalité. Cette fraude qualifiée d’isolée par la FDA explique pourquoi, malgré les données publiées dans le NEJM, les fabricants de Eliquis® n’ont jamais pu communiquer sur son bénéfice sur la mortalité globale:
(Source: page 2 du doc FDA cité en bas de note)
(Aucune mention de diminution de la mortalité. Caramba, encore raté)
J’imagine facilement leur rage et leur frustration car un tel bénéfice, bien mis en avant aurait tué toute concurrence.
Morale de l’histoire: 3 morts en moins suffisent pour faire disparaître un bénéfice dans un énorme essai clinique. Cela signifie que ce bénéfice est (était?) microscopique, mais que la puissance de l’essai a permis de le discerner. Si on ne considère, comme beaucoup de commentateurs français pourtant illustres, que la diminution moyenne du risque relatif qui est de 11%, celle-ci semble pourtant loin d’être microscopique. Du moment que p<0,05, tout passe, même des vessies pour les lanternes. Quel médecin, même raisonnable irait cracher sur une diminution de mortalité de 11% chez ses patients?
Si on regarde les intervalles de confiance, ici (0.8-0.998), et notamment le 0,998 qui représente l’effet minimal de l’apixaban sur la mortalité, on commence déjà se dire que le bénéfice peut ne pas bien être grand.
Si enfin on regarde les chiffres absolus: 669 décès dans le groupe warfarine, 603 dans le groupe apixaban, soit 66 décès de différence pour 18201 patients suivis durant 1,8 ans, on pouvait aussi se dire que le bénéfice absolu n’était pas monstrueux.
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J’avais déjà souligné qu’il suffit parfois de très peu pour changer les résultats d’un essai clinique dans cette note sur la dronédarone.
Un document passionnant (j’ai lu 3 pages sur 393…) de la FDA sur l’essai ARISTOTLE. Comme je suis prudent, je suis allé vérifier que ce doc annoté par je ne sais pas trop qui était bien authentique. Il l’est, on le trouve sur le site de la FDA ici.
Un article un peu polémique sur cette histoire qu’il voudrait bien faire mousser (un volontaire pour l’envoyer au Parisien?). Bof, pas de quoi fouetter un comprimé de Mediator®…
Le RCP européen de l’Eliquis® (apixaban). Aucune mention de diminution de mortalité dans le 4.1 (ouf!).
L’article de John Mandrola qui a mis le feu aux poudres (j’en profite pour remercier mon lecteur pour cette histoire).
Bonsoir
Intéressante démonstration.
Vous écrivez :
« Quel médecin, même raisonnable irait cracher sur une diminution de mortalité de 11% chez ses patients? »
C’est une réalité mais pourquoi résonner sur le risque relatif et jamais sur le risque absolu.
Ainsi dans Jupiter, l’intérêt du Crestor est en bénéfice relatif de 50% et en bénéfice absolu de 0.64%
Combien de médecins résonneraient mieux s’ils avaient sous les yeux les pourcentages absolus en lien avec les pourcentages relatifs?
La phrase est une formule réthorique. Je suis tout à fait d’accord sur les dangers de l’interprétation des RR.
Pourquoi , mais pourquoi m’a-t-il dit que Tintin est parti en barquette ?
C’est à ça que je pense quand je lis » Quel médecin, même raisonnable irait cracher sur une diminution de mortalité de 11% chez ses patients? »
Moi j’irai.
De principe.
Sauf à m’apercevoir que cela correspond à une diminution absolue décente.
La diminution de mortalite de 11% (toujours en risque relatif bien sûr pour impressionner ) et une diminution trumpesque, une fake diminution, une diminution alternative. Du pipeau pour noyer les rats.
Cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Joueur_de_fl%C3%BBte_de_Hamelin
Il n’y a que le vrai risque qui compte, le risque relatif c’est virtuel.
Les éditeurs de journaux porte voix devraient, par seimple esprit scientifique, interdire d’en parler, ils ne le font pas; follow the money ?
La réduction de la mortalité toute cause dans ARISTOTLE est de 11% en valeur relative et 0.42% par an en valeur absolue. elle est donc modeste (même si ca fait 66 morts en moins dans le groupe apixaban) et surtout n’est pas très robuste: comme indiqué, le fait de rajouter ou supprimer même 3 morts dans un groupe rend le résultat statistiquement non significatif.
Cependant, il est intéressant de noter que la FDA n’a pas suivi la proposition de T. Marciniak (qui n’était pas membre de l’équipe FDA qui a revu le dossier ARISTOTLE et s’était « autosaisi » du dossier). Les 2 premières pages du document FDA dont le lien est fourni sont une réponse des reviewers FDA à T.Marciniak expliquant de façon détaillée pourquoi ils ne suivent pas son argumentation et notamment pourquoi la réduction de mortalité, peu robuste, est quand même plausible et pourquoi c’est important (notamment du fait de la concordance interne avec la réduction des AVC mortels et des AVC non mortels et l’absence d’effet délétère sur la mortalité non CV; et de la concordance externe avec les résultats d’AVERROES, de ROCKET et de RELY). Ceci est détaillé de façon plus complète dans les pages 31 à 36 et le tableau 19 avec la recommandation des reviewers FDA de mentionner clairement dans les RCP que l’apixaban a réduit non seulement le critère primaire de l’étude mais aussi la mortalité.
La FDA va plus loin et met en parallèle les réductions numériques de mortalité avec les 3 nouveaux anticoagulants oraux qui sont sensiblement du même ordre de grandeur (entre 8% et 12% en valeur relative) et suggère que l’effet est probablement commun aux 3 classes, ce qu’a confirmé depuis la méta-analyse de Ruff et al (Lancet 2013) montrant une réduction de mortalité toute cause de 10% en termes relatifs par les 4 NOACs comparés à la warfarine, sans hétérogénéité statistique. Cette méta analyse montre (confirmant les essais de phase III pris séparément) que dans l’indication de prévention des AVC de la FA (« non valvulaire », c’est à dire en dehors du RM et des prothèses valvulaires mécaniques), les nouveaux anticoagulants oraux sont « globalement » plus sûrs que les AVK (moins d’hémorragies notamment intracrâniennes), au moins aussi efficaces et ils réduisent de façon modeste la mortalité. Par ailleurs,on sait qu’ils sont plus faciles d’emploi et sont plus chers. Le seul vrai argument contre leur utilisation est économique (maintenant que des antagonistes deviennent disponibles).
P.G.Steg, Paris.
Liens d’intérêt: j’ai été membre du steering committee d’ARISTOTLE, AVERROES et ROCKET AF et j’ai reçu des honoraires de BMS/Pfizer, ainsi que des autres laboratoires qui produisent et vendent des anticoagulants oraux (Bayer, Daichii, et Boehringer-Ingelheim).
Bonjour, merci pour l’analyse.
De fait, l’auto-saisissement de Marciniak est un peu curieux.
Il a proposé 3 points: le premier de ne pas mentionner la mortalité globale dans les indications, le second inconnu et le troisième de rajouter dans le RCP une discussion sur la robustesse des données.
Le point 1 a été accepté et re-validé par la suite. De fait, l’indication de l’apixaban aux EU (puis en Europe) ne fait pas mention d’une baisse de la mortalité: https://www.accessdata.fda.gov/drugsatfda_docs/label/2012/202155s000lbl.pdf
La notice mentionne néanmoins ce point dans la description de l’étude ARISTOTLE (ce qui paraît normal).
Le point 2 restera mystérieux.
Le point 3 a été réfuté, ce qui ne me semble pas être scandaleux.
Après, les meta-analyses sont plutôt en faveur de… Je n’y vois aucun inconvénient, mais je me méfie toujours des analyses savantes qui viennent minorer un point gênant. Une expérience immanquable, et/ou qui ne doit pas être négative l’est par la faute d’un technicien maladroit. On a humainement envie de gommer cet absence de succès en arguant que la manipulation n’aurait pas du louper. Et on en arrive, au bout du compte au concept magique d’effet cliniquement significatif bien que statistiquement non significatif cher à Novartis.
Une corruption des données de ARISTOTLE (certainement pas voulue en dehors du centre en question) a jeté un doute sur un point précis. Personne ne connaîtra jamais la vérité. Il me semble juste que la FDA et l’EMA aient eu une attitude prudente dans la rédaction des RCP.