L’auscultation cardiaque est une pratique tombée en presque totale désuétude, tuée par l’échographie cardiaque, et dans un mouvement un peu plus large par le désintérêt généralisé pour l’examen clinique, qui s’efface au profit d’examens complémentaires plus précis, et plus rémunérateurs. Enfin, précis, si on les demande à bon escient… Récemment, une dame avec une valvulopathie liée au Médiator s’est étonnée qu’on ne l’ait pas diagnostiquée il y a quelques années, avec… un ECG et une épreuve d’effort.
J’ai appris avec un « vieux » médecin, même pas cardiologue mais qui était un amoureux de l’examen clinique. Quand je lis les descriptions classiques des souffles cardiaques, je me dis que je suis sourd. Au mieux, j’entends les souffles, mais je ne les écoute pas.
À la limite, ce n’est pas trop grave car j’ai presque toujours un appareil d’écho à portée de main. Dans un proche avenir, je pense que nous transporterons tous des appareils d’écho miniaturisés. C’est tant mieux, car plus personne ne détermine une indication opératoire sur un abolissement du B2. Néanmoins, je dis pas « trop » grave car ça l’est un peu quand même: le stéthoscope est un symbole qui nous rappelle et nous lie aux fondamentaux de notre métier: écouter, palper, (sentir), regarder, faire la synthèse et ensuite traiter ou demander un bilan complémentaire. Je me sens bien plus médecin en écoutant un souffle qu’en calculant une PISA.
Par contre, la désaffection de l’examen clinique cardio-vasculaire est doublement dramatique chez les médecins qui n’ont pas un accès immédiat à l’échographie.
Premièrement car le lien, le symbole est oublié.
Deuxièmement car malgré toutes ses limitations l’auscultation cardiaque peut conduire n’importe qui, même un non cardiologue, à changer d’avis sur un diagnostic, un traitement, un bilan.
Toujours récemment, j’ai vu une femme qui décrit une dyspnée d’effort et une petite toux sèche, majorée lorsqu’elle monte en altitude « comme dans les livres ». Son généraliste lui dit que ce n’est rien: l’âge, l’altitude, un asthme, la chaleur, la pollution… Puis finalement après plusieurs plaintes, il l’adresse au cardiologue. Je jette un coup d’œil à l’écho et je tombe sur une insuffisance mitrale massive par prolapsus de la petite valve. Par curiosité, mais sachant aussi sur quoi j’allais tomber, je lui donne ensuite un coup de stétho: un souffle parfaitement immanquable à moins de ne pas l’avoir examiné ou de s’appeler Beethoven.
J’avais rencontré deux autres Beethoven, cardiologues cette fois-ci au cours de cette histoire.
Le stéthoscope reste donc pour moi un symbole et un outil.
Paraclinique sans clinique n’est que ruine de l’Art (et de la Sécu, aussi, par ailleurs).