Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change

Il paraît que le dernier numéro de Cardiologie Pratique est un panégyrique de l’ezetimibe….

La première page et l’extrait suivant semblent en effet annoncer une grande offensive pour sortir l’ezetimibe de la voie de garage sur laquelle une série d’essais décevants l’avait poussé:

Improve-it cardio pratique 2Improve it Cardio pratique 1Le magazine Forbes a demandé à des spécialistes ce qu’ils pensaient des résultats d’IMPROVE-IT:

The result is, in a word that came up regularly during interviews with 15 cardiologists and industry executives, “modest.” No deaths were prevented by using the $7-a-day Vytorin pill instead of a 25-cent generic.

Researchers at Duke and Harvard’s Brigham & Women’s Hospital said in a press release that 50 patients had to be treated to prevent a heart attack or stroke – an impressive figure. But that’s over seven years. Over five years, the number would be 70, compared to 44 for other statin trials according study author Christopher Cannon. It would cost $880,000 to prevent that heart attack or stroke, at least until Zetia goes generic in 2016. “As expensive as it is, it’s less expensive than the cost of a stroke,” argues Duke University’s Robert Califf, one of the researchers who designed the study.

To some cardiologists who have been critics of the drug, the size of the effect – a 6.4% relative decrease – remains an issue.

“I will be the first to say it is a positive result, that it is a meaningful, it shows that lowering LDL with a non-statin, in this case ezetimibe, does in fact reduce morbidity and mortality a little bit,” says Steven Nissen of the Cleveland Clinic. “But it’s a very specific population, it is a very small population, and it took a very long time. It should not be overstated.”

Allen Taylor, chief of the cardiology division at Medstar Georgetown University Hospital, was even stronger: “Risk reduction of 6% is nothing to dance around about,” he says. “It’s very clinically marginal. It’s positive only because it’s so big and so long they brought it down to such a low chance of failing that even a marginal clinical result like this could be statistically in the bounds of value.”

D’autres ne se sont pas montrés beaucoup plus enthousiastes:

To heartwire , Dr Sanjay Kaul (Cedars Sinai Medical Center, Los Angeles, CA), who was not affiliated with the study, said the IMPROVE-IT trial « technically » won on the primary end point, but he questions the clinical significance of the findings, noting the overall treatment effect was modest. He also points out that the difference in the composite primary end point « was elevated to the lofty pedestal of statistical significance simply due to the large sample size, a classic example of a disconnect between statistical significance and clinical importance. »

« Are we to applaud and celebrate a 6% relative risk reduction in a quintuplet end point that is primarily driven by reductions in nonfatal end points? » asked Kaul. He added that it is not clear which type of MIs, spontaneous or periprocedural, were reduced with treatment.

Le dernier paragraphe est très pertinent. La multiplicité et l’hétérogénéité du critère principal (AVC/mort cardio-vasculaire/hospitalisation pour angor instable/SCA ST+/revascularisation coronaire) obère en grande partie l’interprétation sur l’efficacité clinique de l’ezetimibe que l’on pourrait faire en regardant la significativité statistique de cet essai.

18141 patients suivis pendant 7 ans et un critère primaire avec une quintuple composante… Ce n’est plus une loupe qu’ont utilisé les auteurs pour observer les effets cliniques induits par l’ezetimibe, mais un microscope électronique particulièrement pêchu. Malgré toute cette très impressionnante puissance statistique, on arrive à un poussif 6,4% de diminution moyenne du risque relatif (et aucune amélioration de la mortalité totale ou même cardio-vasculaire). 

Il nous faudra donc encore un appareil bien plus discriminant pour espérer voir un  effet sur le patient de l’autre côté de votre bureau.

Voici aussi ce que dit Michel Cucherat des critères composites:

La fréquence de survenue d’un critère composite est supérieure à la fréquence de chacune de ses composantes. De ce fait, les critères composites augmentent la puissance de la recherche de l’effet traitement. Le nombre de sujets nécessaires est moindre avec un critère composite qu’avec une seule de ses composantes.

Cette utilisation pose cependant plusieurs problèmes. En cas de regroupement d’événement de pertinence clinique variable, le critère global va être principalement le reflet des événements de moindre importance si ces derniers sont prépondérants en fréquence. Ainsi, lorsque le critère clinique pertinent n’est que l’une des composantes d’un critère combiné , la mise en évidence d’un effet sur le critère composite ne permet souvent pas d’inférer un effet sur le critère clinique pertinent. Dans un essai d’antiagrégants lors de l’angioplastie, l’observation d’une réduction significative de la fréquence du critère « décès+revascularisation+stent » ne démontre pas l’aptitude du traitement à réduire la mortalité. Car la mortalité ne représente qu’une petite part du critère composite. Bien que plus facile à mettre en évidence, un effet sur un critère composite n’équivaut pas à une démonstration de l’efficacité sur le critère clinique le plus pertinent.

Un effet délétère sur la mortalité peut être tamponné dans un critère clinique par un effet favorable sur un critère bien plus fréquent. L’utilisation du critère composite fait passer à côté de cet effet indésirable et de l’absence de bénéfice clinique du traitement.

Pas de précipitation, je ne pense pas qu’il soit totalement déraisonnable de savoir résister aux sirènes de « 20 ans d’innovation » en réfléchissant bien avant de prescrire de l’ezetimibe, même aux patients de la population étudiée par IMPROVE-IT.

kaahypn2(©Disney)

Sauf si vous voulez petit-déjeuner/déjeuner/goûter/diner gratuitement, mais ça, on ne peut pas l’inférer de la lecture de l’étude. 😉

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Merci à celui qui se reconnaitra.

SIGNIFY, la semaine d’après…

Bon, je suis quand même un peu déçu par le manque d’entrain qu’on montré les gens pour défendre l’ivabradine.

Mais tout le monde n’est pas encore rentré, Cardiologie Pratique et Le Cardiologue sont encore en congés, j’ai encore un peu d’espoir. Ma veille a quand même ramené quelques (maigres) perles.

Je suis d’abord allé voir une source fiable d’informations, le site officiel de l’essai signify-study.com .

Pas de panique, aucune raison pour l’EMA de réévaluer l’efficacité de l’ivabradine, l’effet est « neutre ».

La section Results ne parle pas du tout de la sur-morbimortalité observée dans un sous-groupe de 12049 patients, mais je le comprends, car:

  • C’est une analyse en sous-groupe et ces analyses doivent être considérées avec circonspection.
  • Il n’y avait plus de place sur le site ouèbe.
  • Le rédacteur a été tué par une chute de météorite contenant de la kryptonite et il n’y a que lui qui avait les codes.

Signify ResultsPour ceux qui veulent vraiment en savoir plus, le site propose tout en bas de la page un lien vers des diapos ou le site du NEJM.

Signify results 1Sur les diapos, on parle un peu du fameux sous groupe, on arrive même à discerner un espoir soulevé par la prescription d’ivabradine (qui-devra-faire-l’objet-d’une-étude-pour-confirmer-ces-résultats-encourageants):

Signify diapoDans le sous-groupe en question, on observe une augmentation de la mobi-mortalité et une amélioration des symptômes et une diminution du nombre de revascularisations.

L’ivabradine reste donc le bon médicament qu »il a toujours été.

Ceux qui ont de bonnes lunettes ont peut-être une vague inquiétude sur cette vague histoire de morbimortalité qui serait peut-être augmentée, enfin bref…

Et bien non, car cet article indique clairement que les auteurs ont dit que ce sur-risque était non significatif:

Signify internal Med News

Le NEJM ne dit pas pareil (p=0,02), mais bon, les stats c’est compliqué, et il ne faut pas se noyer dans les détails. Non?

Les auteurs sont quand même un peu gênés aux entournures par les résultats de SIGNIFY (allez savoir pourquoi). Et ils ont plein de bonnes raisons pour expliquer l’effet « neutre » de l’ivabradine (huhuhu, j’adore vraiment cet adjectif: François Hollande a actuellement une popularité neutre, Thomas Thévenoud a eu un effet neutre sur le budget de l’État…):

A number of hypotheses may explain the SIGNIFY findings.

« It is possible that ivabradine decreased the heart rate too much or that there may be a J-shaped curve for the relationship between heart rate and outcome, » the investigators said, explaining that « ivabradine may have unintended effects (e.g., adjustment of the doses of other heart-rate lowering agents) that may have affected the potential benefits of the lowering of heart rate with ivabradine. »

Further, heart rate-reducing antianginal agents may have no effect on outcomes in patients with stable coronary artery disease, they said.

The findings may also reflect the fact that an elevated heart rate is due to different pathophysiological mechanisms in those with heart failure and those with stable coronary artery disease, they noted.

« Given that the primary cardiovascular effect of ivabradine is to reduce heart rate, these results suggest that an elevated heart rate is only a marker of risk – but not a modifiable determinant of outcomes- in patients who have stable coronary artery disease without clinical heart failure, » they concluded.

On va reprendre un peu plus doucement car il y a quelques points que je ne comprends pas du tout.

La FC ne serait donc pas un déterminant du pronostic. Cela, je ne le comprends pas, car depuis BEAUTIFUL, tous les leaders d’opinions nous disaient exactement l’inverse:

Caducee 2caducee 1

  • Consensus Online. Juillet 2012

consensus online

Medscape.frSi je regarde le papier du NEJM sur SIGNIFY (peut-être ne devrais-je pas), je constate justement que la FC du groupe sous ivabradine est exactement dans la cible indiquée:

At 3 months, the mean heart rate was reduced to 60.7±9.0 beats per minute with ivabradine and to 70.6±10.1 beats per minute with placebo.

Pourquoi alors parler de courbe en J alors qu’une analyse post-hoc de BEAUTIFUL et plein d’experts disent depuis 2009 qu’une fréquence cardiaque basse est un excellent marqueur pronostique?

Un collègue, fou ou drogué ou plus probablement les deux m’a dit que rétrospectivement cela aurait été un « argument marketing du labo pour nous faire prescrire de l’ivabradine »

Revue med suisse

Pauvre Kim Fox, ces résultats l’ont tout retourné:

Kim Fox Signify

Mais il n’y a pas que lui…

Hier j’ai croisé dans les couloirs la visiteuse médicale de Servier avec son supérieur.

Après la bise polie de rigueur, je me suis éloigné, comme d’habitude, car je ne reçois pas la visite médicale.

J’ai quand même eu envie de la taquiner un peu:

-Moi: je suis un peu occupé, mais c’est dommage j’aurais eu envie de parler de SIGNIFY!

Elle m’a regardé.

Je l’ai regardé de loin, elle était floue car je suis myope.

-Elle: mais ce n’est pas possible, vous ne recevez pas la visite médicale!

Je l’ai regardé en forçant, je n’en croyais pas mes oreilles.

Bref, la visiteuse médicale de Servier venait de me rappeler les termes de la charte Non merci de La Revue Prescrire.

L’ivabradine, c’est magique.

Et hop, le lapinch, il est plous là!

Il n’a pas fallu attendre beaucoup plus d’une heure pour avoir les premières réactions minimisant les résultats de SIGNIFY.

Deux jolies contorsions sont visibles dans cet article de Medscape.com:

« Although this is a subgroup of an overall neutral trial, it is a group of more than 12 000 patients, who were studied where the therapy is approved and in use outside the United States, » write Drs E Magnus Ohman and Karen P Alexander (Duke University, Durham, NC).

(On ne dit pas negative chez le sponsor, mais neutral. On ne dit pas non plus positive mais a breakthrough result of a landmark trial )

et

We should be very cautious in interpreting subgroup results, » observe Ohman and Alexander. « The next natural step would be to carry out a second study . . . to ascertain whether this angina subgroup is really one in which we should exercise caution. »

(Les sous-groupes, il faut vraiment s’en méfier…)

Huhuhuhuhu…

SIGNIFY et ivabradine, it’s a Kind Of Magic!

L’ivabradine va encore vous captiver, vous faire tourner la tête, vous éblouir, bref vous donner envie de la prescrire à vos patients.

L’ivabradine est une des vedettes du congrès de l’ESC 2014 grâce à l’étude SIGNIFY.

Cette étude compare l’ivabradine à un placebo chez des patients coronariens stables, non insuffisants cardiaques. J’ai déjà parlé en long et en large de l’ivabradine ici.

Pour résumer, BEAUTIFUL a montré que l’ivabradine n’apportait rien chez le patient porteur d’une coronaropathie et d’une dysfonction ventriculaire gauche.

J’ai déjà pointé plusieurs fois que cette étude négative a été rendue « positive » en mettant sous les projecteurs la positivité de critères secondaires dans un sous groupe et loin en arrière, cachée derrière le rideau sous un seau à Champagne, la négativité du critère principal dans l’ensemble de la population.

beautifulcapital

dailymirrorEt ça, c’est très fort.

It’s a Kind Of Magic…

Autant dire que chez Les Laboratoires Servier, Monsieur Sous-groupe est l’employé du mois du service commercial depuis des années.

beautiful1Ce qui est aussi très fort, c’est que la conclusion de BEAUTIFUL mentionne cette positivité. Retenez ce détail, on en reparlera à la fin de cette note:

Beautiful conclusionSHiFT a montré un (petit) intérêt de l’ivabradine chez le patient insuffisant cardiaque avec FEVG inférieure à 35%, hospitalisé pour insuffisance cardiaque dans les 12 mois précédents.

Cette fois-ci, dans SIGNIFY, l’ivabradine a été testée chez des coronariens stables, mais sans insuffisance cardiaque.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, cette étude a fait parler d’elle en mai-juin 2014 quand l’EMA et l’ANSM ont haussé un sourcil (ici pour l’EMA et ici pour l’ANSM) devant une majoration de la morbi-mortalité d’un sous-groupe de patients sous ivabradine dans SIGNIFY.

Encore un sous-groupe…

Or, en avril 2014, Amgen, qui souhaite commercialiser l’ivabradine aux Etats-Unis a demandé une procédure d’acceptation accélérée auprès de la FDA.

Vous imaginez donc assez aisément les enjeux qui tournent autour de SIGNIFY…

Je vais vous la faire courte, SIGNIFY est une belle étude de 19102 patients, et malheureusement pour les Laboratoires Servier, elle est négative.

En voici la conclusion:

Conclusion SIGNIFYComment cette étude sera rendue « positive »?

Car je n’ai pas de doute qu’elle le sera.

It’s a Kind Of Magic.

J’imagine que la magie opérera, comme chaque fois, sous-tendue par quelques petits astuces de magicien:

  • S’assurer que l’environnement est amical: à la lecture de l’ubiquité de la présence du sponsor de l’étude dans le programme du congrès, et du nombre de grands leaders d’opinion qui participent aux symposia maison, ça, c’est fait.

  • Demander à ces grands noms de la cardiologie française et européenne de minimiser ce résultat, somme toute finalement plutôt positif: posologie utilisée pas usuelle, population pas tout à fait représentative, sous/sur utilisation des bêtabloquants, conjonction lunaire défavorable… En conclusion, on va dire que cette étude n’était pas si bien conçue que cela et qu’il ne faut pas la prendre en compte.

  • Et si on parlait finalement pas trop de SIGNIFY au cours de cette ESC? Il y  plein d’autres trucs sympas, par exemple le LCZ696… Non? Un peu plus de Champagne? Savez-vous que nous allons publier une étude post-hoc inédite de SHiFT? N’en parlez pas, ça reste entre nous… Un petit peu de tapenade?

  • Clamer urbi et orbi que l’étude est positive car elle balaye de façon définitive les inquiétudes totalement infondées des autorités sanitaires puisqu’il n’y a pas de différence de morbi-mortalité entre l’ivabradine et le placebo dans l’ensemble de la population étudiée (19102 patients, quand même). Le rapport bénéfice/risque reste donc largement en faveur de la prescription d’ivabradine à tout le monde.

  • Dans quelques mois, sortira une grande étude post-hoc que commentera un ancien grand nom de la cardiologie parisienne dans le journal d’un grand syndicat de cardiologues: l’ivabradine augmente le nombre de naissances dans le sous-groupe des hommes roux, ayant entre 67,3 ans et 68,2 ans dont la fréquence cardiaque est comprise entre 68 et 70 pour une classe CSS à 2, 65. Il faudra faire (un jour) une étude pour généraliser ces résultats impressionnants à l’ensemble de la population.

On accompagne tout cela par un flot de symposia et d’EPU, et dans 3 semaines, tous les cardiologues se rappelleront de SIGNIFY comme d’une très belle étude positive.

Sauf que, sauf que…

L’analyse des sous-groupes met bien en évidence, comme l’EMA et l’ANSM l’avaient constaté, une sur-morbimortalité dans un sous-groupe, en défaveur de l’ivabradine:

SIGNIFY Sous groupesCe sous-groupe représente tout de même 12049 patients. L’excès de morbi-mortalité est en moyenne de 18%.

Pourquoi, comment, je ne sais pas trop, mais je suis certain d’une chose, c’est que les communicants du labo vont se mettre à trouver tout un tas de défauts à l’analyse en sous-groupes.

Ils vont se mettre à citer du Michel Cucherat dans le texte et des passages entiers de La Revue Prescrire qui  pointent les tas de défauts et les risques de l’analyse en sous-goupes.

D’ailleurs, cela commence dès la conclusion de SIGNIFY qui ne mentionne même pas ce détail mineur à 12049 patients…

Conclusion SIGNIFYCurieux qu’une analyse de sous-groupe positive dans un essai négatif (BEAUTIFUL) soit citée en conclusion, et pas une analyse négative (et inquiétante) dans un essai négatif, non?

Non, It’s a Kind Of Magic!

Maintenant, asseyez-vous confortablement, sortez les cacahouètes, nous allons voir comment va réagir le petit monde de la cardiologie française et européenne à la publication de SIGNIFY.

Je pense que nous allons assister à un beau spectacle de magie et de contorsionnistes.

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