La dénervation arrive (2)

Ca y est, elle arrive vraiment!

Dans le précédent épisode, nous avons appris grace au programme « La tension sous pression » que l’HTA résistante touchait 100 millions de personnes dans le monde entier! 100 millions! Par ailleurs, nous avons aussi appris que ces patients sont particulièrement préoccupés d’être porteurs d’une HTA résistante. D’où le cri du coeur du communiqué de presse: Les patients français ont besoin de nouvelles solutions thérapeutiques.

À la fin de ce communiqué, le lecteur, patient ou médecin se retrouve alors dans un état de stupeur et de tremblements. Il attend avec fébrilité un message d’espoir.

Celui-ci  se manifeste dans le Cardiologie Pratique du 8 février.

Nous entrevoyons en effet la lumière au bout de l’artère rénale, puisque le premier journal cardiologique français consacre une pleine page à la dénervation rénale, avec juste à côté une énorme publicité pour le système de dénervation Medtronic (qui, hasard étonnant, finance par ailleurs le programme « La tension sous pression »).

La campagne est donc lancée, je prédis dans les prochaines semaines un déferlement d’articles et d’EPU sur l’HTA résistante 😉

Tomber de haut (2)

Je ne suis pas le seul à être tombé de haut lorsque la révélation de résultats intermédiaires de l’étude ALTITUDE ont conduit à cette réaction des agences de sécurité sanitaire, comme l’Afssaps.

J’avais parlé de ALTITUDE ici, enfin, pour être exact, j’avais mis en parallèle le superbe plan marketing de lancement de l’aliskiren qui s’annonçait être une merveille, toutes les belles choses qui avaient été dites par des experts et la dure confrontation avec des résultats assez inquiétants de cette étude.

Je vous conseille vivement la lecture de ce commentaire très récent sur ce sujet, écrit par quelqu’un qui connaît très bien le sujet. Le texte pose les bonnes questions, notamment celle, cruciale, des critères de jugement des études cliniques sur lesquelles s’appuient les dossiers d’AMM.

Ne doit-on pas exiger dorénavant d’avoir au moins une étude de morbi-mortalité bien conduite dans le dossier d’AMM d’une molécule ayant pour but annoncé de diminuer cette dernière?

(La réponse paraît évidente, mais des tas de gens se la posent encore sérieusement, quelques-uns répondent même non)

Je pense que tout le monde s’est un peu trop reposé sur le syllogisme « la molécule A améliore le paramètre B, améliorer B permet de diminuer la morbi-mortalité, donc A améliore la morbi-mortalité ». Des tas d’études ont montré que ce raisonnement a des failles. En cardiologie, CAST en est l’exemple le plus connu.

Bon, ça c’était pour faire le sérieux, maintenant, je vais vous montrer comment pirater le site de « Réalités Cardiologiques« .

On ne rigole pas, s’il vous plaît!

Vous allez voir, c’est digne des Anonymous.

Imaginons que je souhaite lire l’article « Evaluation de l’ischémie myocardique par l’échographie de stress« . 

Pour le lire, il faut s’inscrire au site puis souscrire à l’offre « Premium gratuite » (??) en donnant, pour les médecins par exemple, son numéro d’ordre.

Mais il y a bien plus rapide et bien plus simple.

Vous tapez Evaluation de l’ischémie myocardique par l’échographie de stress dans Google et vous obtenez cela:

L’occurrence numéro 3 est le fichier PDF de l’article.

Bisous, 😉

Ça marche aussi pour le groupe Consensus.

Mouhahahahahaha.

Tomber de haut

J’ai failli tomber de très haut, tout mon système de référence aurait pu s’écrouler à cause de cette lettre aux professionnels de santé envoyée récemment par l’Afssaps à la suite des résultats intermédiaires de ALTITUDE.

Tenez-vous bien, l’aliskiren (Rasilez®) pourrait être dangereux chez certains patients, les diabétiques qui reçoivent déjà un IEC ou un ARA2 en majorant par rapport au placebo les risques suivants:

  • infarctus cérébral non fatal
  • complications rénales
  • hyperkaliémie
  • hypotension

Bon, je n’en ai jamais prescrit à mes patients, je n’ai donc pas eu à contacter l’un d’eux.

Pourtant j’aurais pu y croire.

Les prescripteurs ne pouvaient en effet qu’y croire:

Vous allez me dire que c’est facile d’être ironique a posteriori, alors que de nouvelles données sont disponibles. C’est très vrai. Mais n’est-ce pas le rôle des experts d’être prudents dans leurs jugements, voire d’essayer de prévoir l’avenir d’un nouveau médicament, afin d’éclairer leurs confrères moins clairvoyants? Sinon à quoi bon être expert si on se contente de recopier texto les conclusions des études sans les critiquer? N’importe qui peut le faire.

Par ailleurs, ça fait pas mal de temps que je m’amuse à tailler les oreilles en pointe de l’aliskiren.

Sur le papier, l’aliskiren a pourtant des propriétés pharmacologiques époustouflantes. Vous nous rendez compte, c’est le premier inhibiteur de la rénine, ce n’est pas rien! C’est une vraie innovation thérapeutique, comme le LEEM les aime tant.

Et ça agit de façon quasi miraculeuse sur des tas de paramètres intermédiaires, par exemple sur le ratio albuminurie/créatinine qu’il diminue de 20% (p<0.001) dans AVOID.

Impressionnant, non? 20%!

Heureusement, j’ai bêtement appris à un DU qu’il fallait se méfier des critères intermédiaires et privilégier des critères cliniques pertinents:

Tout d’abord, il est nécessaire de réinsister sur le fait qu’un critère intermédiaire, même fortement lié avec les mécanismes physiopathologiques de la maladie et les mécanismes d’action du traitement n’est pas forcément un critère de substitution. La notion de facteur de substitution reste assez conceptuelle, car, en particulier un critère de substitution ne prendra jamais en compte les effets délétères spécifiques des molécules à venir (cf. exemple du fluorure de sodium). Seul un essai sur critère clinique vérifie que les éventuels effets délétères d’un nouveau traitement ne contrebalancent pas le bénéfice découlant du résultat obtenu sur le critère de substitution.

Mais c’est un petit DU de province.

A Paris, dans un centre d’excellence, dans les trois dernières diapos de cette Lecture critique des grands essais sur l’HTA, on nous dit même un peu l’inverse:

Les résultats des essais de morbi-mortalité ne devraient pas être le seul critère permettant de différencier les médicaments antihypertenseurs.

Déstabilisant, non?

En fait non.

Il suffit de se rappeler de deux ou trois choses pour ne pas être déstabilisé et essayer de prescrire ce qu’il y a de mieux à ses patients:

  • Primum, non nocere. Donc rester prudent sur les effets secondaires possibles des innovations thérapeutiques, qui par définition ne sont pas tous connus au lancement de ces dernières. Ne prescrire « rapidement » après l’obtention de l’AMM qu’en cas de vraie avancée pour le patient (aucun intérêt de se jeter comme un mort de faim sur le 317ième traitement anti HTA). En général, ne pas prescrire de médicaments qui n’ont pas démontré leur intérêt sur des critères cliniques pertinents.

  • Toujours de faire sa propre opinion à partir de sources indépendantes. Il y en a peu, mais il y en a (par exemple la Revue Prescrire)

Ceux qui suivent ce blog doivent penser que je radote, ça fait en effet des années que je raconte toujours les mêmes choses.

Mais très régulièrement, une nouvelle innovation thérapeutique et surtout les sirènes commerciales qui l’entourent, montrent que l’industrie utilise inlassablement les mêmes ficelles pour nous faire prescrire des molécules qui au final sont susceptibles d’être inefficaces, voire nocives.

Peut-être que l’aliskiren n’est nocif que sur une population de patients, celle de ALTITUDE, mais cela ne me donne pas du tout envie de le prescrire au reste des hypertendus alors qu’il existe des alternatives, qui elles, ont montré une diminution de la morbi-mortalité.

Attention, d’un point de vue plus général, toutes les nouveautés ne sont pas à jeter à la poubelle, loin de là. Il faut se garder de tomber d’un excès à l’autre. Par définition, toutes les molécules que nous utilisons, j’espère à raison, ont été des nouveautés!

Mais il est de la responsabilité de chaque médecin d’essayer de trier le bon grain de l’ivraie afin de prescrire en conscience le traitement le plus adapté à ses patients.

Casser la graine

Un petit monsieur sec, à la chevelure blanche bien apprêtée, il me dira plus tard être coiffeur retraité, vient de rentrer dans ma salle de consultations. Il vient pour une tension artérielle totalement déstabilisée. Il est pris en charge par son médecin traitant qui l’a finalement envoyé voir une consœur cardiologue la semaine avant notre consultation.

Il souhaitait avoir un deuxième avis. J’ai accepté de le voir car c’est le copain du beau-père d’un copain médecin (nous sommes à Marseille, je vous le rappelle). Je n’aime pourtant pas trop ce genre d’infidélités, et j’aime encore moins gérer les hypertensions artérielles #mercrediconfession )

Il a été sous Aprovel, puis Co-Aprovel, puis Lercan, seuls ou en association. La consœur l’a mis en désespoir de cause sous Coveram 5/5 (St Servier, patron des causes perdues…).

Sa tension artérielle, retrouvée à ma consultation reste toujours à 170/80. J’ai jeté un coup d’œil rapide à ses artères rénales, et je n’ai retrouvé aucune anomalie en faveur d’une hypertension reno-vasculaire. Il est un peu stressé, mais sans plus.Petit coup d’œil au cœur, aux carotides, rien de terrible.

Je braque alors ma lampe sur le visage du patient et débute ce qui m’occupe le plus de temps dans ce genre de consultation, la recherche du régime hypersalé. Je tourne autour du bonhomme en posant plusieurs fois les mêmes questions en variant la forme, je joue au bon flic et au méchant flic…

Au bout de quelques minutes, je n’ai pas trouvé de faute diététique bien nette (un jour, j’ai fait avouer à un breton expatrié qu’il consommait 250g de beurre demi-sel par jour). De fait, le patient est particulièrement sec, ce qui me confirme qu’il mange plutôt frugalement. Et j’ai passé en revue l’alimentation industrielle, les anchois, le beurre salé, donc, l’eau minérale…

C’est alors qu’IL pose LA question: Dites, les graines de courge, que je prends pour la prostate, ça compte?

Euh ben euh… Pourquoi, elles sont salées?

Euh, oui.

Et vous en prenez combien?

Environ 1 kilo par mois.

C’était il y a 1 mois. Je lui ai demandé d’arrêter ces fameuses graines de courge, et le kilo de cacahuètes qu’il se mangeait en plus chaque mois.

Je l’ai revu il y a quelques jours. Il a 110/70 sous Coveram 5/5 (je n’ai pas changé ce traitement instauré peu avant la première consultation).

Aucun des deux confrères ne lui avait même évoqué le problème qu’est le sel dans l’HTA.

Il aurait fait un bon candidat pour la dernière molécule/association révolutionnaire, ou une dénervation, non?

Mouhahahahahahahahaha!