J’ai relu ma note sur le bouquin de de Lorgeril, et je me rends compte qu’elle est peut-être un chouïa courte.
Je vais vous donner quelques exemples de choses qui m’ont plu, et quelques exemples de choses que je trouve assez énormes.
Michel de Lorgeril analyse l’essai SPARCL pages 150 et 257. SPARCL a été publié en 2006 dans le NEJM.
Pour de Lorgeril, SPARCL est négative car non significative avant ajustement. Elle le devient après. L’auteur considère que cet ajustement est un tripatouillage des résultats. Je dirais que si l’ajustement a été décidé avant le début de l’étude, on peut considérer qu’il est acceptable.
L’étude est à mon sens faiblement positive. Mais ce n’est pas pour cela que je traiterais mes patients comme dans SPARCL. Je rejoins donc de Lorgeril sur ce point. Je le rejoins aussi sur la propagande incroyable qui a été faite sur cet essai. Cet article de theheart.org en est un exemple impressionnant.
L’auteur est donc très à cheval sur le p. Enfin, quand ça l’arrange…
En début de bouquin, il dénonce le scandale ENHANCE (j’avais parlé de ce scandale ici). Page 30, il écrit cela:
Le problème est que l’augmentation de l’épaisseur intima-media (un critère intermédiaire à la con) est non significative (p=0.29). Donc on ne peut pas dire qu’il y ait eu « une légère augmentation ». C’est dur, mais c’est ainsi.
De Lorgeril parlait justement très bien des tripatouillages statistiques, juste quelques pages avant, page 19 pour être précis, en invoquant les mânes de Twain et de Churchill:
Ensuite il pilonne 4S, publiée dans le Lancet en 1994, et qui reste l’étude la plus positive sur les statines.
Une étude « miraculeuse », comme l’auteur le dit.
Michel de Lorgeril reproche des tas de choses à 4S:
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d’avoir été arrêtée précocement sans raison valable.
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le nombre de décès signifiant l’arrêt de l’essai a été fixé a posteriori.
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il n’y a pas eu de stratification par centre, ce qui a engendré une sur-représentation des patients à faible risque dans le groupe statine et une sur-représentation des patients à fort risque de décès dans le groupe contrôle.
Les deux premiers points tiennent de la croyance. Seul l’accès aux documents internes du promoteur pourrait prouver ce que de Lorgeril dit. Peut-être que 4S a tout simplement été arrêtée du fait du bénéfice observé sous statine?
Le troisième point est intéressant. A-t-on vraiment besoin de stratifier des centres qui sont situés dans une zone géographique homogène (ici la Scandinavie)? Michel de Lorgeril explique une possible hétérogénéité des centres en arguant d’une intoxication au mercure ou d’un déficit en sélénium ponctuels (page 271) dans les centres dans lesquels auraient été randomisée une majorité de patients du groupe contrôle.
Oui, d’accord, mais encore une fois, il faudrait avoir accès aux données brutes pour prouver cela. La théorie du mercure-selénium qui intoxique spécifiquement les habitants des centres où il y a plus de patients du groupe contrôle me paraît uhmmm curieuse.
L’auteur ne regarde que la mortalité cardiovasculaire ou totale. Il écrit qu’il est très simple de trafiquer les données sur la morbidité. Soit. La confiance, on l’a ou pas, cela ne se discute pas.
Mais bon, pour diminuer le nombre d’infarctus ou d’accidents vasculaires, ça ne me choque pas de prescrire un traitement.
Donc il repousse du plat de la main toutes les études dont la mortalité n’est pas un critère primaire, ou celles pour lesquelles la mortalité n’est pas statistiquement diminuée. Et ce, dans ce dernier cas, même si la mortalité n’est pas un critère primaire. Par exemple, il met en avant CARE (NEJM 1996) qu’il décrit comme une étude négative afin de discréditer les résultats de LIPID (NEJM 1998).
Un petit peu surréaliste, quand même…
(Le critère primaire de CARE est composite: mortalité coronaire et IDM non mortels; celui de LIPID est mortalité d’origine coronaire).
Il repousse aussi dédaigneusement toutes les études faites avant le scandale du Vioxx, car suspectes d’avoir été trafiquées. Partant de ces principes, il ne reste en effet pas beaucoup d’études justifiant la prescription d’une statine.
Son analyse de PROSPER publiée dans le Lancet en 2002 est intéressante. Il la barre d’un trait de plume page 185 et en reparle plus tard dans le chapitre statines et cancer.
Bon, le gain clinique n’est pas gigantesque mais significatif (15% pour un critère composite de morbi-mortalité), et il y a un nombre accru de cancers dans le bras statines (+25% en moyenne, quand même). Les auteurs sortent de leur manche, dans le même papier une méta-analyse qui rassure le lecteur: il n’y a pas de lien entre statine et cancer…
Michel de Lorgeril n’insiste pas sur ce point, c’est dommage. Cette méta-analyse deus ex machina, pour rassurer le chaland, ce n’est pas de la science.
Par contre, de Lorgeril, qui voit le mal un peu partout trouve suspect que la durée initialement retenue de PROSPER ne soit pas précisée dans le papier du Lancet (page 207):
En fait la durée initialement prévue est de 3.5 ans en moyenne. Cette donnée, comme le reste de la structure de PROSPER est disponible dans cet article publié dans l’ Am J Cardiol en 1999. Il suffisait de chercher un peu. Rien de suspect là-dedans.
On remarque aussi qu’il ne retient que des critères secondaires négatifs de PROSPER et ferme les yeux devant le critère principal et les critères positifs (il y en a). Cherry picking…
Michel de Lorgeril écrit à plusieurs reprises que l’infarctus du myocarde a une mortalité à court terme de 50%, par exemple page 173.
Il utilise cet argument pour contester la diminution du nombre d’infarctus sous statines.
J’avoue que ces 50% (tirés du registre MONICA) m’ont impressionné. La mortalité des infarctus hospitalisés est bien moindre, par exemple dans ce registre français publié dans le JAMA. En 1995, la mortalité à 30 jours d’un infarctus ST+ était de 13.7%. Au Danemark, on retrouve aussi des chiffres très inférieurs à ceux de l’auteur (BMJ 2012).
Vous allez me dire, et les gens qui n’ont pas le temps de devenir des patients? Et ceux qui meurent avant même d’arriver à l’hôpital, voire avant toute prise en charge médicale? Je n’ai pas réussi à trouver des données bien nettes. Quelqu’un a une source fiable (par définition, ce n’est pas évident)?
J’ai quand même du mal à imaginer qu’une telle hécatombe pré-hospitalière vienne contrebalancer le bon pronostic des infarctus hospitalisés, et ainsi confirmer les soupçons bien hypothétiques de l’auteur.
Voici donc quelques exemples, tirés d’un livre très touffu.
Je garde donc mon impression mitigée.
D’un côté, Michel de Lorgeril pose de bonnes questions et secoue le confort d’une pensée unique, bien établie depuis des années par toute la puissance commerciale des laboratoires. Mais ses conclusions d’une analyse uniquement à charge et basée en partie sur des suppositions me paraissent bien excessives.
Comme souvent, la vérité est probablement ailleurs au milieu.
Je vous rappelle le communiqué récent de la HAS sur les statines, et un texte de synthèse de Christian Funck-Brentano et François Gueyffier dans Le Monde.
J’ai failli aussi oublier la passionnante Saga du cholestérol racontée par Dominique.